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Quand la vérité sort du puits (de pétrole)

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Parmi les raisons qui auraient justifié l’abandon de l’Algérie, on brandit aujourd’hui celle de la non-rentabilité. Motif péremptoire, dans une époque où les gouvernements successifs de la France s’épuisent à maintenir à flot le vaisseau de l’économie, lourdement grevé par le prix croissant de la principale source d’énergie. Manifs et grèves se sont enchaînées au début de l’été. Mais les porteurs de pancartes contre les carburants trop chers savent-ils encore que le pétrole du Sahara n’a pas été jugé « rentable » par leurs parents quand il s’est agi de le solder, avec le reste, contre le chèque en bois des Accords d’Évian ?

 

Quand la vérité sort du puits (de pétrole)

DODIÈZE - Cette fois, ça y est, j’arrête !

J.-B. - Quoi, l’anisette ?

DODIÈZE - Touche pas à mon anisette ! Ma mort, tu veux ? Comment qu’tu fais, après, pour l’interviouve dans L’Algérianisse ?

J.-B. - Dieu m’en garde ! Mais j’aurais cru, au contraire, qu’un peu plus d’eau dans votre mahia… Vous en êtes à combien par jour, sans être indiscret ?

DODIÈZE - Ça t’arrégarde, combien ? Tu te crois d’êt’ docteur, ou si c’est que tu travailles au noir pour les indirettes (1) ! Ça que j’ai baissé la consommation, monsieur, c’est pas l’anisette, c’est l’eau qu’on met dedans, question de « protection des ressources naturelles ».

J.-B. (stomaqué) - Les ressources na… Vous vous fichez encore de moi !

DODIÈZE - Parfaitement, les ressources naturelles ! Oir-moi ce journalisse qui le sait pas que ça baisse le niveau des lacs, des rivières, même de la mer, et que si ça contunue, çuilà qu’i veut se noyer, mieux qu’i se jette dans l’oued Seco.

J.-B. (conciliant) - Oui, bon. On connaît la rengaine. Mais enfin, vous ne me ferez pas croire que votre demi-carafe d’eau mensuelle…

DODIÈZE - Tu dis ça, toi. Mais comme i disait assaoir qui, « Y’a pas de zboub’(2) z’économies » ! Oilà pourquoi comment je m’le ferme le robinet, sauf pour faire cuire les z’haricots d’la loubia, grâce à Dieu merci mon Dieu. Et pas que çuila, de robinet, hein ! Parce que, si tu m’aurais pas interrompé comme d’habitude, mal élevé que t’i’es, tu le saurais que ça que j’arrête total, c’est la cigarette. Encore à rapport l’économie, mais d’énergie, cette fois.

J.-B. (qu’i se croit malin) - L’énergie de vos poumons ?

DODIÈZE - Moque, moque jusqu’à la Saint-Guerba (3), si ça te fait plaisir ! A’c ça qu’i reste de l’air de Bablouette dans les poumons du vieux, i s’le regonfe comme un dirigeabe le pluss dégonflé des ambassadeurs de la France dans l’Algérie ! L’énergie que je parle, c’est le pétrole, diocane ! Et la ceinture, c’est à la pompe à essence, oilà. La grève je fais, moi aussi, comme les marins-pêcheurs.

J.-B. - Mais vous n’avez pas de voiture !.. Et de toute façon, quel rapport avec la cigarette ?

DODIÈZE - Rapport au briquet. T’le sais bien, quâ même, que de ma profession des brochettes, elle m’a venue la lergie au soufre que je peux plus me servir des allumettes ni pour le brasero ni pour rien du tout. Alors vinga (4) le briquet à essence depuis qu’on a rentré de là-bas ! Et comme c’est pas pour rien qu’on m’appelle « l’as de Bastos » (5), au pluss que ça monte le tarif pompe, au moinss je peux me payer le plein. Du coup, je fais ni ouahad, ni zoudj (6) : j’arrête la sèche, comme ça i reste sec le briquet. Si tout le monde i ferait comme moi, les marins-pêcheurs vec les bateaux, les routiers vec les camions, les autes vec les oitures, les motos et les briquets, qui c’est qu’i seront couillonnés ? Tous ceux-là qu’i tiennent les gros robinets, l’Arabie, l’Iran, l’Irak les Zémirats et… l’Algérie. C’est là qu’ça s’rait la réponse du banquier à la banquière. Et comme j’l’ai dit moi à un piquet de grève des pêcheurs et des dockers, vec les drapeaux rouges et les pancartes, dessur le Vieux-Port :
- Ho ! Vous les avez ressortis les mêmes que pour nous quand on est arrivés d’Algérie, une main devant une main derrière ! Hier, c’était « Dihiors les profiteurs Pieds-Noirs » ! Aujord’hui, c’est « À bas les profiteurs pétroliers » ! Si vous voulez profiter vous aussi, mieux ça s’rait que vous écrivez « Boutef, rends-le not’pétrole, diocane ! » (si c’est trop long pour la banderole, vous pouvez couper diocane).

J.B. (gondolé comme un zlabia) - Ah ! Ah ! Mais c’est le cas de dire que ça a dû la leur couper ! Dodièze, il n’y a que vous pour cumuler un culot et un à-propos pareils ! Et vous ne vous êtes pas fait lyncher ?

DODIÈZE - Luncher, c’est beaucoup dire. Mais i m’ont invité à manger les sardines grillées avec eux. Tu sais, ces types-là, i sont pas pluss pires que des autes, quâ même que c’est les fils à leurs pères qu’i voulaient nous jeter à la mer. Et même ceux-là-là… À force les tchaleffes (7) qu’on raconte sur nouzôtes depuis cinquante ans, les pères dockers i croyaient de se taper le débarquement des Cadillac à la chaîne et les fils, on leur apprend à l’école que le roi d’Algérie i nous a fait la guerre parce qu’on voulait lui sarraquer son or noir. D’la rabia qu’i se tenaient de saoir que le pétrole, c’est nouzôtes qu’on l’a trouvé et sorti et qu’aujourdhui, ça coûterait des figues si on l’aurait gardé, i’z’ont dit qu’i la boiraient plus l’eau d’Évian et qu’i z’allaient décrocher toutes les plaques « 19-Mars ». Challah qu’i le font !
J.-B. - Ah, bravo, ça ! J’espère que cette bonne intention survivra aux vapeurs « unanimisantes » du rosé.

DODIÈZE - Unani… comment t’i’as dit, faudra oir à oir. Parce que quâ quême, on a pas resté d’accord sur tout. Par exempe, pour allumer le brasero, que ça soye pour les brochettes ou pour les sardines, je trouve moi que c’est mieux les sarments secs que les planches en bois des palissades pleines des affiches pourries des élections. Mais eusses i disent que les planches ç’est aouf, et que ça donne moins mauvais goût que le mazout de pêche… Chacun son mauvais goût, c’est vrai ou c’est pas vrai ? Moi, çuilà des élections (surtout les référendons), ça me laisse toujours l’amertume dessur la langue…

Jean BRUA



dodieze123
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) « Indirettes » : Dodièze veut évidemment parler des contributions indirectes ;
2) Z’boub’ : contraction de zbouba, qui évoque l’échec, le fiasco ;
3) Saint-Guerba : date indéterminée (« Saint-Glinglin » en français naturel) ;
4) Vinga ! : interjection d’exhortation (vas-y !) ;
5) As de Bastos : figure du jeu de cartes espagnole dit « ronda », représentant une massue (prise pour emblème par la marque de tabacs Bastos) ;
6) Ni ouahad, ni zoudj : ni une, ni deux.
7) Tchaleffes : mensonges.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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