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L’archéologie aérienne

Écrit par Pierre Jarrige. Associe a la categorie Antiquité


Après plus d'un siècle d'exploitation scientifique de ce qui fut l'Afrique romaine, après les investigations de détail et les travaux de synthèse des premiers explorateurs: officiers, fonctionnaires, voyageurs, archéologues et historiens, Stéphane Gsell, auteur du monumental Atlas archéologique de l'Algérie déclare: « Pour la période qui s'étend depuis la conquête romaine jusqu'à la fin de la domination byzantine, il faut, là où il n'est pas trop tard, procéder à l'inventaire complet et raisonné des ruines éparses de telle ou telle région

L'inventaire, mené par Louis Leschi, à la Direction des Antiquités, et par l'École de Rome, est lent, difficile et coûteux.

En décembre 1933, le professeur Maurice Reygasse, piloté par Charles Poulin et Pierre Averseng en Caudron Phalène, effectue, ainsi qu'il l'appelle, une « Mission dans la Préhistoire » au Sahara, à la suite de laquelle il déclare: « Je suis émerveillé des facilités de travail que donne l'avion. J'ai parcouru le Sahara en tous sens, en auto et à dos de chameau, et il m'aurait fallu six mois pour faire le même voyage avec des méhara. Et les régions que j'ai survolées après les avoir parcourues au pas lent des caravanes, il me semblait que je les voyais pour la première fois. De terre, on ne voit rien, on ne découvre rien. C'est d'avion seulement que l'on a l'impression vraie de la géographie physique ».


Gemellae – début des fouilles du Praetorium – vue aérienne oblique

Pierre Averseng et les précurseurs


À l'exemple des travaux d'archéologie aérienne du père jésuite Poidebard (observateur aérien de la Première Guerre) en Syrie, Pierre Averseng, agriculteur à El-Affroun, humaniste érudit et fin pilote, né à El-Affroun en 1906, entreprend en 1934, avec son Caudron Phalène F-AMKV, souvent accompagné du spécialiste du Sahara Alexandre Bernard, des reconnaissances dans le Sud algérien, en accord avec la Direction des Antiquités. Vivement intéressé par les résultats obtenus, Louis Leschi sollicite le concours de l'armée de l'air et des missions de photographies aériennes sont confiées, à partir de 1935, par le colonel Weiss, puis par le général Lacolley, aux lieutenants Fernand Piéchon et Schneider du 1er Groupe d'Aviation d'Afrique. Les documents photographiques obtenus sur la zone du limes de Numidie et sur les principaux sites archéologiques sont utilisés, dès 1938, pour des missions de recherche sur le terrain par Julien Guey et Gilbert Picard.


Jean Baradez


L'archéologie aérienne de l'Algérie, sous sa forme moderne, doit tout au colonel Jean Baradez. Né en 1895 à Nancy, ancien élève de l'Institut national agronomique, il est gravement blessé en 1916 et termine la guerre comme observateur en ballon captif et spécialiste de la recherche du renseignement aérien et de la photographie aérienne. Entre les deux guerres, il est chargé de nombreuses missions à l'étranger. Après un voyage à Addis-Abéba, il publie le livre En survolant cinquante siècles d'histoire, premier ouvrage consacré à l'archéologie aérienne. Colonel en 1939, devenu préfet en Algérie de 1940 à 1942, il prend la retraite en 1945 et se met à la disposition du Gouvernement général en se consacrant entièrement aux recherches archéologiques. En partant des travaux fragmentaires anciens et des photographies aériennes, Jean Baradez recherche et identifie les limites de l'Empire romain d'Afrique. Il accomplit, en trois ans, un travail énorme soutenu par Louis Leschi, toujours directeur des Antiquités d'Algérie, Louis Berton, directeur de l'Intérieur et des Beaux-Arts, Léon Lehuraux, directeur des Territoires du Sud, Georges Drouin, directeur du Service de l'hydraulique, Georges Gautier, chef des Services hydrologiques et aussi, bien entendu, par l'état-major de la Région aérienne et par le gouverneur général Edmond Naegelen. Seul, sans aucune équipe, aidé seulement de son épouse qui effectue une part importante de son secrétariat, Jean Baradez réunit les matériaux de l'ouvrage qu'il prépare. Il est à la fois, ou successivement, l'observateur en vol, le prospecteur en avion ou au sol, l'archéologue décidant le lieu des fouilles de contrôle, le dessinateur, le photographe, le mécanicien et le chauffeur de sa vieille Ford 1930. II met au point une nouvelle méthode de détection, il ne s'agit plus, comme auparavant, de rechercher du haut des airs des vestiges encore inconnus, de les photographier à moyenne ou basse altitude et de les situer approximativement sur une carte souvent incomplète ou schématique, mais bien de prendre à haute altitude des photographies de vastes étendues de terrains, puis d'en examiner attentivement les moindres détails, d'en faire jaillir les plus petits indices, de restituer l'aspect archéologique d'une contrée, d'y découvrir toutes les traces laissées par le passage, la présence et le travail de l'homme. Les heures de déchiffrement patient et obstiné alternent avec les missions aériennes et les journées de fouilles et de sondages sur des points essentiels.


Tipasa - colline de la Sainte-Salsa - vue aérienne


Fossatum africae


Après trois années de travail opiniâtre, Jean Baradez termine, en 1949, Fossatum africae, splendide ouvrage dédié à la mémoire du commandant Piéchon et du capitaine Schneider et édité par le Gouvernement général, ouvrage fondamental de l'archéologie aérienne en Algérie. Sous son titre, l'ouvrage de Jean Baradez évoque la plus surprenante des découvertes obtenues: l'ouvrage militaire qui, sur des centaines de kilomètres, borde le sud des provinces romaines d'Afrique. C'est le nom qu'il porte dans une Constitution du Code Théodosien (avril 409), le seul document de l'Antiquité qui aborde ce sujet.
La création du système défensif romain: forts, fortins, routes et fossés (fossatum), n'a pas eu pour unique conséquence de dresser une barrière contre les nomades réfractaires et pillards, mais de fixer, dans la zone ainsi organisée, une population d'agriculteurs sédentaires chargés à la fois d'entretenir les défenses et de mettre le sol en valeur, en exploitant au mieux les richesses naturelles.

Le travail essentiel de Jean Baradez porte sur le Fossatum, mais la photographie aérienne révèle toute l'organisation économique et sociale romaine de régions aujourd'hui quasi désertiques. L'étude de l'hydrologie agricole, révélée par les vues aériennes, apporte une notion nouvelle sur la mise en valeur des terres anciennes et sur la prospérité qui a suivi pendant plusieurs années de Pax romana.

Alors que Jean Baradez s'est limité au Sud algérien, de Tobna à la frontière tunisienne, sur plus de 750 kilomètres de fossé-frontière, l'armée de l'Air continuera la prospection avec des moyens importants (B26 et Flamant) et archivera les relevés photographiques.
Les études seront poursuivies a posteriori, par l'ambassadeur Pierre Morizot qui, après avoir travaillé sur les photographies conservées par le Service historique de l'armée de l'Air et prises entre 1956 et 1962, publiera, en 1997, le remarquable ouvrage: Archéologie aérienne de l’Aurès (CTHS).

Pierre Jarrige

Sur ce sujet, on peut également consulter l'article sur le limes romain de Maurice Crétot, l'algérianiste n°86 de juin 1999, p. 11 sqq, ainsi que le site Internet: www.aviation-algerie.com

In l’Algérianiste n° 103 de 2003

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