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Encore les zouzgueffs (2) d’état-incivil !

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Vous êtes-vous jamais trouvé dans la situation courtelinesque d’avoir à justifier votre nationalité française face à un fonctionnaire de l’état-civil, de la préfecture ou des Impôts, verrouillé comme un coffre-fort derrière les digicodes imaginés par des crypteurs fous ? Dodièze, oui, que la ronde décérébrante des DZ, DZA, 91 et 99 a failli faire douter de sa propre existence…
Heureusement, quand on a pour monture la rabia, on ne reste pas désarçonné bien longtemps. Voyez plutôt comment, à l’instar du Don Quichotte de notre concitoyen bessif (1) Cervantès, il charge à pleine lance les moulins de l’obscurantisme administratif.

 

Encore les zouzgueffs (2) d’état-incivil !

DODIÈZE (absent) -…

J.-B. - Hum ! Dodièze ?… Vous êtes fâché ou quoi ?

DODIÈZE (l’index sur les lèvres) - Chchch…

J.-B. - Ah bon ? Pardonnez-moi de troubler votre méditation. Il doit s’agir de quelque chose de sérieux… (Dodièze opine du chef avec force) Vous voulez que je repasse dans un moment ?

DODIÈZE (explosant) - Et oilà ! Tu m’l’as fait caguer l’exercice yogatz de la décongexion ! Juste le moment que ça commençait à passer la couleur d’homard !

J.-B. (fin comme un couffin) - Omar le Noir (3) ?

DODIÈZE - Tu peux t’les garder les finesses de bourricot ! L’homard que je parle moi, c’est çuilà qui vient rouge quand ça commence à bouillir l’eau. Moi, c’est pas dans l’eau que je bouille, c’est dans la rabia !

J.-B. - Et peut-on savoir le motif ?

DODIÈZE - Le motif ? Eh ben le motif, manque tu trouves pluss pire : « atteinte au moral de l’Armée » ! Un motif comme çuilà, à la caserne de Blida, t’i’avais droit à « 15 dont 8 » (4) pour commencer, le falot (5) pour contunuer et, pour finir, le Clube Med de Foum Tataouine (6) !

J.-B. (grandiloquent) - Diable ! Et qui donc pourrait encourir pareil châtiment ?

DODIÈZE (soupçonneux) - Comment qu’t’i’as dit ?

J.-B. - Hum !… Je veux dire : qui c’est qui pourrait se prendre le ticket pour Tataouine ?

DODIÈZE - Toujours le même. Un canielo (7) du bureau de l’état-civil de Marseille que ça doit être le fils à çuilà qu’il avait écrit dessur la vitre du guichet, en 62 : LES PIEDS-NOIRS À LA QUEUE OU À LA MER. Cette fois, c’était pas question de me ren’oyer à la queue, j’étais tout seul. Rien qu’je venais pour la photocopie conforme de mon témoignage de satisfaction de 1re classe au 1er Tirailleurs…

J.-B. (les œils ronds) - Ah bon ? Dans quel but ?

DODIÈZE - Pas çuila de l’O.M., en tout cas, spèce d’interrompeur mal élevé. La vérité, c’est une surprise que je lui fais à mon l’arrière-petit-fils Salvator pour son cocoricolum vite fait, en cas qu’on lui demande. Mais c’est pas la question. Devine à ça qu’i m’a répondu l’aute, quand j’y’ai sorti les papiers civils et militaires ?

J.-B. - Heu… Je pense qu’il a dû trouver les seconds un peu défraîchis, non ?

DODIÈZE - Et oilà. Avec toi, toujours le mot d’la rigolade. Va un peu sérieux, diocane ! D’abord, ça qu’il a parlé l’empoyé, c’est pas d’la vieillesse des papiers, mais de lettres et de niméros ZZD, DZA, 91 et 99 que j’ai rien compris, à part soi-disant que j’étais pas français…

J.-B. - Bien sûr. Tout le monde a eu connaissance de cette chicanerie administrative qui nous a attribué un numéro de code correspondant à une origine étrangère. Nos protestations ont fini par aboutir, mais il se trouve toujours un fonctionnaire borné ou malintentionné pour interpréter les textes de travers…

DODIÈZE - Qu’i vont s’la prendre vec les niméros, les codes de spionnage et assaoir quoi ! C’est ça que j’lui ai dit à mon calamar du guichet, mais pouliment, en montrant le papier de l’Armée d’Afrique, que ça vaut tous les certificats, comme preuve qu’on est français. Et lui, ce sfatchime (8), manque i m’a fait étouffer a’c ma langue quand il a remué sa sienne pour me dire ça : « Excusez-moi, Monsieur, mais si je regarde bien votre certificat militaire, je lis 1er Régiment de tirailleurs Algériens. Ce n’est pas ce que j’appellerais une preuve de votre nationalité française »…

J.-B. - Non ! Parole ?.…

DODIÈZE — Akarbi ! Si j’aurais eu vingt ans de moins, je lui mets un coup de carabasse que je le fais traverser aouf au Château d’If. Mais je m’ai dit que, rabougri comme j’a venu, je me monterais l’aubergine (9) contre le guichet et que si la tête qu’elle est blanche elle peut plus taper dihiors, au moinss elle est capabe à réchéflir dedans, mieux que du temps des cheveux noirs. « Y alors - qu’j’y’ai sorti à ce tchoutche (10) - si un tirailleur algérien d’avant-guerre il était pas français, quel niméro que vous auriez vous, aujord’hui ? Le 13, le 99 ou un aute en chiffes gothiques tout tordus-pointus ? Pétrête que tonton Gaston il a oblié de vous dire que c’est les tirailleurs algériens français qu’i z’ont fait sauver les casques verts de Toulon et de Marseille en 44 ? Et que s’i z’auraient pas venus d’Alger, d’Oran et de Costantine en passant par la Tunisie, la Corse et l’Italie, eh ben là-haut chez la Bonne-Mère, on la chanterait la messe en alli-allo (11) et, dessur le Vieux-Port, comme reconnaissance du ventre, ça serait chou-kartofeln au lieur de la bouillabaisse »…

Jean BRUA



dodieze120
Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) Cervantès : le grand écrivain espagnol a été prisonnier des Barbaresques à Alger de 1575 à 1580.
2) Zouzgueff : coup tordu. 
3) Omar le Noir : boxeur algérois d’origine sénégalaise.
4) « 15 dont 8 » : 15 jours de prison dont 8 de cellule.
5) Falot : tribunal militaire.
6) Foum Tataouine : garnison disciplinaire du Sud tunisien.
7) Canielo : fainéant.
8) Sfatchime : voyou.
9) Aubergine : tuméfaction.
10) Tchoutche : raie pastenague (fig. : imbécile).
11) Alli-Allo : chant de marche allemand.
  

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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