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Les Jeux et les spectacles de l'Afrique romaine (1)

Écrit par Maurice Crétot. Associe a la categorie Antiquité

L'évocation des jeux antiques est indissociable de celle de l'Empire romain qui ne les a pourtant pas inventés puisqu'ils existaient bien avant lui, un ou deux millénaires plus tôt, sous les Etrusques et les Grecs.

Les premiers ont le goût des compétitions violentes où le sang et la mort font partie du spectacle.

La préférence des seconds plus raffinés va aux efforts musculaires de leurs athlètes et à l'exemplarité de leurs démonstrations.
Leurs joutes sont affaires d'amateurs et leurs spectateurs ne comptent que des passionnés. Les pistes de leurs stades sont bien équipées mais les organisateurs ne recherchent la grande foule.

L'arène où se déroulent les jeux de la Grèce antique est conçue au creux d'une petite vallée et l'on aménage quelques gradins sommaires sur le flanc d'une colline.

Bien au contraire, Rome fera des jeux une démonstration de puissance et un outil politique.

L'aspect colossal et la somptueuse organisation du spectacle, les dimensions gigantesques des arènes de la Rome antique sont une démonstration brillante de la puissance de ses moyens.

Les jeux séduisent, impressionnent, occupent le peuple et facilitent l'exercice du pouvoir qui a pour souci permanent d'assurer le pain et la distraction (" panem et circenses ") du million de chômeurs dont l'inactivité pourrait constituer un danger.

Rappelons les paroles de l'empereur Aurélien à son peuple :
" ... Assistez aux Jeux publics, passez le temps aux courses tandis que nous nous occupons des affaires ; nous prenons pour nous la peine, soyez tout au plaisir... "

En outre, Rome introduit ses jeux dans tous les territoires annexés. Les peuples conquis supportent plus ou moins le joug impérial mais les jeux sont presque partout appréciés. Ainsi deviennent-ils un élément d'unité dans l'Empire et constituent-ils bien, à ce prix, un outil politique.

Rappelons qu'au temps de Claude, la population de l'Empire atteignait presque cent millions d'habitants et que toute ville de certaine importance possédait un cirque, un théâtre et un amphithéâtre. En outre, bon nombre de petites villes avaient au moins un théâtre et, en certaines provinces un de ces édifices était situé en pleine campagne pour répondre au besoin de plusieurs cités voisines.

Il en sera ainsi dans toute l'Afrique du Nord que Rome occupe pendant cinq siècles, de l'actuelle Tunisie aux rivages marocains. La romanisation y est profonde ; militairement encadrés et solidement administrés, reliés par un dense et actif réseau routier, les centres urbains s'y multiplient. Les légionnaires vétérans démobilisés en Afrique ainsi que les Berbères romanisés adoptent sans difficulté le style de vie et les loisirs de Rome et des provinces italiennes.

Les territoires africains connaîtront par conséquent les jeux et les spectacles auxquels Rome restera attachée pendant plusieurs siècles, jusqu'à leur suppression vers la fin de l'Empire par les successeurs de Constantin.

Comme dans les autres parties de l'Empire, les jeux principaux sont offerts par l'Etat. Ils font partie du culte, sont organisés par des magistrats et donnés à date régulière. C'est ainsi que le calendrier des fêtes prévoit des jeux en l'honneur de Cybèle et de Cérès.

Les jeux " apollinaires " sont ceux d'Apollon et les " capitolins " ceux de Jupiter. Les " floraux " dont le caractère licencieux ne fait aucun doute sont les jeux de Flore.

Quelques-uns sont donnés par des notables, voire de riches propriétaires pour célébrer un événement familial, une promotion sociale ou un succès politique.

Une pierre trouvée entre Sétif et Constantine révèle une mention épigraphique selon laquelle un nommé Caïus Julius Victor, édile et préfet du prétoire offre, un certain jour, des jeux à la population.

LES GRANDES VILLES AFRICAINES VIVENT, ON LE VOIT, À L'HEURE DE LA CAPITALE.

Les courses de chevaux et de chars constituent le spectacle des cirques dont les grandes enceintes de plusieurs centaines de mètres de long reçoivent cent à deux cents mille spectateurs pour la plupart, revêtus d'une " lacerna ", de couleur blanche.
Ces gigantesques édifices se comptent en Afrique sur les doigts d'une main.

Les amphithéâtres, grandes arènes elliptiques de 100 à 150 mètres de grand diamètre, sont un peu plus nombreux. Ils offrent des combats de gladiateurs et d'animaux, des scènes de chasse et des joutes navales aux 70 000 spectateurs qui s'entassent sur leurs gradins de pierre.

Les spectacles scéniques sont donnés dans les théâtres. Leur forme est semi elliptique et leurs dimensions dépassent rarement 60 à 70 mètres. Les théâtres romains d'Afrique accueillent rarement plus de 4 500 à 5 000 spectateurs mais chaque ville de moyenne importance en possède un.

 

 

 

 

 

Amphithéâtre

 

 

 

 

 

Théâtre

 

 

LES CIRQUES

On compte une cinquantaine de cirques dans tout l'Empire romain qui s'étendait, rappelons-le, de l'Ecosse au Sahara et du Portugal à la Turquie actuels. Le nombre des cirques d'Afrique reste plus réduit ; on y a localisé avec certitude les vestiges de cinq ou six de ces colossales constructions.

Lambèse, quartier général de la IIIE légion "Augusta " avait son cirque et le maréchal Clauzel fait état d'un rapport de l'un de ses officiers d'artillerie relatant la présence de traces d'un immense cirque romain près de Guelma. Ces deux ville de Numidie, correspondant à l'actuel constantinois, possédaient un nombre relativement important d'habitants.

Les ruines d'un cirque de 400 sur 90 mètres existent à Cherchell l'ancienne Cesarae, antique capitale de Maurétanie (l'ancien oranais). René Rousseau précise que l'époque de sa construction demeure incertaine. Lorsqu'il en visite le site, ce n'est alors qu'un champ cultivé par un primeuriste.

Il y reconnaît cependant...
" ... un vague tracé où affleurent des pans de murailles d'enceinte ", au milieu desquels il remarque aussi " quelques affleurements de sa spina ".

D'autres ruines de cirque ont été étudiées en Libye à Leptis Magna.

Le cirque de Carthage se trouve sur la limite occidentale de l'agglomération. Il occupe un emplacement aujourd'hui coupé en deux par le chemin de fer qui, de Tunis passe par la Goulette.

Construit au 2e siècle après Jésus-Christ, il accueillait 150 000 spectateurs. Des cinquante cirques repérés dans tout l'Empire romain, il compte parmi les plus grands, arrivant par ses dimensions en 3e ou 4e position après ceux de Rome, de Constantinople et d'Antioche. Long de 675 mètres et large de 129 mètres, il est de peu inférieur au circus Maximus de Rome qui reste encore aujourd'hui le plus grand édifice de spectacle jamais construit au monde. Procope nous apprend qu'en 536 une garnison byzantine rebelle à l'empereur de Constantinople s'enferme dans le cirque de Carthage et y soutient un siège de longue durée. Abandonné au 6e siècle l'édifice tombe en ruine et l'invasion arabe porte bientôt à ses pierres un coup fatal.

Le cirque de Dougga, un peu moins grand, ne dépasse pas 400 mètre de long. Presque entièrement ruiné, il n'en persiste que l'infrastructure enfouie dans le sol à la surface duquel on devine, sous deux élévations de terre éloignées l'une de l'autre, les grosses bornes qui en marquaient les extrémités et autour desquelles s'enroulait la piste pour boucler son circuit.

Situé sur les hauteurs de la ville le cirque de Dougga fut sur place en partie démonté par les Byzantins qui utilisèrent ses pierres pour édifier des remparts après leur reconquête.

Le cirque est architecturalement conçu pour les courses de chars. Sa forme est très allongée avec des extrémités en demi-cercle.

Ses deux extrémités marquent le tournant de la piste sablée qui mesure 5 à 600 mètres de long et dont le tour complet atteint presque le mille romain qui fait 1482,50 m et dépasse par conséquent notre moderne kilomètre. Au centre de la piste, s'élève à 2 ou 3 mètres au-dessus du sol, une longue et étroite terrasse, la " spina " où se tiennent les fonctionnaires chargés du déroulement des courses. Au centre de cette terrasse est souvent érigé un obélisque d'une vingtaine de mètres de hauteur, flanqué de quelques statues et autels sur les côtés. Deux groupes de trois grosses bornes rassemblées, les " metae ", marquent les extrémités de la terrasse et les deux tournants de la piste assez large pour que huit à dix chars puissent la parcourir de front.

Des dizaines de milliers de spectateurs, près de cent mille à Carthage, s'entassent sur les gradins auxquels on accède par des escaliers qui atteignent la galerie supérieure. Ces gradins sont habituellement soutenus à l'extérieur par un énorme mur édifié sur trois étages d'arcades.

Dans ce gigantesque édifice tout est conçu, ainsi qu'on le voit, pour les courses de chars qui ont une grande vogue.
Tertullien nous dit qu'elles passionnent le peuple au point que pour les grandes fêtes, on y donne une centaine de courses dans la journée. Ces réunions ont un grand succès car, de tout temps, on a aimé les chevaux en Afrique du Nord. N'oublions pas que ces fringantes montures ont, avec les éléphants, fait la force des armées d'Hannibal et que les romains considéraient les Numides comme les meilleurs cavaliers du monde. La cavalerie appuyant les cohortes de la Ille légion " Augusta " chargée de pacifier l'Afrique est numide et sa bravoure donne à Trajan sa victoire sur les Daces, ainsi que l'évoque la frise de la colonne " trajanne " élevée à Rome pour immortaliser cette campagne dans la province qui correspond à l'actuelle Roumanie.

On y voit la charge des chevaux numides montés par des cavaliers vêtus d'une seule tunique, simplement agrafée sur une épaule et flottant de l'autre côté. Ils montent sans selle et sont armés d'un long javelot.

Ces farouches guerriers ont, à l'image de leur monture, un aspect chétif mais les uns comme les autres passent pour infatigables et leur intrépidité est légendaire. L'évocation de leurs charges ne manque jamais de rappeler à ceux qui eurent le privilège d'y assister, la fougue des brillantes " fantasias " de nos cavaliers berbères ou arabes.

Il y a de riches haras en Numidie et un élevage réputé. La province exporte vers Rome des coursiers de valeur ainsi que des mulets appréciés dans tout l'Empire pour leur robustesse.

Néanmoins, ainsi que l'assurait Xénophon, quatre siècles avant Jésus-Christ,... " l'élevage des chevaux pour la course de char reste l'occupation la plus belle de toutes... "

Les poulains sont, dès leur naissance, sélectionnés et entraînés pour augmenter dans un premier temps leurs capacités musculaires et dans un second temps leur volume respiratoire.

Le dressage les prépare ensuite au rôle bien défini que chacun tiendra dans l'attelage où il occupera sa vie durant toujours la même place. A la fin de cette préparation aussi méthodique qu'intensive, à 5 ans, le cheval entre au cirque.

Les attelages sont répartis en " écuries ". Dans chaque écurie, palefreniers, soigneurs, auriges et propriétaires forment une équipe pratiquement indissociable. Chacune appartient à une faction distinguée par la couleur des casaques et des harnachements. On est de la faction rouge, de la blanche, de la verte ou de la bleue.

On a découvert à Cherchell une mosaïque représentant un cheval des écuries de Sabinus. Suivant la légende il s'appelait Mucosus (" le morveux ") et était de la faction des verts.

Participant ou spectateur, on a sa couleur préférée et on y reste fidèle la vie durant, par tradition familiale ou par clan et cela se transmet en principe, de père en fils.

Cette tradition revêt même, à la longue, une certaine connotation politique où le blanc représente surtout le parti populaire et le rouge, les conservateurs (ironie du temps et des options... !)

Bleus et verts deviennent à leur tour des symboles politiques suivant le contexte social du moment et plus tard à Byzance, ces engouements déboucheront sur des affrontements.

Nous ne possédons pas de détails précis sur l'incidence populaire du choix de ces options colorées sur les spectateurs des cirques de Numidie alors même qu'à Rome, le pouvoir parfois s'y implique, et l'empereur prend parti.

Commode, qui souvent combat dans l'arène pour son seul plaisir avec des gladiateurs professionnels, conduit aussi des attelages et court sous la livrée verte. Caligula appartient aussi à la faction verte mais se contente de partager les repas des auriges qui la représentent. Vitellius, quant à lui, fait froidement exécuter des citoyens qui calomnient ouvertement les bleus.

L'approche des grandes fêtes et des Jeux suscite régulièrement une grande animation populaire.

La veille des courses les paris vont bon train et les mises atteignent de grosses sommes. Pour conjurer le sort et jeter la malédiction sur l'adversaire on a parfois recours à des pratiques de sorcellerie. Ainsi a-t-on découvert, en fouillant tombes et ossements situés à la limite du cirque de Carthage, de petites lamelles de plomb couvertes de signes cabalistiques ; il s'agissait de grimoires portant malédiction à l'adresse du cocher ou de l'attelage d'une écurie rivale. Les démons y sont exhortés et nominativement interpellés.

 

 

" ... Je t'invoque qui que tu sois, par les noms puissants : Salbathbal, Authgérotabal, Basuthatéo, Aleo, Samabêthor, enchaîne les chevaux dont je transcris ici les noms, Silvanus du parti des rouges, Servatus, Zephirus Blandus, Mariscus, Rapidus... du parti des bleus ; entrave leur course, enlève-leur la force, le souffle, l'élan, la vitesse, arrache-leur la victoire, embarrasse-leur les pieds, arrête-les, énerve-les ; qu'ils ne puissent demain, dans l'hippodrome, ni courir, ni tourner la spina, ni vaincre, ni sortir de l'écurie ; qu'ils tombent à terre avec leur cocher Euprepes, Félix, Dionysius, le glouton, le vorace ; à ces cochers lie les mains, enlève leur la vue ; qu'ils ne puissent apercevoir leurs rivaux, arrache-les de leur char, précipite-les à terre ; qu'ils tombent partout dans l'hippodrome surtout autour des bornes et que leur corps soit traîné sur l'arène et déchiré, leur corps et celui des chevaux qu'ils conduisent... "

Rédigé par un sorcier, ce message malfaisant est, la veille de la course, glissé dans la tombe d'un enfant mort-né ou d'une femme morte en couches. Ceci donne une idée de l'ardeur des paris au cirque de Carthage.

Le jour des jeux, marquant le début de l'allégresse générale, une procession traditionnelle, la " pompa circensis ", part du capitole après les dévotions rendues à Jupiter. Le défilé se déroule dans les rues de Carthage et entre dans le cirque sous les applaudissements du public. Le char triomphal du magistrat présidant les jeux chemine en tête. Il est suivi des auriges, des prêtres et des fonctionnaires qui vont animer, conduire et surveiller le déroulement des épreuves.

Une fois accompli un solennel tour de piste, le cortège se disloque et chacun regagne sa place pour le début des cérémonies préludant aux épreuves. Des sacrifices sont alors offerts aux divinités qui patronnent les jeux. Le rituel se déroule au son du cor dont les notes arrivent assourdies aux rangées les plus élevées des gradins. Cet instrument, réservé aux prêtres et aux musiques militaires, émet bientôt une plainte ultime et prolongée. Le silence qui écrasait de son poids les quelques dizaines de milliers de spectateurs recueillis se déchire subitement car est arrivé le moment de la première course.

L'ambiance est chaude et l'impatience manifeste. Tous les regards se portent sur la petite tribune occupée par le magistrat présentant officiellement les jeux. C'est lui qui va donner le signal du départ de la première épreuve. A l'une des extrémités de la piste, enfermés dans leurs boxes " carceris ", les attelages fébriles piaffent et vibrent déjà sous les harnais tendus.

Le signal du départ est enfin donné. C'est un grand mouchoir blanc, la " mappa ", que le commissaire, de sa tribune, laisse choir sur la piste. Les douze portes grillagées qui retenaient les chars, s'ouvrent en même temps et libèrent les bêtes qui jaillissent de leurs enclos, arrachant aux gradins une immense clameur de satisfaction enfin assouvie.

D'abord tributaires des couloirs de guidage qui les mènent à la piste, les attelages l'abordent très vite dans un nuage de poussière, essayant déjà de s'y positionner pour atteindre le premier tournant à l'emplacement leur assurant la moindre distance à parcourir. Chaque attelage a 7 tours à parcourir soit habituellement un peu plus de huit mille mètres. Juchés sur la " spina ", des fonctionnaires surveillent le déroulement de l'épreuve. C'est là que se dresse un gigantesque boulier. Il y a autant de boules que de concurrents et on en abaisse une pour chaque tour de piste effectué. Le cirque de Carthage a probablement bénéficié du dispositif qu'Auguste fit installer au Circus Maximus de Rome où une rangée de dauphins de bois que l'on faisait basculer à chaque passage d'attelage remplace le traditionnel boulier.

Chaque attelage est conduit par un aurige. Ceux qui se produisent sur les pistes africaines, à l'instar de leurs collègues dans tout l'Empire romain, n'ont rien de commun avec l'aurige grec dont le musée de Delphes propose une réplique de bronze fascinante de vérité. Le cocher grec, pieds nus, porte une longue robe qui claque au vent pendant la course et ajoute à l'élégance de l'épreuve.

L'aurige romain n'a que faire d'élégance ; il sacrifie volontiers le panache vestimentaire à l'efficacité. Il porte une tunique courte serrée sur la poitrine par des courroies afin d'éviter les flottements de l'air qui s'y emprisonne et réduit sa vitesse. Il porte un casque pointu, le " tututus ", de courtes bottes et des bandes molletières autour des jambes. Il attache autour de sa taille les rênes et les cordes qui l'unissent à l'attelage et glissent sur les manchons de cuir qui protègent ses poignets. Le train d'enfer que connaissent ces courses dans le bruit, le soleil et la poussière les rendent très dangereuses. Le risque d'accident mortel est permanent. Les accrochages, déjà nombreux en ligne droite, se multiplient à chaque tournant où les roues dérapent sur le sable de la piste. Dans ces effroyables carambolages l'aurige est souvent éjecté de son char. S'il échappe par bonheur aux roues des concurrents, il peut être traîné sur plusieurs dizaines de mètres avant d'être affreusement disloqué. Il a rarement le temps de saisir le poignard qu'il porte à la ceinture pour couper ses liens et échapper à la mort.

Le char est une petite caisse fermée sur trois côtés, devant et latéralement ouverte à l'arrière, l'aurige y accède et en descend facilement. De structure légère, le véhicule ne pèse pas lourd sous la traction et la fougue de l'attelage. Certes, écarte-t-on au maximum les deux petites roues de bronze, serties de bois, afin d'en abaisser le centre de gravité et augmenter leur stabilité mais l'équilibre de l'ensemble repose essentiellement sur les compétences et l'expérience de l'aurige. La caisse est basse, l'aurige s'y tient debout. Dégagé jusqu'à la taille, il est libre de ses mouvements pour synchroniser l'ardeur de ses coursiers et organiser sa course.

On appelle " biges " les attelages de deux chevaux et " triges " ceux qui en ont trois. Les " quadriges " avec leurs quatre coursiers fringants et magnifiques ont la préférence du public.

Les deux chevaux centraux sont seuls attelés au char par un joug court et les deux chevaux qui courent à l'extérieur sont presque libres, réunis à l'aurige par une simple corde que celui-ci passe autour de sa taille.

Cette disposition générale et l'indépendance relative de la moitié de l'attelage suppose un entraînement long et sévère. Chaque bête doit être habituée au comportement de ses voisines.

On imagine aisément que la responsabilité la plus grande repose sur le cheval qui galope du côté de la " spina " et sert de pivot dans les tournants. Il lui faut en effet, ralentir sa course au niveau des " metae " les énormes pierres ventrues et déflectrices qu'heurtent parfois les roues des chars qui tournent au plus près ; cela dans le moment même où l'aurige doit, par une simple impulsion de corde, accélérer l'allure du coursier galopant à l'extérieur. Il reste certain que la réussite d'une telle manoeuvre est le résultat d'un dressage accompli et méthodique.

Les chevaux qu'exhibent les cirques de Carthage et de Dougga sont de belle race puisque la Nurnidie est une région de cheval.

Sur les huit chevaux qui ont donné la victoire à l'aurige Calpurnianus dans le cirque de Rome, cinq venaient d'Afrique.

Certaines de ces bêtes deviennent par le nombre de leurs victoires célèbres dans tout l'Empire et les grandes écuries se les arrachent à des prix exorbitants. L'un de ces coursiers, Andrémon, a une notoriété qui rend jaloux Martial, un poète de l'époque dont la renommée est assombrie par l'éclat de cette vedette du cirque ; ce que l'homme de lettres ne peut supporter et qu'il traduit par cette phrase amère à l'adresse des admirateurs qui lui restent : " N'enviez pas ma gloire... ce chantre dont vous prétendez que tout l'Empire répète les vers, n'est pas aussi connu que le cheval Andrémon... "

Le cheval partage avec son cocher la victoire de l'attelage et lorsqu'on frappe médaille pour immortaliser un succès au cirque, le nom du cheval est toujours associé à l'effigie de l'aurige. A l'image d'un empereur qui érigea sur le Vatican un tombeau pour son coursier favori, certains notables locaux assurent à leurs écuries de paisibles retraites. (Caligula élèvera son cheval au rang de consul !)

Ceci n'empêche malheureusement pas qu'à certaines périodes de l'année, le cheval vainqueur soit cruellement immolé au dieu Mars et sa tête tranchée exposée sur la Voie Sacrée.

L'aurige est souvent un garçon de ferme habitué aux chevaux depuis l'enfance. C'est parfois l'ancien cocher d'une famille aristocratique propriétaire d'attelage, voire un bourgeois en mal d'aventure ou de sensations fortes. Certains notables recherchent, dans l'exercice turbulent de ce dangereux métier, une notoriété nouvelle et supplémentaire.

Ne se souvient-on pas que Néron lui-même organisait des courses privées auxquelles il participait avec son propre attelage ?

N'apprend-on pas, par le courrier de Rome, que Commode va plus loin, puisqu'à maintes reprises, il se mesure dans le cirque avec des auriges de profession ?

Les auriges vainqueurs sont toujours très populaires au point que l'empereur parfois les ménage ou les protège. Il ne fait pas bon contrarier Caracalla qui, un jour, n'hésite pas à faire charger sa garde et disperser les gradins dont les occupants s'étaient permis de siffler son aurige favori ;ce rappel " musclé " de son autorité ne lui suffira d'ailleurs pas puisqu'il fera assassiner quelques jours plus tard l'aurige concurrent.

A l'image de Diocles, Scorpius et Aurelius que leurs nombreuses victoires ont rendus célèbres dans tout l'Empire, l'aurige Scorpianus ne remporte pas moins de 700 courses sur la piste de Carthage.

Sa fortune atteint plusieurs millions de sesterces et il habite l'un des plus beaux Palais de la ville. Il devient l'idole de la foule et le héros des enfants qui s'identifient à son image lorsqu'ils jouent avec leur char miniature. Il existe des petits modèles de ce type de jouet tiré par un pigeon ou un lapin et un format plus grand auquel on attelle un mouton ou un petit âne dans les familles aisées.

Entre les courses, le programme propose des acrobaties à cheval. Des cavaliers émérites sautent d'une monture à l'autre en plein galop, exécutent des tours de piste debout sur leur selle, et parfois sur les mains, font des pirouettes et passent sans ralentir du sol sur la monture. On nomme " desultores " ces cavaliers voltigeurs qui rappellent l'influence étrusque sur l'origine des jeux.

On exhibe aussi des chevaux qui dansent et les cirques africains sont réputés pour ce genre de spectacle car les juments de Numidie sont, parait-il, sensibles au son de la flûte : c'est un écrit d'Elien qui nous l'apprend.

Les gradins des cirques d'Afrique offrent comme leurs homologues dans l'ensemble de l'Empire un attrait supplémentaire et particulièrement agréable. Indésirables au théâtre, où leur sont réservés les niveaux supérieurs de la " summa cavea " (correspondant au poulailler de nos théâtres modernes) les femmes sont admises au cirque et sans restriction. Elles s'y rendent même seules et les gradins deviennent un lieu de rencontre et de troublants rendez-vous.

Les jeux " consualia " s'y déroulent d'ailleurs chaque année, pour célébrer un autre rendez-vous historique : le rapt des Sabines par les hommes de Romulus lors des courses données au cirque de Rome en l'honneur du dieu Consus.

Le voisinage d'une jolie femme est pour Ovide plus attrayant que le spectacle. Il nous en laisse le témoignage sur un petit billet rédigé à l'intention de la séduisante patricienne qui, un jour, partagea, au cirque, la pierre d'un gradin :" ... tu t'intéresses au spectacle, moi à toi... ainsi chacun a le spectacle de son choix... " (à suivre)

MAURICE CRETOT

In l'Algérianiste n°71 de septembre 1995

 

 

 

 

 

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