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Jean Pomier Prophète de I'Algérianisme

Écrit par Fernand Arnaudiès. Associe a la categorie Ecrivains algérianistes

Jean Pomier restera pour moi, dans mon souvenir fraternel, le symbole d'une double et attachante personnalité. Celle d'un dynamisme extraordinaire, celle d'un purisme absolu dans la conviction. Jamais il ne trahit ses liens amicaux. Sa main se tendait franchement, loyalement, sans arrière-pensée. Mais cette franchise, cette pureté du sentiment, ne souffraient par contre et en aucune manière, ni manquement, ni dérobade. II le prouva tout au long du chemin qu'il parcourut, dans les domaines du coeur et de l'esprit.

Vif et spontané, le geste ponctuant la parole, il allait de l'avant, nourri de la meilleure sève, convaincu de la nécessité et de la valeur du rôle qu'il s'était donné, en toute et farouche indépendance.

II n'en supporta que mieux il est vrai, les navrances de la déception ou de l'indifférence. Mais sa parole porta loin, et ses échos répétés résonnèrent favorablement par-delà les écueils.

Or et malgré les apparences, Jean Pomier gardait en lui un fond inaltérable de philosophie. Ce fut là son bâton de pèlerin.
Lorsque, en 1910, il quitta son pays de Garonne pour gagner les rives algériennes, il se mit aussitôt et sans désemparer, à regarder autour de lui. II entreprit méthodiquement, l'étude des êtres et des choses. Curieux de tout, curieux de cette archéologie maghrébine dont, a-t-il dit "quarante siècles en ruines me contemplaient..."

La guerre de 1914-1918 marqua un temps d'arrêt dans ses investigations. Le Chemin des Dames fut pour lui une étape douloureuse, dans sa carrière militaire et dans les rangs du 9e Zouaves.

De retour aux sources, Jean Pomier reprit ses activités et, avec lui, une poignée d'hommes de bonne volonté. Ensemble, ils fondèrent dès 1924 le "Bulletin de Critiques et d'idées" à qui, bientôt, très bientôt, se substitua la Revue "Afrique".

Une profession de foi insérée dans le premier numéro de cette revue, établit la ligne de conduite et la religion même du fondateur : "Nous sommes algériens et rien de ce qui est algérien ne nous sera étranger".

Rien de ce qui est algérien, ordre politique, économique, ethnique, culturel ; cadre de vie, celui du bled ou de la ville. Et aussi, meilleure connaissance, plus intime, de l'homme, qu'il soit de la terre ou qu'il soit de la mer.

II serait vain de souligner ici que cette résolution demeura constante jusqu'à la fin glorieuse de la bonne, vaillante et chère Revue. Car c'était là, le critère de cet Algérianisme en gestation. Et tout était prêt désormais pour en développer le thème, aussi vaste que passionnant et constructif.

Mais, qui étaient ces hommes rassemblés au départ sous la houlette de Jean Pomier ? Qui étaient ces algérianistes ?
II y eut et tout d'abord, mon vieil et cher ami Robert Randau et Louis-Lecoq. Puis Gabriel AUDISI0 qui, des coulisses parisiennes veillait au grain ; Lucien Pelaz, Charles Hagel et Robert Migot, l'auteur trop oublié du "Tombeau de la Chrétienne". II y eut cet homme du bled, Marcel FLORENTIN, qui se pencha sur la vie des colons ; ce délicat poète Alfred TUSTES qui allait à pas feutrés. Et Claude Maurice Robert et Marcello-Fabri. II y eut Lucienne Jean DARROUY et Lucienne Favre ; Magali Boisnard et notre chère Annette Godin ; Maraval-Berthoin et ses admirables "Chants du Hoggar" imagés par Paul-Elie Dubois, qui partagea ma table de rédaction à "L'Afrique du Nord Illustrée" avec Gérard Besse, mort pour la France en 1940.

Tant d'autres, sur lesquels je reviendrai un jour, parce qu'ils portèrent haut, eux aussi, le fanion de l'Algérianisme et des Lettres du pays perdu.

Or, la messagère "Afrique" alla son chemin contre vents et marées. Car, il faut y insister, elle connut les rudes à-coups de l'intrigue et de la basse jalousie, au-delà d'une audience très favorable, auprès d'un large public vite conquis.

Quoi qu'il en soit, Jean Pomier tint magistralement la barre de 1924 à 1955. Mais, s'il avait eu à Coeur la réussite de la revue bien-aimée, il tenait aussi au prestige du "Grand Prix littéraire de l'Algérie", dont il avait eu l'idée aux premiers jours de 1921. C'est par ce grand prix, que nos algérianistes comptaient atteindre, non seulement le cadre algérien, mais aussi et surtout, à Paris, le monde des lettres et de l'Edition. Fondé donc en 1921, la première palme revint à Ferdinand Duchéne (Thamilla) ; la dernière à Marcel Moussy, en 1954.

C'est en 1953 que Jean Pomier, toujours avide de renouveler et de bâtir, songea à doter les gens de lettres du terroir d'un "Prix algérien du Roman": Hélas, pour des raisons sur lesquelles je n'insisterai pas, ce Prix "fut assassiné avant d'avoir vécu", pour reprendre les propres termes de son fondateur.

Si les activités d'ordre journalistique accaparèrent le meilleur de son temps, Jean Pomier n'en poursuivit pas moins son oeuvre d'écrivain et de poète. Après les "Grains du Rosaire" paru en 1908, il proposa en 1925 une Anthologie de treize conteurs algériens sous le titre : "Notre Afrique". Et, en 1936: "Poèmes pour Alger". En 1966 : "A cause d'Alger" ; trois ans plus tard : "Couleur de miracle" ou "Cinq contes de poche". En 1971

"Deux poèmes pour une marche à l'étoile". Son chant du cygne parut en 1972 et résuma toutes ses ambitions, ses espoirs, ses luttes et ses lassitudes : "Chronique d'Alger. 1910-1957" ou le "Temps des Algérianistes". Synthèse sans fard d'une vie offerte sans restriction ni mesure ; aussi, d'un idéal maintenu sans défaillance dans la lumière d'une foi ardente. Prestige d'une personnalité dont l'image toujours intacte et superbe, s'inscrira au fronton de cet Algérianisme que nous continuons de servir.

Comme il avait aimé vivre et travailler, Jean Pomier est mort dans sa bonne ville de Toulouse, où il naquit en 1886 et où, comme il aimait à le dire, à le répéter, il goûta au miel, haut en couleur, de ses jeunes années.

Fernand Arnaudiès

In l'Algérianiste n°1 du 15 décembre 1977

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