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Robert Randau, un compère inoubliable

Écrit par Fernand Arnaudiès. Associe a la categorie Ecrivains algérianistes

Fernand Arnaudiès, qui fut longtemps un animateur du Comité du Vieil Alger, a très bien connu Robert Randau. II évoque pour nous ce père de l'algérianisme.

Robert Arnaud - Robert Randau, dans le domaine les lettres. Une silhouette imposante. Un œil scrutateur sous les verres. Administrateur des Colonies, chargé de mission au Soudan, il fut efficace, compréhensif et mena le bon, l'utile combat. Son dernier poste fut Tombouctou. Tombouctou qu'il aima, qui l'inspira. Chacun se souvient de ses Terrasses de Tombouctou, de ce promontoire, d'où il observa, nota, mis relief tout un monde haut en couleur. Tout un monde d'humour, de rosserie aimable et de sel.

Je soulignerai pour Mémoire que ces Terrasses furent éditées en 1933 pour Pierre et Georges Soubiron à Alger et illustrées par le bel et discret artiste que fut Autoui.

Quand Robert Randau cessa ses fonctions administratives, il s'installa définitivement à Alger, où il avait ses attaches familiales. Je le rencontrais souventes fois, soit au siège de l'Association des écrivains algériens, Cercle franco-musulman, soit chaque mercredi, dans la soirée, au café Grüber, rue de la Liberté. Là, devant le rituel demi de blonde, s'installaient pour une heure ou deux, toujours les mêmes, soit Jean Pomier, Albert Tustes, Robert Migot, François Peyrey, parfois Lucienne Favre, l'historienne amusée de la Casbah, parfois Claude-Maurice Robert.

Randau se plaisait à animer nos rencontres. Il était intarissable. Il aimait à égrener ses souvenirs, .ses aventures. Je me souviens d'un soir où François Peyrey, à l'époque critique littéraire à l'Écho d'Alger, et qui mettait la dernière main à son monumental et suggestif Science de gueule, je me souviens dis-je, l'une réflexion que lui fit Randau.

-- Tu devrais consacrer quelques lignes de ton magistère de la table aux succulences de la chair humaine. Car, ça se mange, ou du moins ça s'est mangé !

Et d'ajouter :

- J'ai été amené à y goûter dans des circonstances sur lesquelles je n'insisterai pas et à quelque deux cents kilomètres du sud de Tombouctou. C'est bon, la chair humaine. Une saveur de porc grillé...

Randeau ne plaisantait pas. Il y avait réellement goûté.

Cet homme charmant, au commerce aussi agréable qu'enrichissant, cet homme d'une grande culture avait été une extraordinaire puissance de travail. Sur son bureau, les manuscrits s'ajoutaient aux manuscrits. En dehors de ses oeuvres de longue haleine, il collaborait à nombre de journaux et revues. Longtemps, il écrivit un éditorial pour les Annales africaines d'Ernest Mallebay et sort nom s'inscrivit au sommaire de l'Afrique du Nord illustrée de Jules Carbonel, d'Erihala d'Edmond Gouvion-Saint-Cyr; d'Afrique d'Edmond Esquirol et certes d'Afrique de Jean Pomier.

Je ne ferais que rappeler ici les oeuvres qu'il nous donna, sous l'invocation de la "geste des Africains". Et d'abord les Colons, suivi de peu par les Explorateurs. Les Meneurs d'hommes et Diko, frère de la Côte. Dans l'Aventure du Niger, Il nous conta ses " fastidieuses " navigations sur le moyen fleuve et ses longues chevauchées dans des régions désertiques. Aussi, Le chef des porte-plumes, satire bon enfant de la gent paperassière et, plus tard un retour nostalgique aux sources, avec A l'ombre de mon baobab.

Son inénarrable Cassard le berbère, remarquablement imagé par Benjamin Sarraillon, illustrateur né, est une fresque senteur locale, une vigoureuse transposition sur un mode majeur, ou se mêlent cocasserie, folklore, caricature d'une intense verdeur.

Les Algérianistes, qui connurent un rapide et très grand succès, me remettent en mémoire ce ternie, désormais consacré.
Je revois encore et toujours au dit Grüber, Randau et Pomier discutant production littéraire et locale. Locale. Je dis bien.

- Nous sommes des créateurs en quelque sorte, affirmait Randeau. Nous avons créé un genre. Je dis bien " un genre ". Un genre bien à nous, nourri d'une sève toute particulière. Et si hier Tustes a parlé de " franquisme ", nous pouvons, nous devons, nous, parler...

- D' " algérianisme ", coupa net Pomier.

- Exactement. Nous sommes d'accord.

Le mot était dit. C'était, s'il m'en souvient, en 1931.

Ce qui me plaisait encore en Randau, c'était sa manière, toute spontanée, d'accueillir un postulant au métier de plume. Ce fut mon cas et il fut mon maître. Un maître sans compromis et sans concession. Par lui, je fus soumis, à plusieurs reprises, à certaines épreuves de reportages sinon insolites, du moins inattendues.

La première porta sur les moineaux du square Bresson qui par chance, avaient cette particularité, venir piqueter la mie de pain sur vos doigts. La seconde eut comme objectif : l'exotisme du Jardin d'Essai. C'était mieux et plus sérieux. Vous souvient-il de cet Eden aux mille faces?

Robert Randau. Un grand nom. Un grand ouvrier des lettres. Un Algérianiste d'une envergure peu commune. Un pionnier. Un ami. Un compère inoubliable.

Fernand Arnaudiès

 


Dessin de Hans Kleiss

 

Fernand Arnaudiès est l'auteur d'un recueil de poèmes, à la gloire du Roussillon, paru aux Éditions l'Atlanthrope, le Chemin des berges et des vignes. B.P. 69, 78001 Versailles Cedex.

In l'Algérianiste n° 9 du 15 mars 1980

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