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Formation des cités du M'Zab au XI° siècle de l'ère chrétienne

Écrit par Raymond Féry. Associe a la categorie Période Islamique

DANS son livre "L'Algérie de Camus ", José Lenzini écrit à la page 107: " Comme les Mozabites chassés par le généra/ persan Ibn Rostim en 661, après le meurtre d'Ali, gendre du Prophète, Camus est en exil sur cette terre qu'il veut sienne mais dont il sent confusément qu'il n'y a pas de racine ".

Que d'erreurs en une seule phrase!

Faire d'Abd er Rahmane ibn Rostim (ou Roustem), fondateur de la dynastie religieuse des Rostémides, un général ennemi des "Mozabites ", voilà qui est singulier !... Et en 661 de surcroît, date à laquelle ni Ibn Roustem, ni les cités du M'Zab n'avaient encore vu le jour.

Que M. Lenzini n'a-t-il, avant d'écrire ces lignes, consulté l'œuvre fondamentale d'Emile Masqueray, " Formation de cités chez les populations sédentaires de l'Algérie, Kabyles du Djurdjura, Chaouïa de l'Aurès, Béni Mezab " (Paris 1886), œuvre publiée à nouveau en 1983 par son propre éditeur (Edisud)? S'il avait eu la sagesse de vérifier les faits historiques qu'il se proposait de rapporter et dont il n'avait qu'une notion très approximative, il aurait appris ce qui suit :

1. Abd er Rahman ibn Rostem, persan il est vrai, bien loin que d'avoir " chassé " les " Mozabites ", fut le chef religieux de leurs ancêtres ouahabites lorsque ces derniers " avaient cru le moment venu de rétablir " l'état de défense ", de fonder à nouveau le royaume de Dieu, en un mot d'élire un imâm. Le premier fut Abou el Khottab; le second Abd er Rahman ben Roustem ".

(Masqueray, op. cit.)

2. En 740, Abd er Rahman ben Rostem " forcé de fuir Kirouân, dont Abou el Khottab l'avait fait gouverneur, s'enfonça dans l'ouest et ne s'arrêta qu'à Tiaret, mais là il bâtit la Jérusalem du Ouahbisme " (Masqueray), connue sous le nom de Tahert. II y fonda la dynastie théocratique des Rostémides. Ses fils Abd el Ouahab, Felah, Mohamed et Abou Baker lui succédèrent et furent des chefs religieux d'une simplicité toute monastique et non des souverains au seul pouvoir temporel. Mais des schismes naquirent et les Ouahabites se divisèrent.

3. " En 900 le Ouahbisme avait fait son œuvre il se détruisait lui-même ",

(Masqueray). Un nouveau chef religieux, appartenant aux Ketama, établis aux environs de Constantine et de Sétif, le Mahdi Obeïd Allah se présenta alors et son lieutenant Abd Allah marcha sur Tahert dans l'intention de la détruire et d'en finir avec Ouahabites. Ce que voyant, leur imâm "rassembla le petit nombre d'Ibâdites qui lui restaient fidèles, en prit le commandement leur ordonna de " sortir " comme autrefois les Kharedjites, leurs ancêtres religieux étaient sortis de Koufa et de Bassora. Il leur fit tourner le dos au monde corrompu, indiquant la direction du sud et, pendant tout cet exode, il se tint à l'arrière garde pour recevoir les premiers coups de l'ennemi, s'il s'acharnait à les suivre " (Masqueray).

4. En 911, ce premier exode conduisit les Kharedjites (devenus Ouahabites, puis lbâdites) à Ouargla, où règnent des fièvres terribles, où le désert environnant est d'une aridité absolue... " C'est là que nos lbâdites s'arrêtèrent, avec la mâle résolution de fertiliser le sol et de conserver le dépôt de leur foi, loin de ceux auxquels le décret d'Allah livrait désormais le monde. L'imâm consacra ce renoncement par son exemple... il abdiqua, laissant aux docteurs le soin d'entretenir la religion dans les âmes. Rien ne put modifier sa résolution et il mourut longtemps après, ayant creusé son puits et cultivé son jardin comme tous ses frères ". (Masqueray). Ainsi fut créée la cité de Sédrata.

 

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Et le M'Zab dans toute cette histoire, qu'en est-il ? Nous y arrivons, mais un siècle s'est encore écoulé depuis la destruction de Tahert et le début du premier exode. Nous sommes maintenant au milieu du Xle siècle de l'ère chrétienne et les Ouahabites et leurs descendants religieux les Ibâdites vont être victimes de nouvelles persécutions.

5. En 1078, Sédrata sera détruite à son tour et les Ibâdites entreprendront un nouvel et dernier exode. Ils finiront par s'installer dans l'Oued M'Zab... " une Thébaïde calcinée par le soleil, sans végétation, sans humidité, déchirée en mille sens par des ravins sans ombre... cette " chebka " , ce filet du Mezâb (Masqueray). Nos puritains exercés à des travaux plus rudes dans le bassin d'Ouargla, imaginèrent de barrer la route aux eaux sauvages qui jusqu'à leur arrivée roulaient librement dans la gouttière de l'Oued M'Zab. Ils construisirent des digues en travers de l'oued. Alors les crues, pour exceptionnelles qu'elles fussent, allèrent grossir la nappe souterraine, créant une réserve d'eau presque inépuisable. " Des centaines de puits criblèrent la roche et les eaux, élevées par un système de traction fort ingénieux furent répandues sur le sol quelles fécondèrent " (Masqueray).

Ainsi naquit la pentapole des cinq Ksour du M'Zab : Ghardaïa, Béni Isguen, Mélika, Bou Noura et El Ateuf. Plus tard, Guerrara et Bériane vinrent compléter la confédération des cités mozabites. II est permis dès lors de les appeler ainsi, mais il était prématuré de parler de " l'austère et superbe pentapole du M'Zab " dès 911, comme l'a fait José Lenzini, car à cette époque aucune cité n'avait encore été bâtie dans le désertique Oued M'Zab.

6. 1853 : dernier point d'histoire pour achever ce tableau de la confédération ibâdite : Les Mozabites se considèrent comme les citoyens de cités indépendantes, dans une république théocratique qui n'a pas de capitale. Quand le gouvernement français voulut leur imposer son protectorat, le Maréchal Randon adressa une "Lettre aux Beni Mezab " et c'est une députation des différentes cités qui vint à Laghouat présenter sa soumission, le 19 avril 1853.

 

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Au M'Zab, la présence française a donc duré à peine plus d'un siècle et n'a en rien modifié les us et coutumes de ses habitants. L'administration militaire, maintenue dans les Territoires du sud jusqu'à l'indépendance de l'Algérie, a respecté l'organisation, à caractère religieux, des cités.

II ne semble pas que la politique d'arabisation, conduite par les gouvernements qui se sont succédés à Alger depuis 1962 ait perturbé l'ordre des choses établi, contre vents et marées par le particularisme ibâdite.

Sans doute Ghardaïa, considérée comme chef-lieu administratif, a-t-elle vu s'implanter divers services et se développer des activités du secteur tertiaire, mais la ville ancienne, bâtie sur un piton autour de la mosquée dont le minaret pyramidal domine le paysage, maintient la tradition. Mieux, Béni Isguen, la ville sainte, et Mélika, ses deux plus proches voisines, ont conservé leur identité, doublement protégée par leurs enceintes et par la foi ibâdite.

La communauté mozabite, qui compte actuellement un peu plus de 100.000 âmes, connaît la prospérité, grâce au travail des hommes expatriés dans les villes du Tell, où ils détiennent une grande partie du commerce. Aujourd'hui le gaz naturel de Hassi R'Mel fournit des emplois aux jeunes générations et les Mozabites tiennent un rôle important dans le secteur économique de l'Algérie nouvelle.

Raymond FÉRY

N.B. La transcription des mots arabes varie selon les auteurs. Masqueray, par exemple, écrit: Abd er Rahman ben Rostem, les Béni Mezab, les Ouahabites... d'autres écrivent Abd el Rahman ibn Rostim, les Béni M'zab, les Ouahabites etc. et lorsqu'on adopte la transcription internationale, inspirée par les auteurs anglo-saxons, il devient difficile pour un Français de prononcer correctement les mots arabes. C'est pourquoi nous avons conservé la transcription en usage à l'époque de l'Algérie française.

Pour en savoir plus, à propos du M'Zab, on peut consulter :

- Bousquet (G.H.), " Les Berbères", Paris, P.U.F., 1974.
- Camps (G.), " Berbères aux marges de l'histoire ", Toulouse 1983.
- Despois (J.), " L'Afrique du Nord ", Paris, P.U.F., 1949.
- Gautier (E.F.), " Les siècles obscurs du Maghreb ", Paris 1964.
- Gsell (St.), " Histoire ancienne de l'Afrique du Nord ", Paris.
- Ibn Khaldoun, " Histoire des Berbères ", traduc. de Slane, Paris.
- Marçais (G.), " La Berbérie musulmane ", Paris 1946.
- Masqueray (E.), " Formation des cités chez les populations sédentaires de l'Algérie ", Aix-en-Provence, 1983 (réédit.).

In l'Algérianiste n° 42 de juin 1988

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