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Les joyeuses sorcières de Yacef

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Parmi les raisons qui auraient justifié l’abandon de l’Algérie, on brandit aujourd’hui celle de la non-rentabilité. Motif péremptoire, dans une époque où les gouvernements successifs de la France s’épuisent à maintenir à flot le vaisseau de l’économie, lourdement grevé par le prix croissant de la principale source d’énergie. Manifs et grèves se sont enchaînées au début de l’été. Mais les porteurs de pancartes contre les carburants trop chers savent-ils encore que le pétrole du Sahara n’a pas été jugé « rentable » par leurs parents quand il s’est agi de le solder, avec le reste, contre le chèque en bois des Accords d’Évian ?

 

Les joyeuses sorcières de Yacef

DODIÈZE - Ho ! Le journalisse ! Qui c’est qu’il avait raison de dire que la télé d’aujord’hui elle part en bombe (3) !

J.-B. (les œils au ciel) - Si ce n’était que la télé ! J’ai bien peur que ce ne soit plus général… Le « mal français », pour citer le regretté godillot Peyrefitte.

DODIÈZE (un peu dur de la feuille) - Laisse tomber les godillots père et fils ! Ça que je te parle moi, c’est la chaîne de télé espéciale pour les bombeuses du Félène à la rétraître qu’elles viennent spliquer comment qu’on fait pour faire sauter les cafés, les tobus, les stades les cinimas, vec les gens qu’i sont dedans. Vec le sourire et sans faire des taches dessur la robe, hein ! Parce que celles-là, de bombeuses, c’était pas comme aujord’hui dans l’Irak ou le Kapistan, ousque y’a pas de ticket de retour pour le livreur de strounga !

J.-B. - Vous voulez parler des terroristes kamikazes. Je vous accorde que les bombeuses de notre temps n’étaient pas suicidaires, loin s’en faut !

DODIÈZE - Oilà. En tout cas, ça serait mieux si elles auraient été ka… kaki… comme t’i’as dit toi. Au moinss, on les oirait pas (ou alors rien qu’en photo) à cette télé bombiste qu’elle leur paye le oyage, le maquillage et le tchatchage a’c l’argent d’la redevance piblique, diocane !

J.-B. - Si c’est de FR 3 que vous voulez parler, « chaîne bombiste » n’est pas exagéré, si l’on retient l’insistance de ses dirigeants à nous resservir les restes de Bataille d’Alger assaisonnés à la sauce FLN et à nous présenter ses « Porteuses de feu » comme d’aimables farceuses…

DODIÈZE - FR 3 ? C’est pas ça le nom…

J.-B. - Le nom de qui ? Des trois Parques de la « Bataille » ?

DODIÈZE (qui se méprend) - Qué parcs ? Qu’est-ce qu’i viennent faire le parc de Galland, çuilà du Mont-Riant ou alors du Céféra dans la question des bombes ? Qué rabia de m’entendre ça ! Le nom de la chaîne, c’est pas FR 3, c’est pluss pire !

J.-B. - Arte, alors ? Canal Plus, France 2 ? Ou alors, une des chaînes de la T.N.T. ?

DODIÈZE (esplosant) - Oilà ! Tu l’as dit, c’est ça tout juste ! Quâ même, faut n’aoir un estomac de dromadaire pour l’appeler T.N.T. une télé bombiste !

J.-B. (suffoqué) - Mais, mais… Non, là, Dodièze, je sais bien que ça vous amuse de me faire monter à l’échelle comme un boudjadi (4), mais quand même, vous n’allez pas me faire croire à une énormité de ce calibre ! T.N.T. ! Vous vous payez ma tête !

DODIÈZE - Ta tête ? Même pas un demi-zorro (5), je donne, à oir comment qu’elle comprend rien. Ou alors c’est toi que tu prends ma mienne pour une carabasse (6) ! Alors comme ça, toi que t’i’as commandé dans les tirailleurs, tu sais pas ça que ça veut dire T.N.T. (7), diocane ? T.N.T., spèce d’ugnorant que t’i’es, c’est trois lettres pour dire le nom que je m’arrapelle pas bien : trinitotunnel, trounitoutolunelle… assaoir. En tout cas, c’est du splosif supercapabe que si ça te pète sous le fauteuil juste un p’tit bout comme un rahat loukoum, t’i’es bon pour faire le satellite de télécomminications jusqu’à tant qu’i viennent tes oss pluss blancs que ceux-là de tes morts !

J.-B. (conciliant) - Bon, bon. Mettons que je n’aie rien dit. Après tout, c’est vrai, la chaîne FR 3 fait partie du réseau T.N.T. C’est peut-être pour ça qu’elle se croit obligée de nous produire périodiquement les Parques bombistes… (prévenant la protestation de Dodièze) Attendez !.. Par « Parques », je n’entends pas les jardins d’Alger ou les dépôts de tramways. C’est seulement une métaphore… Vous n’ignorez pas que ces trois fileuses de mort font partie des personnages les plus effrayants de la mythologie. Mais j’aurais pu dire aussi « les trois sorcières de Macbeth ». L’âge - ou la méchanceté - n’a avantagé ni leur humeur, ni leur tour de taille…

DODIÈZE - Comment qu’t’i’as dit ? Makbef ? Pourquoi pas Mac Do ? Va t’apprendre un peu à parler l’arabe, va ! Qué Makbef ? C’est Yacef (8), le nom du chef bombiste. « Les trois sorcières de Yacef », oilà comment qu’i faut dire.

J.-B. - Ah, mais… c’est que ça ferait un bon titre de téléfilm, ça ! On pourrait faire un tabac sur FR 3 ! Qu’en pensez-vous, mon cher Dodièze ?

DODIÈZE - Ça qu’je pense, c’est que pour la fin du film, i faudra refaire la cache ousqu’on les a trouvés Yacef et Zorah, à rapport qu’aujord’hui, smins comme i z‘ont venus tous les deux, même pas avec un cric on pourrait les sortir !

J.-B. - Bah ! Il y a des doublures pour ça. Et puis, ils ne sont pas obligés d’interpréter leur propre rôle, comme naguère Yacef dans la Bataille d’Alger italienne (9).

DODIÈZE - Ah ouais ? Tu crois que le vieux moutchou des bombes i va laisser le cachet à un pt’it jeune ? A’c tous les douros qu’il a déjà ramassés de ce feuilleton-tchaleffe (10) de la Bataille d’Alger, Ali Baba, à côté, et même Barberousse a’c tout ses bateaux sarracqués9, c’est rien que des p’tits vendeurs de koukras (11) dessur le môle ousqu’il a amarré son yatch, le commandant Yacef ! Allez, va, encore elle est pas finite, la série TV sur les bombistes. « Porteuses de feu » 2, 3, 4, 5 et assaoir combien des niméros après ! Nouzôtes, on l’a sec (12), c’est sûr. Mais ceuss qu’i font le pluss la fugure de Boufarik 13, c’est la concurrence. À force qu’i vont durer les Feux des porteuses, antantion que ceux-là d’l’amour i vont pas finir en tchoufa !

Jean BRUA



dodieze122
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) L’algérianiste (mars 2004) ;
2) strounga : engin explosif ;
3) partir en bombe : s’autodétruire, partir en java ;
4) boudjadi : néophyte ; 
5) demi-zorro : lapsus pour demi-euro ;
6) carabasse : citrouille vide ; 7) T.N.T. : trinitrotoluène (explosif militaire).
8) Yacef (Saadi) : chef F.L.N. de la Zone autonome d’Alger.
9) Bataille d’Alger : Film « engagé » (et « culte » pour la Télévision française) de Gilo Pontecorvo ;
10) tchaleffe : mensonge ; 
11) koukras : puces de mer servant d’amorces ;
12) l’avoir sec : enrager ;
13 ) fugure de Boufarik : teint bilieux (allusion aux pionniers assécheurs des marais de la Mitidja.).

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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