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La mémoire écrite de l’Algérie

Écrit par Jeanine de la Hogue. Associe a la categorie Littérature sur l'Algérie

La mémoire écrite de l’Algérie


Évoquer la mémoire écrite de l’Algérie est une entreprise extrêmement vaste.

Sans faire référence aux dessins rupestres du Sahara, première mémoire écrite de ce pays, il faut faire débuter l’histoire littéraire de l’Algérie par les auteurs grecs et latins. Les savants arabes nous ont donné de précieuses informations et leur vision du pays.

La piraterie barbaresque en Méditerranée donnera naissance à une autre forme de littérature. Dans leurs récits, les missionnaires, partis pour racheter les esclaves, racontaient ce qu’ils avaient fait, ce qu’ils avaient vu. Les captifs aussi écrivaient beaucoup à leur retour. Tous ne sont pas aussi célèbres que Cervantès mais leurs relations sont fort intéressantes.

D’autres voyageurs, ni captifs ni missionnaires, furent envoyés, en particulier par les rois de France, pour des missions scientifiques : médecins, naturalistes, géographes, ce sont des humanistes dont les récits sont parfois teintés d’un « rousseauisme » bien dans le goût de l’époque. Mais certains de ces écrits frappent par la sûreté de leurs informations et de leurs jugements.

Avec le débarquement de Sidi-Ferruch et la prise d’Alger en 1830, viendra le temps des militaires. Ils écrivent beaucoup, parfois avec talent ; ils sont les premiers à donner une image plus juste de cette Régence qui est en train de devenir l’Algérie.

Sur les pas de l’armée débarquent alors des écrivains, des journalistes, souvent appelés par les généraux qui les font rédiger leurs mémoires (ainsi Charles Nodier écrivant pour le duc d’Orléans le récit de l’expédition des Portes-de-Fer).

Arrivèrent ensuite des voyageurs, des écrivains amateurs d’exotisme, qui venaient voir, respirer cet air d’un Orient dont ils étaient curieux. Ils étaient là pour la couleur locale, ils ne verront pas autre chose. Ils dépeindront une Algérie qu’ils avaient déjà en imagination et n’y apporteront que de légères retouches. Les Français, les militaires, gênaient leur vision orientaliste. La plupart des écrivains les ignoreront et n’en parleront pas. Puis, au début du siècle, la littérature deviendra plus réaliste. On verra même la naissance et l’entrée dans cette littérature d’un langage qui, sans faire vraiment école, jouera un grand rôle dans le folklore algérien, le pataouète, rendu célèbre par Musette (Auguste Robinet) et parlé par Cagayous, son héros turbulent.

Louis Bertrand fut le premier écrivain à se pencher sur le petit peuple qui, peu à peu, s’établissait en Algérie : Espagnols, Maltais, Italiens, « Français de France », ancêtres de ceux que l’on appellera plus tard les Pieds-Noirs. Il donnera à toute une génération d’écrivains l’élan qu’ils cherchaient. Ces Français vivant en Algérie, prendront conscience de leur différence, mettront en scène des personnages bien réels qu’ils connaissent parfaitement. Ils ne suivront pas Louis Bertrand dans son rêve de latinité (l’écrivain gommait les siècles d’Islam pour retrouver l’Afrique latine) mais son exemple leur permettra de découvrir d’autres formes d’inspiration.

Ils se retrouveront sous le nom d’Algérianistes, un nom qui exprimait bien leur ambition, leur appartenance au terroir. Parmi les plus connus, Jean Pomier, Robert Randau, Louis Lecocq, Charles Hagel, Ferdinand Duchène, Lucienne Favre, etc. Ce sera la période la plus féconde pour la littérature française d’Algérie. Les écrivains du terroir se font connaître en métropole, sont souvent édités à Paris, consécration suprême du talent.

Des voyageurs humanistes, soucieux d’une éthique nouvelle, s’attacheront au pays, comme Gide puis, plus tard, Montherlant. Pourtant la métropole est peu inspirée par l’Algérie. Le Sahara intéresse, fascine (qui ne se souvient de l’Atlantide de Pierre Benoît ?). Quelques ouvrages scientifiques ou historiques paraissent mais les romanciers prennent assez rarement pour thème les départements français d’outre-Méditerranée.

Mais l’influence algérianiste s’estompe en Algérie même et d’autres préoccupations se font jour. L’histoire est en marche. Les écrivains prennent leurs distances. La littérature devient méditerranéenne. L’inspiration n’est plus aussi sensible à la vie quotidienne du pays. On regarde ailleurs.

D’authentiques écrivains se révéleront. Camus, Roblès, Roy, Moussy, Pelegri, Clot, Audisio… ne seront pas limités géographiquement et sentimentalement par l’Algérie et qui, plus tard, continueront leur œuvre en France. Albert Camus, l’enfant d’un quartier populaire d’Alger recevra le prix Nobel. Des écrivains algériens (on disait alors indigènes) commencent à se faire connaître. Eux aussi seront surtout publiés à Paris.

La guerre va faire alors son apparition dans l’Algérie et tout va basculer. Nous sommes en 1954. La littérature deviendra politique, guerrière. La France, qui l’avait longtemps ignorée, redécouvrira l’Algérie. Et puis la littérature, à partir de 1962, se fera peu à peu mémoire. Interrompu brutalement, le cours de l’histoire deviendra mémoire écrite, une mémoire collective et personnelle, une mémoire multiple et diverse.

La mémoire écrite des Pieds-Noirs est à la fois douloureuse, violente, faite de souvenirs qui reviennent, de regrets évoqués, mémoire personnelle, intime, mais aussi historique, folklorique. Le lent travail du deuil se fait tout au long des premières années d’exil, d’arrachement, mais s’exprimera surtout par la suite. On écrit alors comme on crie, comme on pleure. On pleure le paradis perdu, on veut se souvenir du bonheur, mais c’est souvent la souffrance qui vient en surface, qui trouble l’image comme une pierre lancée dans un lac paisible et qui n’en finit pas d’étendre ses cercles.

Tous ces livres publiés, souvent à compte d’auteur, tout en se ressemblant tragiquement par la souffrance montrent bien la diversité de ce peuple en formation, son origine disparate.

La cassure avec leur vie quotidienne a projeté les Pieds-Noirs vers leur passé. Et leurs récits sont autant de pierres amassées pour construire leur histoire.

Les récits des témoins, militaires, journalistes, ceux des acteurs, OAS ou FLN, sont nombreux. Ils disent ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ont vu. Ils sont partiaux ou objectifs, presque toujours passionnés, comme si cette guerre qu’ils ont vécue ou qu’ils ont observée, les avait marqués à jamais, leur collait à la peau. Presque toujours leurs livres reflètent leur engagement politique. Pour ou contre l’Algérie française, pour ou contre le FLN. Les opinions sont tranchées, que les mots expriment souvent avec violence, toujours avec le sentiment d’avoir raison. Leur mémoire, comme celle des Pieds-Noirs, fournit à l’histoire un matériau inestimable.

Et puis, il y a la mémoire des historiens, une mémoire plus livresque puisqu’elle s’appuie le plus souvent sur des documents. Est-il trop tôt pour écrire l’histoire sans passion ? La plupart des historiens ne le pensent pas.

Les romanciers, eux, se servent de leur mémoire ou de celle des autres pour écrire leurs histoires. Invention ou réalité, il est difficile de connaître l’origine de leur inspiration. Leur talent, leur manière personnelle d’adapter les faits réels, de partir d’un événement pour le plier à leur imagination ne peuvent en rien les faire comparer à la mémoire des autres acteurs. Là aussi il y a beaucoup de diversité. Si la cuisine n’est pas toujours littéraire, elle fait partie de la mémoire de l’Algérie, au même titre que le pataouète qui inspire des pastiches, a l’honneur d’une étude universitaire, de plusieurs dictionnaires, de pièces de théâtre. L’humour restera surtout l’apanage des Pieds-Noirs, adoptant la manière de Cyrano de Bergerac : « Je me les sers moi-même avec assez de verve, mais je ne permets pas qu’un autre me les serve », et pensant qu’on n’est jamais si bien moqué que par soi-même. La peinture, surtout la peinture orientaliste, les biographies de peintres, permettent l’édition de superbes albums. Les photos aussi, documents personnels ou cartes postales sont légendés avec nostalgie. Les Pieds-Noirs montrent leur passé, les militaires illustrent leur djebel.

Enfin, et souvent suscités par des associations, des monographies de villes et de villages, des ouvrages consacrés à des activités spécifiques (l’aviation, le cinéma, les grands travaux, etc.) commencent à donner une autre vision de l’Algérie.


Jeanine de la Hogue

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