L'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Après le long entracte de l’élection présidentielle, les Français se remettent à leur sport favori : se substituer au sélectionneur national (de foot, de rugby, de basket, d’athlétisme, de natation…) pour présenter les meilleurs Bleus possibles aux grands rendez-vous de la télé. Mais ce serait faire injure à Dodièze que de le considérer comme un conseilleur de plus. En effet, la méthode de préparation qu’il préconise pour la prochaine sélection olympique est le fruit d’une observation judicieuse et de constats de société aussi évidents que les grands principes de la physique et des mathématiques ou la recette de la soubressade mahonnaise.

 

L’aoufisme, indiscipline olympique !

DODIÈZE - Bon, méteunant qu’c’est fini l’élection ça s’rait bien qu’on les prépare un peu à l’avance les affaires sérieuses.

J.-B. - De quoi voulez-vous parler ? Du traité d’amitié avec Boutef ?

DODIÈZE - Chandifik (1) de ce p’t’it nain ! Qu’i va s’faire rallonger chez les Turcs ! Et pour l’amitié, pas besoin du traiteur. Encore i nous restent des amis là-bas sans signer des écritures pour rien et sans cracher dessur la photo d’l’Algérie d’avant. Non, ça qu’je veux parler, c’est la préparation des Jeuzolympiques chinois.

J.-B. - Les Jeux de Pékin ! Diable, Dodièze, vous voyez loin !

DODIÈZE - Qué loin ? Ça se oit que t’i’as le temps, toi ! À mon âge, le temps, de tant qu’i court vite, diocane ! c’est comme un chat que Galoufa (2) i voudrait l’attraper sans salabre (3). Bon, bref. La vérité, c’est que c’est pas trop un an à l’avance pour réchéflir assaoir comment qu’on fait pour que les Chinois i se profitent pas tout le jaune des médailles pour euzôtes.

J.-B. - Et bien sûr, vous avez votre idée sur la question.

DODIÈZE - Je veux ! Mon idée, c’est que, après le stage de gonflage des poumons les sélétionnés i font çuilà d’aoufisme.

J.-B. (interdit) - D’aoufisme ! Vous vous fichez de moi ou vous parlez d’autre chose ? L’oxygénation, je comprends, mais l’aoufisme ? Je vous accorde que l’olympisme français roule davantage sur le bronze (et même le chocolat) que sur l’or, mais on a encore les moyens de payer le voyage en Chine de nos champions.

DODIÈZE - C’est pas la question du oyage, mais de l’entraînement. Ça m’a venu l’idée comme ça quand j’l’ai vu à la télé le triâte long aoufiste.

J.-B. (complètement perdu) - Le théâtre… Comment dites-vous ? Le théâtre long… C’est quoi, ça ? Vous voulez parler de la campagne présidentielle ? Théâtrale et longue, je ne dis pas le contraire, mais quel rapport avec l’aoufisme, et surtout les Jeux Olympiques ?

DODIÈZE - Le rapport, je vas te le spliquer, si t’i’arrêtes à faire le deb (4) kabyle, diocane ! Jamais t’i’arrégares les émissions sportives à la télé, alors. C’est pas la peine que ton père et toi vous avez fait supporters du RUA pendant assaoir combien du temps ! Qué pantience qu’i faut pas avec vouzôtes les jeunes ! Le triâte long, c’est une compétition que y’a trois épreuves. Tout le monde i sait ça, sauf toi.

J.-B. - Le triathlon ! C’était donc ça. J’aurais dû me douter d’une trampa (5) de ce genre. Bon, parlez-moi de ces trois disciplines. Je suis curieux de savoir comment elles se rattachent à l’aoufisme.

DODIÈZE - D’abord, ça que tu dis toi que c’est la discipline, eh ben c’est le contraire. Ho ! Tu vas pas m’apprendre ça qu’c’est la discipline à moi que, de tant que j’ai fait le salut militaire, les corvées de baliyage et de chiottes à la caserne du 1er Tirailleurs à Blida avec gloire et honneur, i m’a resté le bras comme s’i serait en bois. Bon. C’est pas pour dire du mal de l’aoufisme (t’le sais bien que je suis-t-été un especialisse, rapport à ça), mais quâ même, si un receveur honoraire des Céféra i t’entendrait dire que c’est d’la discipline, ou bien i se casse sa fugure à lui de rire, ou bien i te casse ta tienne à toi de rabia.

J.-B. - Bon, et si nous revenions au sujet ? Vous ne m’avez toujours pas dit en quoi consistaient ces trois disc… enfin, les trois épreuves dont il est question.

DODIÈZE - Les trois épreuves, c’est une après l’aute, sans s’arrêter. Premièrement, le saut d’haie, deuxièmement la boxe, troisièmement, la course à pied. Et pendant ce temps, vinga qu’i tourne le chronomète.

J.-B. - Ah bon ? Excusez, mais je ne vois toujours pas ce que l’aoufisme vient faire dans cette galère…

DODIÈZE - Alors, as’ma, yaouled (6). En premier : qu’est-ce qu’i fait un aoufiste du métro ou du train quand il arrive au trouniqué (7) ? I prend l’élan et i saute, hop ! En deuxième : qu’est-ce qu’i fait le même si l’arbitre vec la casquette de contrôleur i siffle faute ? I lui fait la même tête qu’il y’a fait Cerdan à Tony Zale (8), zbotch ! En troisième : qu’est-ce qu’i fait quand i z’arrivent les stadiers du contrôleur ? Scapa (9) pleins gaz, i fait. T’i’as pas vu le championnat d’la gare du Nord à la télé ?

J.-B. - C’était donc ça ! Bien sûr que j’ai vu, comme tout le monde. Mais votre triathlon aoufiste, Dodièze, c’était plutôt un quadriathlon. Vous oubliez le match de rugby qui a suivi entre policiers et « athlètes ».

DODIÈZE - Rien du tout, j’oblie. Le match de rugby, c’est sport collectif. Le triâte long que je parle moi, c’est IN-DI-VI-DU-EL.

J.-B. (qu’i se croit malin) - Sauf si la compétition se dispute par relais…

DODIÈZE - Non Monsieur. Individuel quâ quême. La preuve, c’est que quand le car il a ramené les triâtlongiens à l’hôtel d’la poulice, eh ben la spiqueuse d’la télé elle a bien dit : « une trentaine de z’individus ».

Jean BRUA

Dessins de l'auteur)

 

1) Chandifik ! : Je m’en fous !
2) Galoufa : capteur d’animaux d’Alger.
3) Salabre : épuisette. 
4) Deb : bourricot.
5) Trampa : tromperie ; mystification. 
6) As’ma, yaouled : Écoute, gamin.
7) Trouniqué : lapsus présumé innocent pour « tourniquet ».
8) Tony Zale : tenant du titre mondial des « moyens », rossé en 1948 par notre Bel-Abbésien national. 
9) Scapa: fuite à toutes jambes ; dér. faire scapa : s’enfuir.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini