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Le commerce et le crédit dans la régence d'Alger avant 1830

Écrit par Edgar Scotti. Associe a la categorie Période Islamique

Au début du 19e siècle, le commerce intérieur et l'industrie en Algérie n'ont recours au crédit que sous des formes d'autant plus élémentaires que leurs besoins monétaires sont peu développés.

La population algérienne compte alors moins de deux millions d'habitants principalement installés dans les zones rurales (1).

Contrairement aux deux autres pays, l'urbanisme est peu développé en Algérie; alors qu'aux deux extrémités du Maghreb existent deux grandes cités, Tunis et Fès.

Alger est en premier lieu un port turc et des villes comme Constantine, Médéa, Tlemcen, sont surtout d'actifs marchés où se rencontrent les négociants des régions avoisinantes ainsi que ceux, moins nombreux, de contrées plus lointaines.

 

Première partie

 

Une économie basée sur le troc

L'insécurité du pays imposait le groupement des marchandises et une organisation des transports qui favorisait la transhumance dans le cadre de puissantes caravanes. Dans L'évolution du nomadisme en Algérie Augustin Bernard et Lacroix notaient page 207 et suivantes: " Dans le Tell, le nomade échangeait une mesure de dattes contre trois mesures d'orge, ou une demi-mesure de dattes contre trois mesures de blé. Les habitants du Tell gagnaient beaucoup à ces échanges."

Le commerce engendré par le déplacement des transhumants revêtait souvent la forme d'échanges directs de marchandises, de troc, plutôt que celles de véritables négociations commerciales nécessitant le recours au crédit ou à l'utilisation de monnaie.

Parmi les grands centres commerciaux, les souks de Constantine étaient les plus actifs, on y trouvait des armes, des fruits, du miel de Kabylie, les chaussures, la sellerie, les haiks et les burnous, les produits de l'oued Rhir ainsi que les articles délicats venus de Tunis par les pistes du sud.

Le commerce local et l'industrie à Alger

Dans Alger esquisse de géographie urbaine, R. Lespès observe que l'immigration des Maures d'Espagne à la fin du XVIe siècle et au début du XVIIe siècle peupla la ville d'un grand nombre d'artisans dont Haedo, énumère les professions: arquebusiers, fabricants de poudre, serruriers, charpentiers, maçons, tailleurs, cordonniers, potiers, éleveurs de vers à soie.

Les Israélites étaient spécialisés dans les métiers de tailleurs, de bijoutiers en corail ; d'orfèvres et de frappeurs de monnaie. En 1623, il y avait à Alger selon Gramont, 80 forgerons, 180 couteliers, plus de 1 200 tailleurs, 3 000 tisserands, 600 éleveurs de vers à soie et 200 personnes tissant la soie.

A la fin du siècle, Venture de Paradis note parmi les produits fabriqués à Alger, à côté des toiles grossières, des rubans de soie de toutes les couleurs, dont il vante la beauté, des ceintures de soie lamées d'or et d'argent, des bonnets de laine chéchia, des maroquins. En 1830, ces industries étaient encore vivantes, sinon prospères.

" Outre les petits métiers, on tournait la corne, on fabriquait au faubourg Bab-Azoun des pipes en terre et au faubourg Bab-el-oued, des poteries grossières, des briques et de la chaux. " Alger avait même à l'intérieur de ses rues, ses moulins à farine dont les meules étaient actionnées par des mulets ou des chameaux. Peu d'années auparavant, il existait des moulins à vent sur le plateau des Tagarins. On en voyait pendant quelques années après 1830, au-delà de la porte Bab-el-oued sur le bord de la mer.

Alger entrepôt de marchandises

La population d'Alger en 1830, était composée de 18 000 Maures, de 4 000 Turcs, 2 000 noirs, 1 000 Berbères ou Arabes et au dernier rang de l'échelle sociale, 5 000 Israélites.

Ces 30000 habitants alimentaient un assez large commerce local et comme dans tout port, les produits importés et exportés y séjournaient à côté des prises des corsaires. Beaucoup de ces marchandises s'y étaient d'ailleurs accumulées depuis 1825, en raison du blocus qui rendait pratiquement impossible leur exportation.

En 1781, le consul Philippe Valliére, note dans un mémoire relevé par M. Lucien Chaillou, ancien maire de La Stidia-Georges Clemenceau, que la principale branche du commerce d'exportation est le blé, ainsi que d'autres grains, tels que l'orge et l'escayole. Cette graminée, plus connue sous le nom d'alpiste (alpista en espagnol), Phalaris Canariensis, est cultivée pour son grain, mil ou millet, qui sert à la nourriture des oiseaux en cages.

 

Deuxième partie

 

Le financement des échanges avec l'extérieur.

Pour le paiement des échanges avec l'étranger, les Algériens utilisaient dès le Xe siècle des méthodes de transfert de fonds qui s'apparentaient à la moderne lettre de change en utilisant l'hawala (2), paiement par délégation d'une créance sur un tiers. Le mot hawala étant peut-être à l'origine de l'aval, désignant actuellement un garant du paiement par endos d'une lettre de change. Cependant, le commerce de la Régence n'est pas entièrement libre. Dès le XVIIIe siècle, Shaw signale qu'il se fait " une si grande consommation d'huile dans le royaume d'Alger, qu'il est rarement permis d'en vendre aux Chrétiens pour la transporter ailleurs".

Dans son ouvrage l'Histoire philosophique et politique des établissements et du commerce des européens dans l'Afrique septentrionale, Raynal, constate aussi ce fait. " Le commerce d'Alger est peu considérable, il est presque entièrement entre les mains des Juifs. Le grain se vend à bas prix parce qu'aucune quantité ne peut être vendue sans une permission écrite et munie du sceau du dey. Une pareille licence est également nécessaire pour pouvoir vendre des huiles au dehors du pays." Invoquant le prétexte d'éviter une raréfaction des denrées alimentaires, à livrer à la population locale et afin de conjurer ainsi les risques de famine, les deys réglementent les exportations et accaparent certains produits, en monopolisant la vente à leur profit ; blé, huile, cuirs, cire et sel étaient les principales denrées sur lesquelles s'exerçaient un monopole et un prélèvement important.

Selon Rozet (3) le dey d'Alger était le premier marchand de ses états. Le consul de France écrivait à la fin de 1826 ; " La nullité d'objets d'exportation de ce pays, oblige le commerce à exporter en Europe beaucoup d'or monnayé qui n'est remplacé que par de la poudre d'or, ce qui appauvrit sensiblement ce pays. " A la veille de l'arrivée des Français à Alger, la balance commerciale étant déficitaire pour l'Algérie, les expéditions ne se faisaient guère que dans un seul sens ainsi qu'il résulte de l'examen des chargements de tous les navires à destination ou en provenance des deux ports européens de Marseille et Livourne.

Les relations commerciales entre Alger et l'Europe

Si le rôle de Marseille était prédominant, Livourne tenait selon Paul Masson (4) une très grande place dans le commerce extérieur d'Alger et d'une façon générale dans celui de toute la côte. Ce port devint rapidement le grand entrepôt des marchandises réexpédiées d'Alger après les prises des corsaires.

Dès la fin du XVIIe siècle des Livournais étaient venus à Alger et s'étaient placés sous la protection du consul de France. Ils ne tardèrent pas à prendre dans la Régence des situations prépondérantes. Alger offrait en effet à leur habileté et à la finesse de leur sens commercial, un champ d'autant plus fertile qu'ils pouvaient y déployer toutes les ressources de leur intelligence en profitant de l'absence d'organisation bancaire et de crédit qui, avec l'avidité de tous les fonctionnaires du beylick caractérisait la Régence. Négociants avisés et puissants banquiers, ils n'ignoraient rien des mécanismes du crédit en usage en Europe.

La situation qu'ils avaient su se créer dénotait une réelle habileté, compte tenu d'un environnement qui n'était généralement pas favorable aux commerçants algériens.

Dans son ouvrage Le Maghreb avant la prise d'Alger, Mme Lucette Valensi, note que Livourne a une fonction d'entrepôt. Ce port constitue un pôle essentiel du commerce entre l'Europe et le Maghreb. Les chargements débarqués sont hétéroclites, beaucoup de grains, d'huiles, des cuirs, mais aussi des couffes, sacs, ballots ainsi que des groups, c'est-à-dire des petits paquets scellés, contenant des matières précieuses.

Toutes ces cargaisons sont expédiées vers l'Europe par d'innombrables chargeurs parmi lesquels émergent les noms des Lumbroso, Valensi et Costa.

Le commerce entre Marseille et Alger

A Marseille, le commerce avec la Régence est pratiquement entre les mains de la Compagnie Royale d'Afrique, créée en 1741.

Marseille détient ainsi un monopole de fait sur tout le commerce avec la Régence.

D'après un mémoire du consul de France, Philippe Vallière, étudié par M. Lucien Chaillou, ancien maire de la Stidia-Georges Clemenceau, nous savons que les faibles manufactures du royaume d'Alger ne suffisent pas pour la satisfaction de la demande des habitants. En conséquence, les draps, les étoffes de soie, et en dorure, le café de l'Amérique, le sucre, la cochenille, les épices, l'alun, la quincaillerie, la bijouterie, le fer, la grenaille, sont les objets de ce commerce d'importation.

Cependant, la Régence d'Alger, tire la majeure partie de ses ressources de la piraterie et des tributs qu'elle impose à tous les pays européens, y compris l'Angleterre, les États-Unis, l'Espagne, le Danemark, le Hanovre, les États de Brème, etc.

Les entraves à la navigation et au commerce en Méditerranée

L'influence de la France et de la Compagnie Royale d'Afrique sur la Régence d'Alger, s'atténue sensiblement après le désastre de Trafalgar, qui porte atteinte au prestige de notre marine et par conséquence, de notre commerce. En 1806, le pavillon français ne domine plus en Méditerranée, l'Angleterre est installée à Malte, sous son inspiration le bey de Constantine admet la concurrence des Maltais et des Espagnols sur les marchés où la France avait l'exclusivité. Sous la domination des Turcs Alger vit au rythme des insurrections et des assassinats. Après le meurtre du dey Moustapha, qui se disait ami de Napoléon 1er son remplaçant, le dey Ahmed exerce le pouvoir pendant trois ans, mais le 23 juillet 1808, il est à son tour renversé. Le nouveau dey est décapité le jour même de son élection et dès le lendemain, c'est Ahmed qui reprend le pouvoir jusqu'au 7 novembre 1808 où il est pendu.

Ali Khodja, qui lui succède, meurt à la suite d'une guerre malheureuse contre les Tunisiens. Son successeur Hadj Ali promu en 1809 ne se maintient que quatre ans au pouvoir et meurt empoisonné le 22 mars 1815, Omar renégat grec, coopté pour prendre la succession, se récuse et c'est Mohamed qui est élu dey, mais il meurt assassiné quatorze jours après son élection.

A cette époque les plénipotentiaires réunis au Congrès de Vienne décident d'opposer une limite aux actions des corsaires qui sévissent en Méditerranée. Seule l'Angleterre s'y oppose, elle redoute une intervention de la France qui en mettant un terme à ces désordres retrouverait l'influence qu'elle exerçait autrefois sur les Barbaresques.

 


Le " Constitution " à quai à Boston

 

Interventions des États-Unis, de l'Angleterre et de la Hollande

L'Angleterre ainsi que les États-Unis sont en effet contraints de verser au dey d'Alger, 600 livres sterling (150000 F de l'époque) à chaque renouvellement de consul. Excédés par les exactions des pirates, les États-Unis dépêchent en Méditerranée une escadre composée de la frégate " Constitution " commandée par le captain Edward Preble et d'une frégate, un sloop, un brick, trois schooners. Les 3 et 4 août 1804, cette flotte bombarde des navires et des installations côtières de Tripoli. C'est à bord du " Constitution " qu'un traité de paix avec le dey de Tripoli est signé en 1805. Le commodore Samuel Barron et le captain John Rodgers, nouveau commandant du " Constitution " capturent trois navires algériens avant de bloquer le port d'Alger. Cette action navale génère un climat favorable à des négociations avec Alger et Tunis, qui mettent fin au paiement d'un honteux tribut. Dans son ouvrage sur l'Algérie ancienne et moderne, Léon Galibert rappelle qu'en avril 1816, lord Exmouth et ses 26 vaisseaux armés en guerre, renforcés de six navires hollandais négocient un traité de paix avec les régences de Tunis et de Tripoli. Tandis que devant les réticences soulevées par le dey Omar, la flotte anglaise reparaît devant Alger le 26 août 1816 qu'elle bombarde pour obtenir :

1) la délivrance sans rançon de tous les esclaves chrétiens,
2) la restitution des sommes payées par les États sardes et napolitains pour le rachat de leurs esclaves;
3) l'abolition de l'esclavage;
4) la paix avec les Pays-Bas.

Selon une note du gouvernement des États-Unis, " l'United States ship Constitution " frégate de 53 mètres de long jaugeant 2 200 tonnes ayant une autonomie en vivres et eau de 6 mois, prend part avec ses 450 hommes d'équipage aux opérations contre les corsaires de Tripoli, d'Alger et de Tunis en s'approchant à certaines occasions à proximité des forces et installations portuaires ennemies.

C'est ainsi, que bien que n'ayant jamais eu de blindage, le " Constitution " a reçu le surnom de " vieux cuirassé ".

 

Troisième partie

 

Le financement des transactions commerciales internes

A l'intérieur de la Régence, la monnaie métallique devait faire face aux besoins de la plupart des transactions engagées aussi bien pour le commerce intérieur que pour ceux du commerce extérieur. Soumise depuis trois siècles à la domination turque, mais devenue indépendante, la Régence d'Alger battait monnaie. La frappe était contrôlée par un haut fonctionnaire l'Amin es Sekka.

La monnaie de compte était la pataque-chique ou real drahem seghar, divisé en huit mouzounes.

La monnaie réelle d'argent; le " real boudjou ". Celle d'or le sequin soltani celle de billon (5) et de cuivre le quaroub et l'aspre-chique. La frappe libre pour les pièces d'or au titre légal, était réservée pour l'argent.

Venture de Paradis, disait à la fin du XVIIIe siècle " Les juifs qui afferment pour 2 000 pataques, le magasin où l'on bat la monnaie, travaillent gratis pour le beylick, qui a seul le droit de frapper des pièces d'argent. II accorde aux grands, cette permission pour une petite somme. Pour les sequins (monnaie d'or au titre) chacun est libre d'en faire battre

Le service de la monnaie d'Alger était situé dans un petit bâtiment adossé au palais de la Jenina à l'entrée de la rue du Divan. C'est en 1817, que le trésor devait être transféré sur ordre du dey Ali, de la Jenina à la Casbah où il se trouvait encore en 1830. " Un jour le dey fit donner l'ordre aux habitants d'Alger de fermer les portes de leurs maisons de bonne heure; il fit aussi fermer les casernes et s'étant procuré un grand nombre de mulets, il fit transporter pendant la nuit à la casbah, où il s'était rendu lui-même, accompagné d'une troupe attachée à sa personne, tous les trésors d'Alger qui se trouvaient dans le local de l'ancien pacha. Lors du transport des richesses à la casbah il y eut de graves déprédations de la part de ses ministres et des courtisans. " (6)

Le transport du trésor de la Jenina à la Casbah par le dey Ali en 1817, nécessita 76 voyages de mulets pour l'or et 1 400 pour l'argent; la charge de chaque bête étant en moyenne de trois quintaux, la somme transportée fut, selon toute vraisemblance, en or de 34 500 000 francs environ et en argent de 30 500 000 francs environ.

 

TYPES DE MONNAIES ALGERIENNES
FRAPPEES DANS LA REGENCE D'ALGER

de 1141 à 1240 de l'hégire (1731-1824)

 

 

 

 ______A_______________B_______

Ryal-Boudjou (Argent)

 

a) frappé à Alger 1238
b) le Souverain des Deux Continents et le Monarque des Deux Mers le Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire

 

______A_______________B_______

Patate Chique ou piècette ancienne

 

Ou Rebya'h-Boudjou (typre très ancien) Argent
a) Sultan Mustapha
b) Frappé à Alger 1185

 ______A_______________B_______

Zoudj Drahem Seghar
(Deux Aspres-Chiques valant un peu
plus d'un demi centime) Cuivre
a) frappé à Alger 1237
b) Sultan Mahmoud

 

 ______A_______________B_______

Qaroub (3 centimes 7/8)

 

Cuivre blanchi
a) frappé à Alger 1237
b) Sultan Mahmoud

 

 ______A_______________B_______

Zoudj Boudjou ou Double-Boudjou

 

Ou piastre d'Alger (Douro fy Djezayr) Argent
a) frappé à Alger 1238
b) le Souverain des Deux Continents
et le Monarque des Deux Mers le Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire

 

 

 ______A_______________B_______

Khamséh Drahem Seghar

 

(5 aspres chiques-environ 1 centime et 1/3) Cuivre
a) frappé à Alger 1237
b) Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire Khan que Dieu illustre sa victoire

 ______A_______________B_______

Nouss Soultany (Demi sequin) Or (type ancien)

a) Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire
b) Et le secours frappé à Alger 1144

 

 

 ______A_______________B_______

Soultany (sequin d'Alger) Or

a) le Souverain des Deux Continents
et le Monarque des Deux Mers le Sultan fils de Sultan
b) Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire frappé en 1237à Alger

 

 ______A_______________B_______

Nouss Soultany (Demi sequin) Or (type ancien)

 

a) Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire
b) Et le secours frappé à Alger 1144

 

 ______A_______________B_______

Nouss Soultany (Demi sequin) Or

a) frappé à Alger 1237
b) Sultan Mahmoud Khan que Dieu illustre sa victoire

 ______A_______________B_______

Rouba'ah - Soultany (quart de sequin)

a) frappé à Alger 1240
b) Sultan Mahmoud

 

 

Activité de la Monnaie d'Alger

Très active, la Monnaie d'Alger, remettait au dey des quantités importantes d'espèces fabriquées à partir d'objets d'or et d'argent achetés aux habitants. Pour la presque totalité ces objets provenaient de la course.

Dans son Esquisse de l'État d'Alger, traduit de l'anglais par Blanchi en 1830, William Shaler, consul des États-Unis avant 1830, écrivait; " Alger a joui pendant 300 ans, du privilège de piller à sa fantaisie le monde du commerce. La conséquence de cet état, a été, une grande accumulation de richesses dans cette ville de pirates et on doit la regarder comme une des plus riches du monde en espèces et en bijoux.

A ces produits de la course venaient s'ajouter les sommes versées en espèces par les deys de Constantine, du Titteri, et d'Oran ainsi que celles que payaient les nations européennes à titre de rachat du droit de piraterie.

Le contrôle des changes

Le dey d'Alger, contrôlait étroitement les mouvements de l'or qui étaient exclusivement réservé pour les règlements extérieurs. A l'intérieur de la Régence, la circulation de monnaie concernait surtout les pièces d'argent. Dans certaines régions, l'or était presque inconnu. Dans la zone où opérait la Compagnie Royale d'Afrique, un cheik déclarait que ses sujets connaissaient si peu l'or, qu'ils préféraient une piastre à une portugaise (7) encore appelée moko.

Les dépréciations de la monnaie

Dés 1741, le directeur de la Compagnie Royale Française constatait qu'il était impossible de se servir de la monnaie d'Alger, si petite et si difficile à accepter et à transporter, si embarrassante que jamais les Maures ne se résoudront à la prendre; de sorte qu'il ne faut pas compter sur elle pour un commerce considérable.

La fausse monnaie

La circulation monétaire algérienne était de plus, dépréciée par une abondante fabrication de pièces fausses. II était en effet un temps où presque toute la monnaie de la Régence était fausse ou altérée, ne renfermant qu'un cinquième de poids légal de métal fin. Cette mauvaise monnaie chassait la bonne qui seule pouvait être utilisée pour les règlements à l'étranger et était de préférence thésaurisée.

C'est en Kabylie, dans les villages d'Aît-el-Arba et d'Ali-ou-Haroboua que cette fausse monnaie était fabriquée.

En 1845, le Moniteur Universel, donnait les renseignements suivants en son numéro 157 du 6 juin 1845 ; "La position du repaire de ces faux monnayeurs est au sommet d'une montagne protégée par un défilé étroit et presque inaccessible. Là, à l'abri de toute incursion ils imitent les monnaies de cuivre, d'argent et d'or de tous les pays du monde. Les matières premières leur sont fournies par des mines voisines dont l'une est située prés de Msibah. Les hommes des Beni-Yenni, des Beni-Menguilleh, des Beni-Boudrar et des Beni-Ouassif étaient ordinairement chargés de l'écoulement de la fausse monnaie.

La répression contre les faux monnayeurs

En 1827, la fausse monnaie s'était multipliée en Algérie de façon considérable. L'Agha Yahia qui jouissait à Alger d'une grande réputation d'intégrité fit arrêter le même jour sur les marchés d'Alger, de Constantine, et de Bône, les hommes de toutes les tribus connues pour se livrer à l'émission de fausse monnaie " on devait incarcérer une centaine d'individus que le pacha annonça devoir mettre à mort, si on ne lui livrait pas les moules et matrices qui servaient à la fabrication "

Tout homme émettant de la fausse monnaie était immédiatement mis à mort sans procès, bien que certains auteurs aient pu affirmer que seuls étaient punis ceux qui contrefaisaient les monnaies algériennes. L'émission de fausse monnaie était d'ailleurs le seul délit pour lequel la justice était inexorable et dans lequel, l'argent, qui permettait de racheter tous les autres crimes restait sans effet.

Les monnaies étrangères ayant cours en Algérie

En raison de cette situation, la monnaie étrangère circulait concurremment avec la monnaie algérienne. Parmi ces pièces étrangères M. P. Ernest Picard, directeur général de la Banque de l'Algérie, signale la présence en assez grandes quantités d'espèces égyptiennes d'argent et d'or. La monnaie tunisienne se rencontrait dans la région de Constantine; la marocaine dans celle d'Oran, où elle tenait une place importante. Dans le sud oranais et à défaut de monnaie il était d'usage de solder les achats avec de l'or en poudre, mais partout c'était la monnaie d'argent espagnole qui dominait.

La monnaie espagnole

Parmi les pièces espagnoles couramment admises, il y avait des piastres mexicaines dites piastres à colonnes (Hou-Medfaa). Cependant les rois d'Espagne, voulant par la suite faire obstacle au libre trafic de leurs monnaies firent frapper des piastres neuves d'un nouveau type. Devant le refus des Algériens d'accepter ces pièces, il s'ensuivit une pénurie de pièces qui devait amener la Compagnie Royale d'Afrique à proposer et à obtenir en 1768, l'autorisation du dey d'Alger, de faire frapper à la monnaie d'Aix-en-Provence des jetons d'argent au titre des piastres à colonnes. Mais ce fut en vain, les nouvelles pièces devaient être refusées (8).

Le rognage des pièces

En raison d'une situation sans issue possible, les piastres neuves espagnoles devaient être acceptées dès 1779. Mais ces nouvelles piastres espagnoles, pas plus d'ailleurs que les anciennes ne circuleront telles qu'elles étaient fondues. Les unes et les autres étaient réduites à un poids déterminé par les usages, poids qui variait suivant les régions. La coupe des piastres est pendant longtemps faite à la main. Étant irrégulières de forme, les fraudeurs les rognaient à nouveau sans que l'on puisse s'en apercevoir facilement; ainsi l'utilisation des balances était elle nécessaire.

Selon M. P. Ernest Picard, à la Calle, la piastre devait peser 18 deniers et 16 grains. A Bône, 16 deniers et 19 grains à Collo 16 deniers, 4 grains.

L'évocation d'un passé récent

La piastre espagnole restera pendant longtemps une monnaie appréciée. C'est cette même monnaie espagnole qui, jusqu'en 1930, donnera dans la pratique son nom aux unités de compte en usage dans le commerce: piastre, réal, douro.

L'étymologie des mots

Certains termes en usage en Algérie, avant 1830, comme " hawala ", " pataques-chique ", " quaroub ", sont ils à l'origine des mots français dérivés à l'arabe ? Nous soulevons cette éventualité en laissant aux chercheurs, arabisants ou économistes le soin de trancher.

Certains de ces mots sont passés dans le langage courant comme, aval et carat, d'autres comme pataques et chiques sont utilisés dans le sens familier.

 

Quatrième partie

 

Une évaluation des monnaies algériennes préalable au débarquement

Dans une note rédigée sur les monnaies d'Alger, à la demande de M. Firino, payeur général de l'armée, M. Tocchi, fonctionnaire de l'administration qui avait réuni une collection de pièces barbaresques, relève que leur taille et leur titre sont très irréguliers. " Un kilo de zoudj-boudoux a cours pour 188,56 F, le kilo de rial-boudjoux ne passe que pour 184,56 F, le kilo de 1/2 pataque-chique vaut nominalement 194,50 F. "

D'après M. E. Tocchi, cité par M. P. Ernest Picard les contrôles effectués en 1830 dans la circulation monétaire d'Alger firent ressortir d'appréciables proportions de pièces fausses variant de 3 °/°° pour les pataques-chiques à 4 % pour les rébya-boudjoux.

Le 29 avril 1830, une commission composée du baron Denniée, de MM. Firino, Bricogne, receveur des finances, Alexandre Duval, consul de France, Picard, directeur de la monnaie et Tocchi fonctionnaire de l'administration, est constituée.

Étant, dans l'impossibilité de déterminer avec certitude les altérations de chaque catégorie de pièces, cette commission évaluera à 8,37 F le sequin soltani.

L'évaluation des monnaies Algériennes

Avant même le départ du corps expéditionnaire, le gouvernement français fixe dés le 7 mai 1830, le tarif proposé par la commission d'évaluation des monnaies de la Régence.

A partir du sequin d'or évalué à 8,37 F, les 13 pataques 1 /2 qui le composent, ont une valeur unitaire de 0,62 F. Compte-tenu du rapport existant à cette époque entre les diverses monnaies, le boudjou valait 3 pataques-chiques ou 24 mouzounes soit 1,86 F.

- Le quaroub, 1/16e de pataque-chique soit 0,0387 F.

- L'aspre-chique, 1 /232e de pataque-chique soit 0,00267 F (9).

Un barème comparatif de la valeur réciproque des monnaies du pays d'Alger et des monnaies de France est alors publié à Marseille dés le 7 mai 1830.

Ce tableau des valeurs de change à en-tête du Ministère des finances est signé par le général commandant en chef, comte de Bourmont et par chacun des membres de la commission.

Le trésor de l'expédition

Le gouvernement français ayant défini la manière dont seraient effectués les règlements des achats du corps expéditionnaire confiait au général en chef et à l'intendant en chef Denniée, un budget de 1 999 720 francs, ainsi que 200 000 piastres espagnoles dont la valeur d'échange était fixée à 5,40 F. Immédiatement après le débarquement et avec le départ de l'aristocratie militaire turque, la masse monétaire algérienne de 5 285 609 F devait suffire au règlement des achats et au paiement des soldes des hommes de troupe jusqu'au mois de décembre. Firino insistait d'ailleurs dans une de ses lettres sur l'utilité de l'emploi des monnaies algériennes.

" Leur écoulement me paraît nécessaire aux intendants du Trésor et, pour l'obtenir d'une manière certaine, il fallait enlever toute éventuelle concurrence avec des espèces de meilleur aloi. Je renouvelle dans la même intention à tous mes préposés, l'ordre de n'appliquer les traites du Trésor qu'au paiement des appointements des officiers et employés qui ont des fonds à faire passer en France."

L'expérience démontra que le tarif arrêté le 7 mai 1830 correspondait à la réalité. Pour faire face à tous les besoins, Firino demanda seulement au ministre, 3 millions de traites (10). En conséquence, les devises françaises et espagnoles qui avaient été embarquées devaient rapidement être réexpédiées en France.

La substitution de la monnaie française à celle d'Alger

Ainsi malgré leur abondance quelque peu gênante les pièces de la monnaie algérienne sont progressivement rachetées au pair par le Trésor français. Ce rachat s'est effectué en règlement des fournitures faites par des entreprises françaises au commerce algérien, dont la balance était d'ailleurs fortement déficitaire. Selon les archives nationales, le payeur en chef de l'armée écrivait le 27 janvier 1832 au baron Pichon, intendant civil à Alger: " Les petites monnaies algériennes étaient très abondantes sur la place d'Alger lorsque nous y sommes entrés. J'en ai, depuis émis pour environ, 600 000 francs qui se trouvaient dans le Trésor de la Casbah. La circulation était telle, au mois d'avril dernier qu'elles se trouvaient même trop abondantes. Cependant, et contre toute prévision, au mois de juillet suivant, non seulement il n'existait plus de ces petites monnaies sur la place, mais toutes les monnaies algériennes avaient disparu. La plus grande partie des cinq millions de boudjoux et double-boudjoux, émis ont été transportés en France pour y être fondus, le commerce trouvant quelques avantages à cette spéculation qui lui procurait des fonds en France au pair, alors que le change était très élevé.

Cette raréfaction des pièces algériennes, qui n'étaient pas encore remplacées par la monnaie française (11), était attribuée par le payeur en chef Grillet, d'une part à l'habitude qu'ont les Arabes d'enfouir tout l'argent qu'ils se procurent, et ils s'en procuraient alors en grande quantité par la vente à des prix 4 à 6 fois plus élevés, des denrées nécessaires au ravitaillement et d'autre part à l'accaparement de ces monnaies algériennes en vue de la revente avec un fort bénéfice lorsque leur absence serait un obstacle sérieux aux transactions journalières.

Difficile pénétration de la monnaie française

II y eut par la suite une longue période d'incertitude ou il était envisagé de frapper des monnaies algériennes afin de réprimer l'émission des pièces fausses.

De plus dès 1831, le bey de Constantine, battait sa propre monnaie et de son côté Abd-el-Kader faisait demander dés 1834 au général Drouet d'Erlon, les matrices de l'ancienne Régence pour s'en servir et battre sa propre monnaie.

En 1836, le Moniteur Algérien du 26 septembre observait un fait caractéristique. " Pour que nos monnaies de cuivre et d'argent aient cours chez les Kabyles et les tribus de l'intérieur, les Arabes leur font une empreinte particulière. Sur une pièce française de 0,05 F on lit d'un côté: " sultan Mahmoud " et de l'autre " frappé à Alger " en caractères arabes.

Enfin en 1838, Abd-el-Kader frappait à Tagdempt des pièces à son nom les " Mohammedia " en cuivre et en argent.

L'arrêté du 11 août 1851

Aucun doute ne subsistait plus sur la volonté du maintien de la France en Algérie, la monnaie nationale devait circuler sans difficulté dans l'ensemble du pays.

De plus, la France ne pouvait paraître cautionner le droit que s'étaient attribués Abd-el-Kader et le dey de Constantine de battre monnaie. Un arrêté du 11 août 1851, décide que les monnaies algériennes, la piastre d'Espagne et toutes les autres monnaies étrangères ne seraient plus admises sous aucun prétexte dans les caisses publiques de l'Algérie.

Pendant longtemps encore il y aura des soltanis et des boudjoux en circulation, surtout dans les pays limitrophes.

Mais peu à peu, ces pièces seront employées, selon Eudel à la confection de bijoux, de colliers, de garnitures de " chéchias " et de collections. En 1874, des faux monnayeurs en fabriquaient encore.

La pratique du crédit

Les transactions relatives à l'échange des produits du sol ou de l'artisanat font généralement l'objet d'opérations de troc direct ou indirect qui se déroulent sur les marchés.

A l'époque, avant 1830, le commerce intérieur dans son ensemble ne justifie pas un important recours au crédit. En outre, le droit musulman accentue encore la résistance que l'état économique du pays, oppose au développement des emprunts entre particuliers. C'est ainsi que le crédit apparaît sous la forme très rudimentaire d'un prêt direct. Or celui-ci se confond facilement avec l'usure. La religion musulmane qui condamne l'usure a pratiquement interdit le prêt à intérêt.

"Ceux qui avaient le produit de l'usure, se lèveront au jour de la résurrection comme celui que Satan a souillé de son contact. Et cela parce qu'ils disent " l'usure est la même chose que la vente, Dieu a permis la vente, il a interdit l'usure. " (Verset 276, chapitre Il du Coran.)

Les nécessités de la vie pratique, inspireront par la suite, hommes d'affaires et juristes musulmans pour ouvrir la voie à des accommodements.

Le prêt avec intérêt, se dissimule alors sous la forme d'un prêt sur gages; en apparence sans intérêt. Cependant ce prêt sur gages mobiliers ou immobiliers, laisse le champ libre à des pratiques usuraires, dénoncées par les musulmans parce que si néfastes qu'elles entraînaient la ruine du débiteur.

Sur la voie pacifique de la modernisation de l'économie en Algérie

Au-delà des nombreuses péripéties qui ont émaillé le processus de changement des monnaies en Algérie.

Au-delà, du moment où la monnaie française peut être considérée comme totalement substituée à l'ancienne monnaie algérienne, l'arrêté du 11 août 1851 marque bien la mise en place d'un embryon d'organisation bancaire et la naissance d'une monnaie fiduciaire.

Par la suite l'organisation bancaire ne cessera, non sans d'inévitables tâtonnements successifs et d'expériences parfois très douloureuses, qui ont compromis la solidité de fortunes privées, de s'adapter aux réalités et aux besoins économiques de l'Algérie de 1851 à 1962.

Ainsi, il faudra vingt années de 1830 à 1851 pour assurer en Algérie, la prééminence de la monnaie française dans la circulation locale, il faudra une période égale pour doter l'Algérie d'un établissement d'émission chargé d'assurer la circulation fiduciaire, de régulariser la distribution du crédit et de réduire les pratiques usuraires.

Edgar SCOTTI

(1) Payot, 1927, page 413.
(2) Selon André E., Sayous, cité par M. P. Ernest Picard, directeur de la Banque de l'Algérie.
(3) Rozet, capitaine au corps royal d'état-major, ingénieur géographe de l'Armée d'Afrique, Paris 1833.
(4) Paul Masson " A la veille d'une conquête, concessions et campagne d'Afrique 1800-1830. Bulletin de géographie historique descriptive, 1909.
(5) Billon : autrefois monnaie de cuivre mélangé avec un peu d'argent.
(6) Aperçu historique et statistique sur la Régence d'Alger, intitulé en arabe le Miroir, par Sid Hamdan ben Othman, Paris 1833.
(7) Archives de la chambre de commerce de Marseille; Compagnie Royale d'Afrique, dossier " piastres " mémoire de 1768.
(8) Selon P. Masson cité par P. Ernest Picard.
(9) D'après D. Shaw, dans ses " Voyages dans plusieurs provinces barbaresques ", le non d'aspre-chique, signifie chez les Turcs, denier blanc, les Grecs modernes l'appellent aspros qui signifie en général toutes sortes de monnaies d'argent blanc.
(10) Le payeur-général Firino, 1779-1868, pages 415-416.
(11) Archives nationales F. 80-928.

Références bibliographiques

- Département of the Navy, united states naval academy the muséum Annapolis, Maryland 21402-5034.
- La monnaie et le crédit en Algérie depuis 1830 par M.P. Ernest Picard, Directeur Général de la Banque de l'Algérie.
- L'Organisation bancaire en Algérie de M. Raoul Messerschmitt, secrétaire général de la société nord-africaine de réassurance.

In l'Algérianiste n°44 de décembre 1988

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