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Lettre fermée au président d’la Répiblique

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

En cette période de cadeaux, beaucoup de personnages plus ou moins publics guettent devant la cheminée les listes de promotion de l’Élysée et des divers ministères, dans l’ordre de la Légion d’Honneur. Dodièze n’attend ni n‘espère rien de cette distribution des prix. Mais il revendique hautement la restitution des insignes et des avantages d’un ordre méditerranéen dans lequel il avait été distingué et qui s’est perdu dans les péripéties d’un double drame : la « chikaya mortelle » avec son rival Gongormatz et la fin de l’Afrique du Nord française. Et comme il vaut mieux s‘adresser au Bon Dieu qu’ à ses saints...

 

Lettre fermée au président d’la Répiblique

DODIÈZE - T’le connais le code postal du château de l’Elysée ?

J.B. - On dit « palais ». C’est pour envoyer vos vœux au président ?

DODIÈZE - Tout juste. Mais pas de bonne année, bonne santé, salamalecs et céféra. « Pour la zbib, zbouba (1) ! » toujours i dit Dodièze. Les vœux que je parle moi, c’est ceux-là qu’on les demande à Madame d’Afrique ou assaoir quel marabout...

J.B. - Je vois : dans le genre prière, sollicitation, revendication... desiderata ?

DODIÈZE - Désir de rata, ça c’est vrai. À rapport la tchoufa (2) mondiale de la banque, a’c ça qui va rester de ma rétraître des vieux, eh ben à la place du formage, ça va-t-être bientôt du corbeau. Et encore, le dimanche...

J.B. - C’est donc ça :  vous voulez donner un conseil au président pour sauver le monde de la banqueroute ?

DODIÈZE - Qué conseil ? C’est pas la lettre de conseil que je m’l’en’oie à l’Élysée que tu m’a toujours pas dit le code postal ! C’est la lettre de réclamation, diocane !

J.B. - Bon, bon, ne vous fâchez pas. Mais alors, que demandez-vous, pour améliorer votre ordinaire, en ces temps de disette ?

DODIÈZE (théâtral) - À quatre pattes, ici, je te le fais saoir (3) !
(il recule de quelques pas et tire une enveloppe de sa poche). Ça que je demande, curieux que t’i’es, c’est ça qu’i me doit le gouvernement depuis plus que 50 ans qu’on me l’a coupée la pension de commandeur du Nitram Ifrikate (4), et pas à cause de ma chikaya mortelle vec Gongormatz, le père à Chipette que mon fils Roro il y a donné sa mère pour me venger l’honneur que c’est pire que le pèze !

J.B. - Bon, bon, ça suffit avec les répliques de la Parodie du Cid ! Je connais l’histoire, vous savez. Mais le Nitram Ifrikate, c’est une parodie de décoration tunisienne, non ? C’est au général Ben Ali (5) qu’il faut présenter votre revendication.

DODIÈZE - Ça, j’ai fait, qu’est-ce tu croiques ? Ben Ali, je connais pas. J’ai écrit au bey pasque c’est lui qu’il avait signé le diplôme, mais en arabe, c’est pour ça que j’ai pas pu lire le nom. Total, elle est revenue la lettre avec dessur : N’habite plus à l’adresse indiquée.

J.B. - Et pour cause ! Le bey a été déposé en 1957 et voilà un demi-siècle que la Tunisie est une république. Alors, vous pensez, votre Nitram Ifrikate...

DODIÈZE - Eh ben, justement. Puisqu’elle paye plus la Tunisie, c’est normal que la France elle prend la suite. Le juste, c’est le juste. C’est ça que je lui splique à Sarkozy dans cette lett’ que oilà ac’ le timbre de la Répiblique française, mais manque le code postal que tu m’l’as toujours pas donné le niméro. Bon, si tu craches par-terre ta parole d’honneur que tu m’le dis après, je te lis la lettre au président..

J.B. (levant la main et crachant par-terre) - Akarbi (6) !

DODIÈZE - Alors, la oilà la lettre (il lit) :
Monsieur le Président. Scusez-moi de vous demander pardon du dérangement que j’ai l’honneur de vous porter le pet à rapport l’escandale que ma pension de commandeur du Nitram Ifrikate elle a resté en carafe dans le sous-sol d’la Résidence (7) de Tunisie après le déménagement d’la France. J’ai le déshonneur de vous arrapeler que déjà, par jalousie, je m’étais fait monter l’aubergine par Gongormatz et que en plus, dans la donnade, assaoir si elle a été sarraquée la médaille ou si elle est tombée dans un égout de la Marine, en tout cas quand je suis rentré à la maison pour que Chipette i me met un bufteck bien saignant sur mon œil gonfe, elle avait disparu la cravate verte comme si ça serait un lapin de M’sieur Houdin (8) (qu’i s’le garde le Bon Dieu merci mon Dieu). Tout ça pour vous dire, Monsieur le Président, qu’en plus de me renvoyer les papiers du rappel de 51 ans d’la pension plus les intérêts, sans vous déranger, i faudrait mett’ une médaille de remplacement dans le paquet (comme ça, ça fait un timbre économisé pour le prochain budget).
Avec mes remerciements, et céféra, et céféra...
— Y alors, qu’est-ce t’i’en dis de ça?

J.B. - J’en dis que j’en suis baba. Mais, si vous me permettez un conseil, il ne faut pas vous en tenir là. En tenant compte du préjudice moral et des intérêts accumulés, ce n’est pas la cravate que doit vous renvoyer l’Etat, c’est la plaque de grand-officier de l’ordre. Que dis-je, de grand-officier ? De grand-croix, oui !

DODIÈZE - Ah, mais c’est vrai, ça. Je vais mettre un poscritome pour dire au président que s’il est d’accord, je monte le chercher le Grand croissant à l’Elysée. Ça fera l’économie du colissimo et la ministe des Finances Madame Lagarde elle sera bien contente, la pôve, a’c tous les soucis qu’elle a d’la crache des banques.

Jean BRUA



dodieze124
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) « Zbib, Zbouba » ! : jeu de mots de Dodièze qu’on peut traduire approximativement par : « pour la lèche, bernique !»  ;
2) Tchoufa : dégonflage, débandade ;
3) « À quatre pattes, ici... » : réplique de La Parodie du Cid ;
4) Nitram Ifrikate : déformation de Nicham Iftikar, ordre beylical tunisien ;
5) Général Ben Ali : chef de l’État tunisien.
6) Akarbi ! : « ma parole ! »;
7) Résidence : Résidence générale de la France à l’époque du Protectorat ;
8) Robert Houdin
: célèbre illusionniste du début du siècle.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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