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Pataouète et Italien

Écrit par . Associe a la categorie Pataouète

PATAOUETE ET ITALIEN

Le pataouète été influencé par l'italien,dans l'Est algérien plus particuliérement où les immigrés venus de la péninsule et de Sicile étaient nombreux. Par conséquent, la façon de parler à Bône ou à Philippeville était trés différente de celle qui était courante en Oranie où les hispanismes étaient fréquents. On ne saurait cependant limiter l'influence italienne exclusivement à l'Est algérien. Elle s'exerçait à Alger, par exemple,dans le si pittoresque quartier de la Marine qui garda longtemps des tournures et des locutions propres,directement issues du vocabulaire des pêcheurs napolitains. On en trouve des traces multiples dans le "Cagayous" de Musette, particulièrement pour ce qui concerne le vocabulaire de la mer. Rappelons d'ailleurs,et dans un autre registre, que jusqu'en 1962, des termes comme aquabatz, badjoc, boumarolle, falso; falampo, gatz(1) restèrent d'un usage courant dans la capitale. Celle-ci a fonctionné un peu comme le creuset des divers apports linguistiques à l'oeuvre parmi les Européens d'Algérie. Le pataouète algérois par sa position centrale et à l'inverse de celui de ses deux voisins, est donc caractérisé par la diversité plus grande de ses sources:castillane, catalane, provençale et italienne.

Notons également à cinquante kilomètres d'Alger, le cas particulier de Chiffalo. Ce petit village côtier, était peuplé de familles originaires de Sicile. Ce lieu était une sorte de petit conservatoire linguistique où le dialecte sicilien fut longtemps préservé. Dans les années cinquante, le phénomène était encore sensible et les Chiffalotains avaient gardé dans leur parler, maints vocables d'origine. Ces particularités furent remarquablement illustrées dans un livre de Liane Prioli, intitulé "Antoine de Chiffalo" ( 2)

Quand on évoque l'apport italien au parler pied-noir, il faut en effet souligner qu'il s'est exercé quasi exclusivement par l'intermédiaire des dialectes napolitain et sicilien, des dialectes méridionaux par conséquent. Le premier a fortement marqué Philippeville où de nombreuses familles étaient originaires de Naples et de sa région…Bien entendu,Edmond Brua en a donné une remarquable illustration connue de tous, dans " La Parodie du Cid"où les morteguidamourte, les dichpérate, guitche, matsagoune, taffarel, révèlent bien leur origine. (3). Le dialecte sicilien a été important à Bône et en Tunisie. On s'en aperçoit dans les ouvrages de Fernand Bus comme "Moi et Augu" ou "Elles sont bien, Bône" (4) avec leurs babbalouke, caplate, gattarelle,.sparle, chkoll et chkoumounicate.(5). Il est d'ailleurs significatif que ces deux derniers ne soient que la prononciation insulaire de scoglio (rocher) et scomunicato (excommunié), affectée d'un chuintement caractéristique. Soulignons, en passant,que des oeuvres comme celle de Robert Napoleone, "Chateaux en Soleil" et le texte de Jean Benoît (alias Tchatcharolle) "La Saint Couffin" comportent de très riches aperçus sur la spécificité du parler de nos compatriotes du Constantinois. ( 6)

Remarquons aussi que certains vocables italiens ont circulé jusqu'en Oranie. Des termes comme corpou, cougoutse,.milza et meme,semble t-il corricolo(7) s'y employaient. Un écrivain aussi excellemment oranais que notre cher Gilbert Espinal utilise dans une de ses nouvelles,rester axe au sens de rester interdit qui vient naturellement de l'italien rimanere in asso, très fréquente chez Brua.(8)

L'emploi de termes venus de l'italien dans le très hispanisant département de l'ouest algérien est certes un phénomène limité. Il n'en est pas moins curieux. Il s'explique sans doute par l'influence des Italiens dans certains métiers,ceux de la mer notamment. Il peut, s'expliquer encore par la similitude de certains mots italiens et catalans ; la cucuzza des Napolitains ressemble à s'y méprendre au cuguç des Minorquins. Enfin, un élément ayant pu induire la divagation géographique de certains mots ou expressions serait peut être le nomadisme des enfants de fonctionnaires. Ceux-ci tenus de suivre leurs parents déplacés au gré des mutations,transportaient dans les cours d'école de toute l'Afrique du Nord, des locutions glanées un peu partout. Ainsi,pour ne prendre que cet exemple, l'expression: rester kixe (8),si typiquement bônoise, était courante au Lycée Gouraud à Rabat, à plus de mille kilomètres, alors qu'elle était inconnue à Alger.

Notes:
1-Bouillabaisse, simplet, pomme d'amour, hypocrite, menteur, phallus.
2-Ed-La Typo Litho et Jules Carbonel.Alger,1941.
3-Que la mort t'étouffe! désespéré, bigle, crevette géante, boucan.
4-Ed.Afrîca Nostra,1979.et 1992.
5-Idiot, nul, chatte -de mer, sargue(poisson), pierre misérable.
6-Respectivement Ed.Africa Nostra,1981 et SNP,.Meaux,1989.
7-Partie centrale du filet de pêche,courge,ràte farcie,petite diligence.
8-Rester axe et rester kixe signîfient:rester coi,rester interdit.

In l'Algérianiste n°74 de juin 1996

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