Imprimer

Tous aux abris ! Les Marsiens i rattaquent !

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Une parution mensuelle de l’algérianiste ne suffirait pas à dénoncer en temps utile la prolifération des plaques de rues, de squares et de monuments à la gloire du 19-Mars. Ce prurit révisionniste insulte non seulement la mémoire des dizaines de milliers de victimes des purges sauvages qu’a entraînées la fausse paix, mais aussi l’Histoire de France. N’est-ce pas le cas dans cette commune du Gers dont le maire efface du marbre la victoire de l’Isly pour y graver la défaite d’Évian ? Les mots d’indignation manqueraient, si nous ne pouvions compter sur le vocabulaire de Dodièze, notre délégué permanent à la Rabia.

Tous aux abris ! Les Marsiens i rattaquent !

DODIÈZE - La rabia, c’est comme les merguez. À peine qu’elle refroidit une, là oilà l’aute qu’elle chauffe. Rosement que L’Algérianisse i sort que tous les trois mois. Aussinon, un vieux d’la vieille comme moi, à force que la température elle lui monte et elle lui descend, antantion la congexion, diocane !

J.-B. - Vous m’inquiétez, Dodièze. J’en étais resté à votre sortie contre Dantzig 1. De qui s’agit-il, cette fois ?

DODIÈZE - Qu’i va s’la prendre Dancing ! Le calamar qu’je veux dire, c’est un aute que son nom i m’a tombé de la tête comme une figue sèche. Çuilà de son bled, je m’arappelle juste qu’i sent le cimitière…

J.-B. - Le cimetière ?.… Ah ! vous voulez parler de Simorre, cette obscure localité du Gers dont le maire veut rebaptiser la place d’Isly en 19-Mars, un de plus ?

DODIÈZE (pincé) - Six-Morts, c’est ça. Mais si tu la racontes toi l’histoire, pas la peine tu me demandes le pourquoi ni le comment. Ou alors c’est moi que je tape l’interviouve et que je signe Dodièze à la fin.

J.-B. - Pardon, pardon. À vous l’honneur…

DODIÈZE - Justement, L’honneur. Aousqu’il est, dans cette embrouille ? Alors, comme ça, le 14 juillet, la nouba municipale de là-bas, elle va jouer Kassaman 2 au lieur de La Marseillaise, de la Marche des turcos ou celle-là des spahis ? Et les anciens combattants, i vont venir a’c les valises pendantes à la place des médailles ? En reculant en errière, comme l’écriture arabe ? Et l’histoire d’l’a France, on va s’l’apprendre dans Mickey ? Moi, le baroud d’Isly, en plus que c’était au Maroc, je suis trop jeune pour m’arrapeler. Mais Valmy et Austerlisse aussi… Alors, méteunant, tout ça qu’il est vieux, on s’le sange comme si ça s’rait du linge sale ou des spargates 3 trouées !

J.-B. - Eh bien, oui, mon pauvre Dodièze, c’est comme ça. Même la gloire a fait son temps. La mode d’aujourd’hui, c’est la honte, la repentance, la mauvaise conscience… Vos gueules, les trompettes ! Tout le monde au confessionnal, à la pénitence, à la flagellation…

DODIÈZE - Comment qu’t’i’as dit ?

J.-B. - La flagellation. Hum !… Ça veut dire battre sa coulpe, se fustiger avec des verges…

DODIÈZE (choqué) - Des… ? Zob ! C’est dégoûtant ! Alors, çuilà que tu me dis qu’i veut sanger la palme d’Isly en olive d’Évian, i serait un peu…

J.-B. - Non, non ! Ce n’était qu’une image pour dénoncer une fâcheuse tendance des autorités nationales et locales à refuser leur histoire, à s’humilier, à…

DODIÈZE - ...à baisser le patalon ?
J.-B. - Heu !… Hum… En quelque sorte. N’ayons pas peur des mots…

DODIÈZE - Eh ben, c’est bien ça qu’je disais moi et que tu disais toi que c’était pas ça. Pour la question des zouzguefs 4 de langue, t’i’es le plus fort. Moi qu’je suis pas-t-été à la grande école, je parle comment qu’i m’ont appris mon père et ma mère les pôves (qu’i s’les garde le Bon Dieu merci mon Dieu) et qu’i z’étaient même pas allés à la petite, eux… Comment qu’on l’appélait à Bablouette et même à la rue Mich’let un que tout ça qu’i fait c’est à l’envers ? Un… ?

J.-B. - Dites-le vous -même. Je ne vais pas risquer 45 000 euros d’amende pour un qualificatif à connotation discriminatoire…

DODIÈZE (stomaqué) - Combien qu’t’i’as dit qu’ça coûte le mot qu’tu dis qu’tu veux pas le dire et qu’i faut que j’le dis moi ?

J.-B. - 45 000 euros. Sans les frais de justice.

DODIÈZE - Alors là, le cul i me tombe d’en haut la colonne du Fort l’Empereur 5 ! 45 000 zorros, assaoir combien ça fait des francs du temps qu’il a fallu déménager de Bablouette pour traverser à la Joliette ? En tout cas, ça qu’je suis capabe à calculer, c’est que, à force des amendes pour les gros mots que nous on peut pas s’empêcher, eh ben les frais de déménagement des estatues, des sangements des plaques des rues et d’la misique des noubas, i sont payés d’avance, diocane !

J.-B. - Vous parlez d’or, mon cher Dodièze. Mais vous verrez que si cela ne suffit pas, on nous fera payer un impôt de repentance.

DODIÈZE - Impôt, zbouba 6 ! Antantion que Dodièze, ancien Lion des brochettes de la Cantère 7 à la Marine, il est pas né çuilà qu’i va l’endoffer 8, diocane ! De quoi c’est ça ? Si le gouvernement d’ici i veut tout sanger, eh ben, au lieur qu’i fait payer les amendes et les impôts, mieux qu’i les revend les vieilles plaques et les vieilles estatues à l’Algérie. Pourquoi là-bas, tous i les réclament, de tant qu’i z’en ont assez de se tromper le chemin… Et, à force qu’on l’essange tout d’un côté l’aute, pétrête que ça va venir pareil pour les drapeaux et même pour les gens. L’os de cet os, c’est que y’aura pas la place pour tout le monde. Rappelle-moi à passer par en bas le port pour réserver le ticket de retour…

Jean BRUA



dodieze130
Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) Voir la chronique du n° 128. ;
2) Kassaman : Hymne national algérien.
3) Spargates : espadrilles.
4) Zouzguefs : complications.
5) Fort l’Empereur : fort des hauteurs d’Alger commémorant l’expédition malheureuse de Charles-Quint en 1540. Il était dominé par une colonne de 50 m de haut érigée par les Français en 1912 et détruite volontairement en 1943 parce qu’elle servait de balise à la Luftwaffe pour bombarder le port.
6) Zbouba ! : bernique !
7) La Cantère : quartier de Bab el Oued.
8) Endoffer : entuber, tromper.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.