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L'aventure vandale en Afrique

Écrit par Raymonde Bourgeois. Associe a la categorie Antiquité

Venus de Scandinavie pour chasser les Romains, installés en Afrique depuis plusieurs siècles, telle est l'étonnante aventure qu'ont connue les Vandales. Raymonde Bourgeois, qui leur a consacré une importante étude, nous raconte ici comment ils sont arrivés dans ces provinces romaines ruinant en peu de temps une civilisation qui paraissait pourtant éternelle.

Genséric, roi des Vandales au Ve siècle, a presque aussi mauvaise réputation qu'Attila, roi des Huns. Pour nous, Algériens français, Français d'Algérie, Pieds-Noirs... cette réputation semble largement justifiée, mais peut-être pas exactement pour les raisons que l'on donne d'habitude.
En fait ces grands Barbares blonds aux yeux bleus ne furent ni plus ni moins terribles que les autres Barbares qui, aux premiers siècles de l'ère chrétienne déferlèrent, venant du nord, sur les territoires de l'Europe romaine. Mais les Vandales, conduits par leur roi Genséric, traversèrent un jour funeste le détroit de Gibraltar et occupèrent durant un bon siècle notre Afrique du Nord qui, de ce fait, fut durant cette période un véritable royaume vandale.
Or, ce royaume barbare, nous ne pouvons l'ignorer, car la civilisation romaine est morte en Afrique avec les Vandales, à cause d'eux. Cela paraît bien établi aujourd'hui. Et si cette chose d'importance énorme s'est produite, l'entrée de l'Afrique du Nord dans la civilisation orientale et musulmane, c'est bien, en bonne partie, à cause des Vandales. L'on ne peut douter en effet que Genséric et son peuple, faisant table rase, préparèrent l'Afrique du Nord à la conquête arabe.
Ils étaient, en vérité, bien peu faits pour habiter l'Afrique, bien peu destinés à coloniser ces contrées de l'autre bord méditerranéen au climat relativement aride et chaud, ces blonds nordiques !.. Ils y sont venus par un « coup d'audace désespérée»  fuyant devant d'autres Barbares germains ennemis, après des siècles de pérégrinations européennes.
Leur dernière halte avait été l'Espagne. Là, ils se sont donné pour roi Genséric, peut-être le plus remarquable des généraux et chefs d'Etat germains du Ve siècle. Et ce séjour sur les rivages espagnols va leur apporter (ou leur redonner) une science remarquable des choses de la mer.
Et, second fait capital pour la suite de l'aventure vandale, aussitôt Genséric élu roi, l'Espagne du sud se trouve à nouveau menacée par les hordes gothiques.
Les Wisigoths sont annoncés, les Wisigoths arrivent !...
Les Vandales, numériquement très inférieurs, semble-t-il, ne peuvent songer à résister. Cela devient une question de vie ou de mort. Il faut donc quitter la douceur de la Bétique et les rives hospitalières de l'Espagne.
Mais où fuir ? L'Afrique est en face, après tout, pas très éloignée avec de solides navires, l'Afrique, colonie de Rome, proie magnifique et encore intacte, jusque là épargnée, que Genséric devine, et espère, mal défendue.

L'embarquement pour l'Afrique

Les dés sont jetés ! Aléa jacta est ! Les Vandales, s'ils ne veulent pas périr, partiront à la conquête de l'Afrique. L'Afrique, d'ailleurs terre du blé et de l'huile, terre promise ! En mai 429, la mer étant favorable, la tribu entière, 80.000 Vandales, disent les chroniqueurs, femmes, vieillards, petits enfants et esclaves, 16.000 guerriers environ, effectif maximum courant d'une armée barbare, s'embarque sur les navires de Genséric.
Soulignons avec une nuance d'admiration combien était hardie, insensée même, cette entreprise : embarquer tout un peuple et tout ce qui pouvait être la fortune de ce peuple, chevaux, chariots, bétail, vêtements, outils, armes et bijoux, embarquer tout un peuple, et cela au Ve siècle, sans possibilité de retraite, sans esprit de retour, pour le conduire à une conquête après tout bien incertaine !
Et pour conquérir et garder l'Afrique romaine peuplée de quelque huit millions d'habitants — car il semble bien établi que le projet de Genséric qu'il a réalisé, n'est pas de traverser l'Afrique du Nord en fléau de Dieu, mais d'y installer son peuple à demeure — pour conquérir l'Afrique, 3000 km de Tanger à Carthage, les Vandales ont 16.000 guerriers !
Nous sommes donc en mai 429, par le détroit de Gibraltar, les côtes africaines sont atteintes sans encombre — et l'on a de bonnes raisons de croire que Genséric s'était déjà assuré quelques points de chute à Septem (Ceuta) et Tingis (Tanger).
Quoi qu'il en soit, dix ans plus tard, prenant Carthage, les Vandales se trouvent maîtres de l'Afrique romaine « qui s'écroule d'un bloc » dit Charles-André Julien. L'exploit est tout à fait extraordinaire et unique dans l'histoire des Barbares. Aucune bande n'est allée si loin ; aucune même n'avait jusqu'alors réussi à traverser la Méditerranée.
Mais les Vandales arrivaient en Afrique romaine poussés par l'énergie du désespoir, donc animés d'une force extraordinaire et, de plus, ils trouvaient en face d'eux un pays aux prises avec un certain nombre de difficultés intérieures.
Personne ne songe à nier, par exemple, la réalité des soulèvements chroniques de certains Berbères mal latinisés. La réalité également des « jacqueries » périodiques... Une véritable haine de classe plus ou moins latente semble s'être alors développée parmi le peuple agricole envers ses maîtres qui vivent largement dans les cités.
Deux autres éléments importants interviennent. D'une part, une réelle crise économique se dessine car Rome n'assure plus l'écoulement des produits agricoles étant elle-même en proie à d'énormes difficultés (les Wisigoths sont aux portes de Rome, ne l'oublions pas !). D'autre part, l'expansion du christianisme va jouer un rôle important et les Vandales vont trouver, tant dans le peuple que dans les intellectuels chrétiens, des alliés inattendus.
C'est donc seulement, on peut bien le supposer, avec l'armée impériale chargée officiellement de la défense de l'Afrique du Nord que les Vandales ont à compter. Car, en 429, le gros des forces armées impériales est concentré en Italie, autour de Rome toujours menacée. L'essentiel de la flotte impériale protège les côtes italiennes.
Et puis, par ailleurs, il semble bien que l'entreprise des Vandales paraît tellement chimérique à l'administration romaine qu'elle n'y croit guère, qu'elle ne juge pas nécessaire de prendre des mesures exceptionnelles de défense...

La longue marche africaine de Genséric

L'armée vandale et tout le peuple de Genséric touchent donc sains et saufs, en mai 429, la côte africaine, après le franchissement sinon très rapide, du moins réussi, du détroit de Gibraltar.
Ceuta et Tanger sont occupées. On a de bonnes raisons de croire que, antérieurement, des « points d'appui » avaient été établis, le « terrain » comme nous disons en terme militaire assez soigneusement étudié. Après tout, la Tingitane n'était-elle pas alors une province espagnole ? Les Vandales ne tombent pas tout à fait en terra incognita, en terre inconnue !... Là, des complices, des amis, ils en ont certainement.
Et puis, cela fait, ces premières bases consolidées, toute la horde reprend la mer et débarque en Oranie, probablement à Ad Fratres (Nemours). Coup de maître, coup de génie ! La voie maritime était la seule valable, certainement. Et nous savons bien que, durant les mois de juin et de juillet la Méditerranée occidentale est aimable, généralement calme « sous le beau temps fixe ».
Genséric obtient un effet de surprise foudroyant. La tribu vandale en Oranie, le plus hasardeux est fait : il ne reste plus (ou à peu près) qu'à suivre les routes, les bonnes routes romaines et leurs larges pavés, celles qui traversent les régions riches et peuplées, jusqu'à Carthage ; les navires, équipages réduits, longeant les côtes à peu de distance, autant que possible, leur présence constituant un suprême recours en cas de revers.


Les Vandales (dessin d'après E.-F. Gautier).

Il est à supposer, bien que les chroniqueurs contemporains ne soient pas très précis sur le sujet, que Genséric s'empare chemin faisant, d'abord de Caesarea (Cherchell) port important, ville prospère encore. Il occupe ensuite les petits ports de la Mitidja : Tipasa (dont la légende dit que la population de pêcheurs, protégée par sainte Salsa, s'enfuit en totalité vers l'Espagne) et Icosium (El Djezaïr). Alors la horde s'écarte sans doute de la côte, les hauts massifs de ce que nous appelons Kabylies aujourd'hui, restant inaccessibles. Elle se dirige vers le sud, suivant la route romaine, occupant Lemdia (Médéa), Auzia (Aumale), Sitifis (Sétif). Et il semble bien que, sans avoir à livrer une seule grande bataille rangée, les Vandales sont sous les murs d'Hippone (Bône) un an plus tard, en juin 430. Cela nous le savons précisément, grâce aux documents laissés par saint Augustin.

Blocus et prise d'Hippone

Hippone, ville importante, évêché de saint Augustin (1) porte de Carthage en quelque sorte, qu'il faut défendre à tout prix. Mais l'armée impériale, pourtant bien commandée, paraît alors incapable de vaincre en rase campagne. Hippone sera donc défendue « de l'intérieur » par le courageux général Boniface. La ville va subir un terrible blocus de quatorze mois au bout desquels ses défenseurs capitulent, vaincus par la famine et les épidémies. Hippone, dit un historien africain contemporain, cité par E.-F. Gautier, « fut alors abandonnée par ses habitants et brûlée par les Barbares ». Mais remarquons en passant que la bibliothèque de saint Augustin nous a été conservée.
En août 431, donc, les Vandales sont maîtres d'Hippone et de son port. La progression vers Carthage va continuer. Pas de grandes batailles non plus, des escarmouches tout au plus. Quoiqu'il en soit, à la fin de l'année 431 les Vandales sont aux portes de Carthage.
Donc, à cette date, maîtres de l'Afrique du Nord, sauf Carthage et son port, sauf Cirta (Constantine) ville imprenable sur son rocher vertigineux, dont la possession n'offrait pas sans doute pour les Vandales un intérêt méritant de grands sacrifices.
En un peu plus de deux années la longue route a été parcourue ! Il faut penser que, pour les Vandales, marquer un temps d'arrêt a été alors bien nécessaire.

Violences et pillages

Certes, les Vandales n'ont sans doute pas eu à livrer de vraies batailles, au sens latin ou médiéval du mot et de la chose. Mais il faut bien essayer de se rendre compte de ce que cela pouvait être, et cela seulement, toutes les autres considérations mises à part, que la marche à travers un pays inconnu, souvent malsain, au climat rude, au soleil brûlant l'été, d'une telle marée humaine, avec tant de bouches à nourrir ; marée humaine nécessairement disciplinée, solidement tenue en main, mais tout de même ! Il fallait marcher vite, faire extrême diligence afin que joue au maximum l'effet de surprise ; mais pouvait-on accomplir plus de huit à dix kilomètres par jour ? Que l'on essaye donc d'imaginer la suite lourde, lente et cahotante des chariots barbares sur notre sol... difficile, sous notre soleil africain implacable.
Dans de telles conditions, vivre sur le pays (comprenons piller) est une nécessité vitale (accompagnée on peut le croire d'un plaisir peut-être vulgaire et brutal, mais certain !). Et l'on peut bien penser que les paysans exploités, donatistes et mécontents de toute espèce, se joignent avec une joie active aux envahisseurs. Voir les maîtres volés et « punis », plaisir de tous les temps !
Si l'on écoute les lamentations des contemporains, les horreurs de la guerre, les massacres et les épidémies n'épargnent alors ni les campagnes ni surtout les villes, pauvres villes assiégées où se réfugie toute la population avoisinante, où l'on meurt de faim et de maladies « au milieu des cadavres entassés ».
Selon un témoin oculaire cité par E.-F. Gautier : « Ceux qui se réfugiaient dans une forteresse étaient forcés de se rendre et massacrés. D'autres s'enfuyaient dans les montagnes, les forêts, les grottes et les cavernes ; et là, privés ou dépouillés de tout moyen de soutenir leur existence, finissaient par mourir de faim. »
Selon le même témoin, au moment où commence le siège d'Hippone, « ... des innombrables églises d'Afrique à peine trois restaient debout, c'étaient celles de Carthage, d'Hippone et de Cirta, qu'une protection spéciale de Dieu avaient jusqu'alors préservées de la ruine ». Dans un pareil « contexte » les actes de courage, allant jusqu'au martyre, ne manquèrent pas de chrétiens voulant sauver leur foi et leurs temples : évêques, clercs ou simples fidèles brûlés vifs sur le parvis de leur église ou, supplice raffiné, mourant la bouche remplie de plomb fondu...

Traité de paix avec l'Empire

Quoi qu'il en soit de la suite des événements, la longue résistance d'Hippone a certainement permis aux Impériaux de fortifier soigneusement Carthage, de la rendre imprenable, de la sauver pour un temps. Arrivés en Byzacène, à la pointe orientale de l'Afrique du Nord, Genséric semble donc renoncer à prendre Carthage. Il a grand besoin de repos et son peuple également. Dès lors la situation se stabilise ; les hostilités sont « au point mort ». On s'observe, on se supporte, on ne combat plus. Un modus vivendi s'établit qui va durer quatre années environ.
Et, en 435, désespérant de voir décamper les Vandales, l'Empire se résigne à la seule solution raisonnable : il se décide à signer un traité de paix. Les plénipotentiaires arrivent, l'on discute, et l'on marchande (un peu pour la forme !) et, au mois de février 435, le traité de paix est signé à Hippone.
Les Vandales deviennent une seconde fois (2) des fédérés de l'Empire, assujettis à un tribut (probablement payé en blé). Ils reçoivent des terres, pouvant occuper librement les Mauritanies et une partie de la Numidie avec Calama (Guelma). Genséric, roi des Vandales, devient fonctionnaire et général de l'Empire dont l'intégrité est ainsi théoriquement sauvée. Pour gage de sa loyauté le roi donne son fils Huneric parmi les otages que l'on embarque pour l'Italie.
Pratiquement, les Barbares ont atteint leur but de guerre, ils sont chez eux en Afrique. Victoire extraordinaire quand on y songe, bien que la non possession de Carthage, dernier et prestigieux bastion de l'Afrique romaine auquel l'Empire s'accroche, soit une sérieuse limitation à leur succès. Limitation dont Genséric a parfaitement conscience, n'en doutons pas.

Prise de Carthage

Genséric s'installe à Hippone qu'il prend pour capitale Le port accueille la flotte vandale. Et le roi, habile à dissimuler ses intentions perfides, attend le moment propice pour rompre ce traité qu'il considère, en fait, comme une simple trêve.
De fait, en octobre 439, ayant reconstitué son armée et sa flotte — et récupéré son fils, notons bien ! — il lance ses guerriers sur Carthage qui reposait sans méfiance et sans inquiétude, sur la foi du pacte signé. La ville-métropole, refuge du gouvernement latin, est prise « presque sans coup férir ». L'Empire ne se doutait de rien, la garnison et la flotte byzantines étaient... ailleurs, loin de l'Afrique en tout cas.
Carthage soumise, il n'est plus question des Romains. Genséric, faisant ce qu'aucun roi germain n'avait fait avant lui, faisant acte d'autonomie complète, se déclare aussitôt Roi d'Afrique et de Carthage et l'année 439 est proclamée année première de l'ère de Genséric. Manifestation d'orgueil démesuré ? Ou plutôt, et surtout, déclaration de guerre à l'Empire ?
Instincts de domination et de conservation mêlés, et peut-être l'antipathie ancestrale pour le Romain, on serait tenté de dire le roumi, ressurgissent violemment, Genséric se sentant une âme punique a pu alors s'écrier, pourquoi pas : « L'an prochain... à Rome ! »
En fait, et durant un siècle, l'Afrique du Nord va être, événement historique prodigieux et lourd de conséquences, effectivement et sous cinq rois successifs, un puissant royaume vandale, organisé selon les coutumes germaniques.

Raymonde BOURGEOIS.

(1) Saint Augustin (354-430) né à Thagaste (Souk-Ahras), mort à Hippone, fut  l'un des plus célèbres parmi les pères de l'Eglise latine d'Afrique. Il écrivit,   entre autres, La Cité de Dieu, Les Confessions et le traité De la grâce. Sa mère était sainte Monique.
(2)La première fois, c'était en Espagne.

In : « l’Algérianiste » n° 13

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