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Jean Pomier

Écrit par Maurice Calmein. Associe a la categorie Ecrivains algérianistes

Il était impossible de consacrer un numéro de notre revue à l'Algérianisme sans évoquer Jean POMIER qui en fut l'un des pionniers. - Nous reproduisons ici le texte d'une conférence donnée le 27 mars dernier au Cercle algérianiste de Narbonne par Maurice Calmein, à l'occasion de l'inauguration, dans cette ville, du chemin Jean-Pomier.

Je vais évoquer pour vous, aujourd'hui, la vie et l'oeuvre de celui qui fut à la fois mon maître et mon ami : Jean POMIER.
Pour rendre cet exposé le plus vivant possible, je m'efforcerai de l'illustrer par la lecture de poèmes.

J'avais pensé vous présenter successivement la vie, puis l'oeuvre de Jean POMIER. Mais cette distinction serait impossible à faire tant les deux sont liées. J'ai préféré vous parler de l'homme, tout simplement, de l'algérianiste, du poète, car POMIER était tout à la fois et en permanence.

POMIER naquit à Toulouse en 1886.

Après de brillantes études au lycée Pierre-de-Fermat, puis à la faculté de droit de Toulouse, il put terminer sa licence à Alger. C'est là, qu'après avoir passé un concours, il entre dans les cadres administratifs des préfectures.

La guerre de 1914-1918 l'arrache une première fois à Alger, cette ville qu'il a découverte avec passion. Mobilisé dans les 4° et 9° Zouaves, il ira des Dardanelles en 1915 jusqu'au chemin des Dames, en 1917.

En 1919, il est nommé rédacteur à la préfecture d'Alger.

C'est là que va prendre naissance sa seconde carrière : l'" Algérianisme ". Sa situation professionnelle et son goût déjà marqué pour les lettres et les arts lui permettent de se frotter aux jeunes élites culturelles d'Alger.

Mais la mêlée franco-musulmane des corps, des âmes et des esprits, connue dans les tranchées de 1914-1918, sur les champs de bataille, lui avait également fait prendre conscience du phénomène social nouveau qui se faisait jour en Algérie la naissance d'un peuple.

C'est au moment où, avec quelques jeunes écrivains algérois et qui s'affirmaient déjà " Algériens ", il s'efforçait de dégager les contours de cette culture en création qu'apparait Louis BERTRAND, écrivain de talent que couronnera l'Académie française, et qui, lui aussi, dans des livres comme " Pépète le bien-aimé " suivait une démarche littéraire voisine.

Le succès rencontré par Louis BERTRAND allait mettre du baume au coeur de nos jeunes écrivains. L'enthousiasme, renforcé par les liens d'amitié qui commençaient à unir ces hommes, allait donner naissance, sous la houlette du colonel GODICHOT, à " La Revue de l'Afrique du Nord " créée le 1er novembre 1921 (noter la coïncidence) avec le premier numéro de L'Algérianiste, paru le 1er novembre 1973, soit cinquante-deux ans plus tard, et l'Association des écrivains algériens créée en 1919. On trouve là Robert RANDAU, " notre Kipling algérien> dira POMIER, Louis LECOQ, Auguste ROBINET, dit Musette, auteur du célèbre Cagayous, Paul ACHARD, Edmond BRUA, Charles HAGEL, Marcello FABRI, HADJHAMOU, Alfred ROUSSE... et, bien entendu, Jean POMIER qui, succédant à LECOQ, deviendra président de l'Association des écrivains algériens.

Cette activité intellectuelle permit à ces écrivains algériens de côtoyer les plus grands auteurs de la Métropole, de s'entretenir avec eux, de se mesurer à eux,... et de s'en démarquer.

C'est ainsi que POMIER reçut à Alger G. DUHAMEL, P. VALERY, MONTHERLANT, GIDE, MAUPASSANT et bien d'autres encore. C'est ainsi, également, qu'il commença à expliquer à ces grands de la Métropole, que les écrivains algériens, eux aussi, entendaient désormais s'affirmer. II fallut, me dit un jour POMIER, attendre que l'écrivain fut algérianisé, au coeur à coeur, dans la quotidienne aventure de vivre là-bas.

L'algérianisrne était né et l'idée était simple, claire forte et volontaire : balayer " l'orientalisme de bazar " et permettre à l'âme algérienne, à l'authentique culture, voire civilisation, qui voyait le jour en Algérie, d'émerger, de s'élever, de s'exprimer,
POMIER, comme LECOQ, devait rompre rapidement avec le " lyrisme " colonel en retraite, directeur de la " Revue de l'Afrique du Nord ". Ils reprochaient à cette revue le manque de qualité des poèmes publiés... et sans doute aussi cette revue ne correspondait-elle pas encore pleinement à ce qu'en attendaient " ces jeunes loups algérianistes ".

C'est donc en 1924 que naissait la revue " Afrique " une revue " bien à nous " disait POMIER. II la dirigea jusqu'en 1957.
C'est aussi en 1924 que POMIER devint rapporteur du Grand Prix littéraire de la ville d'Alger créé en 1921. De 1921 à 1954 vingt-sept prix furent décernés. (Une liste figure aux pages 176 et 177 de " Chronique d'Alger ").

La déclaration algérianiste (le 1924 (1) contient l'essentiel du message algérianiste. C'est pour cette raison que nous l'avons reprise en 1973, dans le manifeste du Cercle algérianiste.

POMIER fit toute sa carrière de fonctionnaire à Alger et la termina au Gouvernement général, en 1948, après une interruption imposée par Vichy en 1941-1942. C'est pendant ces années en préfecture qu'il entendit parler pour la première fois d'un jeune journaliste dont la situation de famille difficile (sa mère malade et à charge) avait provoqué une intervention destinée à lui obtenir un emploi " d'auxiliaire temporaire " dans le service de POMIER. Le nom de ce jeune homme ? Albert CAMUS.

En 1967, Jean POMIER revient à Toulouse. Il y publiera plusieurs livres dont, en 1960, " A cause d'Alger " et, en 1972, " Chronique d'Alger ".

C'est à Toulouse, en 1968, qu'eut lieu notre première rencontre.

Ayant appris l'existence d'une "Amicale universitaire Pieds-Noirs" dont j'étais président, J. POMIER vint, un samedi après-midi, rendre visite à notre jeune et remuante assemblée hebdomadaire. Il fit sensation dès la première minute : une cape noire jetée sur les épaules, un large béret, un foulard de soie parme, une grande moustache blanche lui barrant le visage, l'oeil pétillant d'intelligence et de malice ; il commença, de sa voix chaude et magistrale, dans un langage choisi et qui n'appartenait qu'à lui, à nous apprendre l'algérianisme.

Fortement intéressé, je ne me contentais plus des visites fréquentes dont notre maître honorait l'A.U.P.N. et j'allais, pratiquement chaque semaine, prendre des " leçons particulières " à la grande satisfaction de mon nouvel et vieil ami dont la longue solitude se trouvait soudain rompue, pour lequel ces retours en Alger, par la pensée, étaient autant de rayons de soleil dans la grisaille des jours toulousains.

Malgré nos longues heures de conversation, je n'appris que peu de choses de sa vie privée et je ne m'en rends compte qu'aujourd'hui, au moment où je voudrais vous le faire mieux connaître. En fait, cela n'était pas essentiel. J'avais des choses bien plus importantes à apprendre. Et puis, Jean POMIER était un véritable intellectuel, c'est-à-dire le contraire d'un intellectuel de salon.

Totalement détaché des aspects matériels de la vie (des contraintes pour lui), jusqu'à en oublier le manger, le boire et le dormir, il ne vivait que dans, par et pour la littérature, l'art, l'esprit.

Rien n'échappait à son analyse, à sa critique et en deux mots il décrivait avec précision ce que vous étiez en train .de vous évertuer à comprendre.

Son appartement toulousain : deux pièces poussiéreuses dont les murs et les meubles disparaissaient sous les amas de livres, de correspondances et de documents.

Sur un coin de table, une assiette, un verre, un vieux transistor étaient les seuls liens apparents avec. le monde matériel.

Sa vie familiale fut à l'image du reste. J'appris, après sa mort, qu'il avait été très attaché à celle avec qui il avait décidé d'unir sa vie et qui devait le laisser veuf quelque temps après son retour à Toulouse.

Mais, sans doute, n'aurait-il pas aimé que je vous parle de cela. Aussi, me contenterai-je de vous conter la façon dont naquit cette union car... c'est une " histoire algérianiste " et quasi " cagayousienne " !

Dans l'immeuble algérois où habitait POMIER, un juif vivait à l'étage au-dessus du sien.

Cet homme battait sa femme et POMIER avait du mal à supporter les cris et les plaintes de la pauvre femme. C'était une jeune et jolie Kabyle.

Un jour, n'y tenant plus, POMIER monta à l'étage supérieur, s'interposa entre l'homme irascible et la jeune femme... qu'il emmena avec lui et garda définitivement !

C'est au cours d'une de nos rencontres qu'en 1973, après avoir tenté la difficile expérience de regrouper les jeunes Pieds-Noirs sous la bannière du F.N.R.-Jeunes, je décidai de créer un cercle algérianiste.

Quand j'en parlai à POMIER, je lui dis, fier de ma trouvaille : " Je vais créer un cercle eurafricain ! "

Il me répondit alors : " Malheureux ! Vous allez à l'encontre de ce que vous voulez faire et de ce pourquoi nous nous sommes battus ! " Je devinais sa colère.

" Eurafricain, mais cela diluerait notre identité algérienne ! "

Je repartis donc ce jour-là de chez lui avec dans la tête une nouvelle formule pour l'association que je voulais créer

 

" LE CERCLE ALGERIANISTE "

 

 

 EN CERCLE, AUTOUR DE MOI...
Poèmes, mes amis, mes vrais amis, mes frères,
Vous que sut promouvoir le cri de mon désir,
Vous, les sûrs confidents de mon voeu de servir,
Approchez-vous de moi, compagnons de ma guerre,
Approchez-vous de moi, je vous veux réunir
Dans votre haut maintien et vos armures claires,
Vous, mes barons d moi, mes preux, mes feudataires,
Tels que peut-être, un jour, dans la crypte des temps,
Debout vous veillerez ma forme de gisant.

 

 

Dès la création du Cercle, POMIER en devint le président d'honneur.

Je devais, hélas, quitter Toulouse en 1976 et ne revoir Jean POMIER qu'épisodiquement, lors de mes vacances annuelles dans le Midi.

Il devait alors décliner très vite sur le plan physique. II quitta sa maison du 11, rue Lascrosse pour la maison de retraite " St-Joseph ", à Fronton.

Lui, l'anticlérical, le socialiste au grand coeur, se retrouvait chez les bonnes sœurs !

Je lui rendis visite à chaque occasion, jusqu'à sa mort, le 9 mai 1977.

C'est dans cette maison de retraite que j'enregistrai la cassette que vous avez écoutée tout-à-l'heure. C'est ce jour-là qu'il me lut aussi, la mort dans l'âme, son dernier poème " Terminal ".

Il ne supportait plus, lui esprit vivant, la déchéance de soit corps, le poids de cette matière qu'il considéra toujours comme un fardeau pesant.

Je parlais, tout à l'heure, du socialiste qu'il fut. Il faut, je pense, replacer les choses dans leur contexte. Son socialiste, du type " III° République " et " radical toulousain ", était fondé davantage sur des sentiments profonds de justice, de générosité et sur une granite sensibilité, que sur une quelconque doctrine.

Attiré par le mythe socialiste, il le fut aussi un instant, par la pensée maçonique.

Mais, notamment à cause des événements d'Algérie, POMIER était aussi très anticommuniste, antitotalitaire.

Il suffit, pour s'en rendre compte, de relire ces phrases placées en entête de " Latitudes " et où POMIER espère la " remise en place, et à son rang premier, de la valeur de l'individu, et l'élaboration d'un nouveau " statut des élites" qu'il ne s'agirait plus d'abaisser au niveau des masses mais, au contraire, de monter celles-ci à leur hauteur". (,Cf. aussi " Algérien " p. 3, 4, 8).

Comment aurait-il pu en être autrement de cet homme au grand coeur, humoriste, toujours une plaisanterie ou un calembour à la bouche, libre et ennemi des contraintes, et dont on a vu qu'il était le moins matérialiste des hommes.

Ses dernières pensées furent pour ses livres et notre action.

Au moment où il mourut, il achevait de régler avec la mairie de Toulouse les conditions de mise en place du " Fonds Jean-Pomier " à la bibliothèque de Toulouse. L'ensemble de sa bibliothèque et de ses documents sont, aujourd'hui, déposés dans cette bibliothèque.

Dans son testament, il devait aussi léguer la somme de 5.000 francs au Cercle algérianiste ainsi que le stock de ses livres invendus et 5.000 francs au C.D.H.A.

Dans la dernière partie de cet exposé, je voudrais encore laisser la parole à Jean POMIER et, notamment, au poète. Poète il l'était par nature et en permanence, c'était un amoureux des mots, des sons et des images.

Son premier et son dernier écrit furent des poèmes.

Le premier, publié en 1921 dans le numéro 2 de la " Revue de l'Afrique du Nord" Noël d'ici et de là-bas (A cause d'Alger, p. 189).

Son dernier poème, il l'écrivit en 1974 sous le titre Terminal (1).

Entre ces deux poèmes, pendant cinquante-trois ans, il en écrivit beaucoup d'autres. Un certain nombre ont été publiés dans " A cause d'Alger " en 1960.

J'en ai retenu un où il parle précisément de ses poèmes, ses seuls vrais amis, sous un titre évocateur " En cercle autour de moi " (2).

Il ignorait alors que, grâce à eux, il gagnerait d'innombrables amis, dont nous sommes aujourd'hui et qui, précisément, se sont réunis en Cercle autour de lui, en cercle autour des idées nêes de son esprit, en cercle autour du mot qu'il inventa

 

ALGERIANISTE

 

Parti d'occitanie, POMIER y est revenu comme nous nous y sommes implantés.

Son nom, nom symbolique d'arbre fruitier, ces poteaux qui désormais portent les plaques du chemin Jean Pomier, plantés dans cette terre et s'imposant à tous, sont la marque de notre transplantation, des racines que nous avons replantées ici.

N.B. - Cette conférence se poursuivit par une veillée au coin du feu au cours de laquelle Fernand ARNAUDIES lut des poèmes de Jean Pomier et évoqua, avec M. Temple et M. Faivre (fils de Marcello Fabri) ses souvenirs de leur amitié algérianiste des années 1920.

Maurice Calmein

(1) Cf. éditorial de l'Algérianiste n°15 du 15 septembre 1981.
(2) Voir page 17 de l'Algérianiste n°15 du 15 septembre 1981.

TERMINAL

Mon dernier désir
Sera de mourir
Comme pour dormir

D'un très lent sommeil
Mais sans plus d'âme-à-me souffrir
Sans " dieu-ni-maître " à les maudire,
Ni enfer ou ciel à subir,
Seul, - dans mon cercueil d'éternel.

Ah l mienne Mort l Requiem d'absolu !

O Merveille

Extase lue au Tabernacle d'un Nadir !

Vite, plongeur de fond, vers l'abîme appareille,

Fonce en la crypte austère où le laisser gésir

Yeux grands ouverts dans une nuit de longue veille,

Homme, grâcié-à-mort de te vivre en martyr !

Jean POMIER, 26-1-1974.

In l'Algérianiste n°15 du 15 septembre 1981

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