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Gloire et honneur au pataouète universitaire !

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

En ce septième automne du siècle, l’humeur de Dodièze ne pouvait être qu’assombrie par la disparition du linguiste André Lanly, qui l’a si souvent cité dans Le français d’Afrique du Nord. On lira par ailleurs l’hommage rendu à ce grand ami de notre communauté. Mais on ne pouvait manquer de dédier cette chronique à l’éminent universitaire, qui en était un lecteur fidèle… et assez averti pour se passer aisément du glossaire de « splications ». Ce qui est une raison particulière, pour Dodièze, de lui « léver bien bas » le chapeau, selon la figure de rhétorique qu’André Lanly qualifierait de réjouissant « paradoxisme ».

 

Gloire et honneur au pataouète universitaire !

DODIÈZE - Toi que ton père il a bien connu le grand capabe qu’on parle aujord’hui dans L’Algerianisse, pétrête tu peux m’le spliquer pourquoi comment qu’ça s’fait qu’à moi qu’je suis un espécialisse de la kémia, les diteurs i m’ont pas envoyé ses lives sur les bli-blis (1).

J.-B. (comme s’i oirait De Gaulle en patalon des oursins) - Les bli-blis ? Mais de qui et de quoi parlez-vous ?

DODIÈZE - J’le parle celui que tu parles toi la page à côté, diocane ! Attends que j’l’arrégarde le nom… Oilà. Lanly, André Lanly, qu’i s’appelle. Faut que j’te dis tout, alors ! Même le nom de ceux-là que tu fais l’artique dessur. C’est pas croyabe à croire comment que vouzôtres, les jeunes, la mémoire ça vous sort dihiors la tête plus vite que l’eau elle se vapore d’un trou de l’oued Seco !

J.-B. (la honte à la fugure) - Hum, heu… Excusez-moi, Dodièze, mais comment voulez-vous que j’associe le linguiste André Lanly à un traité sur les bli-blis, à supposer qu’il y en ait un ?

DODIÈZE - Quâ même, c’est pas moi que j’l’ai écrit « blibliographie » à la fin, non ? Alors scuse-moi que je voudrais bien le saoir ça qu’c’est la blibliographie si c’est pas les lives qui parlent des bli-blis salés ou sucrés, ou alors la calentita (2), le couscous et assaoir quoi qu’on fait a’c les chigrouns (3), même les munitions pour le sarbacanes !

J.-B. - Hola ! Vous me faites tourner la tête ! Sauf votre respect, Dodièze, vous êtes complètement à côté de la plancha ! J’écris « bibliographie » et vous lisez « blibliographie ». J’ai l’habitude de vos lapsus, mais là, vous poussez le pois-chiche un peu loin, non ?…
DODIÈZE (de mauvaise foi) - Doucement vec la mise en boîte ! Tu te crois d’être papa Falcone (4) ? Si c’est juste des p’tits « l » en trop, y’a pas de quoi qu’on fait un taffarel (5) ! Méteunant que tu me dis que c’est « bibiographie », j’le comprends que Lanly, il a écrit une spèce de bibe. C’est vrai ou c’est pas vrai ?

J.-B. - Une Bible, tout juste ! Je ne sais pas si vous l’avez fait exprès, mais chapeau ! On ne saurait mieux définir l’ouvrage dont il est question, ni sa contribution essentielle dans la fixation d’un moment d’histoire dont nous avons fait partie…

DODIÈZE - Bon, bon, arrête un peu la raïta (6). Alors c’est la Bibe du pataouète qu’il a écrit, cet homme ?

J.-B. - Vous avez bien compris, comme chaque fois que vous ne faites l’âne que pour avoir du son. Mais on ne va pas refaire l’analyse du livre dont Edmond Brua parle très bien par ailleurs. De toute façon, je ne peux que vous conseiller de le lire. Vous verrez qu’on y cite nombre de vos répliques…

DODIÈZE (flatté) - Par exempe ?

J.-B. - C’est facile. Je les ai notées là. Eh bien, par exemple :
Avec gloire et honneur, je me porte la cravate
Pourquoi moi et Fernand, nous s’avons fréquentés…

DODIÈZE (après un silence)
- …  Du temps que manque (7) encore il était député.
T’i’as pas vu qu’i manque un bout ? Si ça s’rait le maîte de not’école de Bablouette, qué rabia qu’i se prend pas ! Scuse-moi de te demander pardon, mais pour la note de ça que t’i’as noté, t’i’aurais gagné un ouallou à l’encre rouge et à faire signer par les parents ! Chance qu’Edmond i oit pas ça, diocane !

J.-B. (froissé comme une chimise de fout-la-faim (8)) - J’entends bien. Mais la citation ne portait que sur les deux vers illustrant les idiotismes dans l’application des verbes pronominaux…

DODIÈZE (escandalisé) - Idiotisme ! Idiotisme ! C’est toi que t’i’es l’idiot ! Et en plus tu me dis que j’étais pro-Nomino, moi que toujours je suis-t-été pour Fernand (9) contre Lopez et que ce Nomino, personne il a jamais entendu parler !

J.-B. (conciliant) - Allons, allons, ce n’est pas ce que vous croyez. Idiotisme ne dérive pas d’idiot, mais d’idiome. Vous voyez bien qu’il n’y a pas d’injure… Quant aux verbes pronominaux… Il faudrait revoir votre grammaire…

DODIÈZE - Ah, si c’est du temps de ma grand-mère — que le Bon Dieu il se la garde — je dis pas. Mais pour le saoir si elle était pour ou contre ce Nomino que tu dis toi, y’a que elle en personne qu’elle pourrait répondre. D’abord, de son temps, t’le sais bien qu’les femmes, question des élections, elles avaient pas encore la carte pour voter. Rien qu’elles s’occupaient d’la scabètche et d’la loubia pour faire la fête des résultats, quand i z’avaient bien voté les morts. Et aussi d’les soigir les légumes et les œuffs pourris…

J.-B. (ses œils dégoûtés) - Quoi, pour le repas ?

DODIÈZE (ses siens au ciel) - Va fangoule (10), a’c le repas ! Le manger pourri, c’était pour jeter d’en haut le faux corbillard devant la porte de çuila qu’i s’était pris le saucisson des élections. I le dit pas, Mecieu Lanly, dans son live ?

Jean BRUA



dodieze119
Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) Bli-blis : pois-chiches grillés
2) Calentita : tourte de farine de pois-chiches.
3) Chigrouns : pois-chiches. 
4) Papa Falcone : conserverie d’anchois.
5) Taffarel : bruit, désordre.
6) Raïta : flûte arabe.
7) Manque (ou manco) : adverbe de négation. 
8) Fout-la-faim : clochard, pauvre hère.
9) Fernand et Lopez : rivaux politiques dans « La Parodie du Cid ».
10) Va fangoule ! : Va te faire... voir chez les Grecs.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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