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Pataouète et Provençal

Écrit par Jean Monneret. Associe a la categorie Pataouète

PATAOUÈTE ET PROVENÇAL

Le pataouète, ce parler si spécifique des Français d'Algérie est généralement décrit comme un mélange de catalan, d'espagnol, d'italien et d'arabe. S'il est banal d'évoquer à son sujet l'influence hispanique, très importante en Oranie, et l'influence italienne, considérable dans l'Est algérien, on oublie souvent sa composante provençale. Or, celle-ci est loin d'être négligeable. En effet, les métropolitains venus s'installer en Algérie après 1830, étaient rarement originaires des régions situées au nord de la Loire. Exception faite des Alsaciens en 1871, la plupart d'entre eux étaient des méridionaux. Une proportion notable était composée d'agriculteurs, parlant entre eux et au sein de leur famille des dialectes occitans.

On trouvera ainsi des " méridionalismes " très caractéristiques dans le pataouète en usage à Alger au début du siècle, à l'époque de Cagayous. Ce dernier emploie par exemple, esclaffer au sens d'éclater et ganivet pour désigner un couteau. Il utilise le mot sorte pour dire une blague et capeô pour dire chapeau, termes parfaitement répertoriés dans le dictionnaire de Robert Rourret.

Précisons toutefois que nombre de vocables utilisés en Provence sont également courants aux Iles Baléares. Dès lors, comment déterminer ce qui a pu être apport linguistique français ou apport linguistique catalan/valencien ? Distinction difficile et parfois impossible car au cours des âges, les îles Baléares ont connu des incursions provençales. De ce fait, le catalan insulaire a subi des influences qui le distinguent, par ses variantes dialectiques, de la langue parlée sur le continent.

Sont-ce les " Mahonnais " ou les Provençaux qui ont introduit en Algérie des termes et des locutions aussi typiquement pataouètes que : babaô, broumitche, caisse de mort, coca, gamate, gantcho, etc. ?

On peut toutefois affirmer que certaines expressions courantes en Algérie jusqu'en 1962, étaient indiscutablement provençales. Certaines sont même nettement marseillaises. Bordille, cette injure équivalant à " saligaud " se disait à Oran. On connaissait à Alger des locutions comme : aller chez Dache, changer l'eau des olives, aller se faire une soupe de fèves. Prenons les expressions faire la chaîne au sens d'être dans une file d'attente, ou dégraisser un vêtement pour nettoyer un habit, beaucoup d'entre nous les jugeraient typiquement pieds noirs, mais elles sont en usage à Marseille depuis des décennies. Même une insulte notoirement philippevilloise ou bônoise (et immortalisée dans La Parodie du Cid par E. Brua) comme va fangoule, n'est pas rare dans le Midi, comme le terme tafanar au sens de postérieur.

Il est vrai que ces expressions ont été introduites en Provence il y a longtemps par des immigrés italiens, très exactement comme elles le furent dans le Constantinois.

Qui parlait de notre Mère Méditerranée ?

Jean MONNERET

Robert Rourret, dictionnaire Français- Occitan. Institut d'Etudes Occitanes, 1981.
Robert Bouvier. Le parler marseillais. Ed. Jeanne Laffitte. 1992

Article paru dans " l'Algérianiste " n° 70 de juin 1995

 

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