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Sic transit gloria sportis (1) et cefera et cefera...

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Les trimestres se suivent et se ressemblent, avec le manège des contestations, des critiques du « rôle positif », des contrevérités et des injures à propos de la présence française en Algérie « cette pelée, cette galeuse d’où nous vient tout le mal ». Ainsi sollicitée tous azimuts, la rabia dodiezienne ne risque-t-elle pas de s’user sous les assauts de la mauvaise foi ? C’est mal connaître notre maître à tous en ce domaine. D’ailleurs, la lassitude qu’il affecte parfois n’est que coquetterie de patriarche. En vérité, son capital de rabia est si considérable qu’il est prêt à en faire profiter les moins nantis. Pour l’amour de l’art.

 

Sic transit gloria sportis (1) et cefera et cefera...

DODIÈZE - Bon, j’t’la souhaite pas la bonne année, pasque, de toute façon, bessif qu’elle sera mauvaise.

J.-B. - Houla ! je vous trouve bien pessimiste, mon cher Dodièze.

DODIÈZE - Pessimisse, moi ? Si je s’rais pessimisse, je dirais qu’le numéro 10 de mon troisième sièque (2), ça va-t-être le pluss pire de tous ceux-là qu’i z’ont passé. Et pourtant, question des années noires, on peut dire que moi, j’les ai tirés les plus mauvais niméros (il compte sur ses doigts) : la grande guerre, la moyenne guerre, les p’tites d’l’Indochine et d’l’Algérie… Tout ça pour finir retraité rapatrié à Marseille, a’c les crises de rabia comme si ça s’rait les rhumatizes, la goutte ou assaoir quoi. Diocane ! Quand j’les lis les jornals ou que j’les ois et j’les entends les télés, ça me vient une fatigue des boyaux d’la tête que rien que le docteur i oit ma fugure de Boufarik (3), ça lui prend un sousto (4) terribe que je tchouffe (5)…

J.-B. - Tiens donc ! Et par quel phénomène ?

DODIÈZE (avec l’assurance du Dr Knock) - Des pressions. Le philomène des pressions. I’dit comme ça le toubib que la tête, c’est kif kif les peuneus : à force que ça gonfe, ça esplose. Total, on reste à plat.

J.-B. (après quelques secondes de traduction mentale) - Dépression, vous ? Allons donc ! Vous vous prenez pour un marché financier ? Eh bien, si l’actualité vous déprime à ce point, contentez-vous des pages ou des émissions sportives… On n’est plus à l’époque de l’A.S.S.E., mais vous avez l’O.M. à domicile. Et puis il n’y a pas que le foot : la boxe, l’athlétisme, la natation… Vous n’allez pas me dire que vous ne vous intéressez pas à la natation, vous, un ancien des Bains Padovani ?…

DODIÈZE - ...et de l‘A.S.Montpensier (6), tu peux dire. Mais la natation d’aujord’hui, c’est comme le reste : ousqu’il est le sport, là-dedans, a’c le flouss qu’i tombe de tous les côtés ? Les vélos qu’on les fabrique dans les usines d’avions ? Les ralentis d’la télé qu’i leur font perdre la fugure aux arbitres, les pôvres ? Les soupes de fèves à la dynamite qu’on leur fait boire aux coureurs pour qu’i couriront a’c le feu au terma (7) ? La radio dans les oreilles comme le spion Jam’s Bombe ?

J.-B. (les bras au ciel) - Que voulez-vous, mon pauvre Dodièze, c’est la rançon du modernisme. Vous ne pouvez pas plus remettre en cause la transformation du monde sportif que celle du monde tout court. L’argent, la technique… Pourquoi les sportifs n’en bénéficieraient-ils pas aussi ? Reconnaissez que…

DODIÈZE (ferme sur ses positions) - Rien, je reconnais ! Ni les fotballeurs qui sangent le club comme la chimise ; ni les tapeurs de pt’ites balles qui font sauter la banque de Roulant-Carrosse et de Will Bedon…

J.-B. - Quand même ; il y a encore des sportifs qui mouillent le maillot…

DODIÈZE - À part les nageurs, pas beaucoup. Et encore… I z’ont des maillots imperméables que ça glisse tout seul dans l’eau comme une peau d’lézard. Si y’aurait pas le mur de chaque côté pour les arrêter, assaoir jusqu’à où qu’i z’iraient comme ça, rien qu’a’c la force de la pantcha de départ… Nouzôtes, à la Coupe de Noël du port d’Alger, la glissade, c’était à la sortie de l’eau, dessur le quai, à rapport que le mazout, ça nous coulait de partout, pire qu’une sardine de Papa Falcone (8) quand elle sort de la boîte…

J.-B. - Eh bien, vous devriez être content. La fameuse « combine » intégrale dont vous parlez est interdite depuis le 1er janvier.

DODIÈZE - Le juste, c’est le juste. Alors c’est fini la peau d’serpent d’eau ? Hum ! J’attends de oir. Encore i sont capabes les fabricants à leur mett’des palmes à hélices, ou un flotteur d’hydravion à réaction…

J.-B. - Non, non, rien de tout ça. Juste un maillot : sans le haut, et ne couvrant pas plus bas que le genou.

DODIÈZE - Sans le haut, ça veut dire torse nu ?

J.-B. - Exactement.

DODIÈZE - Qué rabia que j’m’entends ça ! Torse nu ! Et pourquoi pas tout nu avec une plume dans le derrière ? Alors le maillot une pièce à bretelles qu’elle m’avait tricoté ma grand-mère pour taper la course à Padovani, à Matarèse ou à Nelson (9) et faire le beau devant les petites, je l’ai plus le droit de le porter à la piscine ? Comment je vais faire, moi que la Fédération elle m’a inscrit dans les championnats internationals des « Nés avant 1900 » ?

Jean BRUA



dodieze128
Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) Sic transit… etc. : Ainsi passe la gloire du sport.
2) Rappelons que Dodièze est né à la fin du xixe siècle.
3) Fugure de Boufarik : teint bilieux (allusion aux pionniers de la Mitidja décimés par les mauvaises fièvres.
4) Sousto : peur intense.
5) Tchouffer : faire tchouffa (échouer) ; par ext. : mourir.
6) A.S.Montpensier : glorieux club de water-polo.
7) Terma : cul.
8) Papa Falcone : conserverie de poisson.
9) Padovani, Matarèse, etc. : établissements de bains de mer de Bab-el-Oued

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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