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« J’ai fait voter les morts, ô couillon de la lune ! » (1)

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Les agités de l’anticolonialisme n’ont de cesse de dénoncer les « trafics électoraux » de l’Algérie de papa. On ne dira pas que les scrutins d’antan furent toujours exemplaires de transparence. Du moins le « vote des morts » du Bab-el-Oued de Cagayous, Dodièze et Roro se manifestait-il dans une dimension humoristique qui fait singulièrement défaut aujourd’hui. En valeur étalon de la manipulation à triste figure, la dernière élection présidentielle algérienne, marquée par une étrange contradiction entre le peu d’enthousiasme de l’opinion locale et les pourcentages miraculeux de participation et de « plébiscitation »…

 « J’ai fait voter les morts, ô couillon de la lune ! » (1)

 J.B. - Bonjour, Dodièze. Alors, content de voir arriver l’été ? On dira ce qu’on voudra, mais c’est quand même la saison qui nous rappelle le plus le pays, non ? 

DODIÈZE - C’est surtout celle-la que la rabia elle commence à peine à refroidir des dix boulets de mars ! 

J.-B. - Dix boulets ?.… Vous voulez dire giboulées ? 

DODIÈZE - Giboulées, dix boulets, ça tombe pareil. Alors, c’est pas la peine qu’on a fait l’interviouve la dernière fois dessur le 19-Mars, que derrière ça a suivi le 26, plus tous les artiques falsos des jornals, les tchatchaleffs 2 des télés, des storiens storistes. Si tu comptes bien, ça n’en fait pluss que dix, des boulets. Au moins cinquante, oui ! Et encore, je parle pas des films qu’i me font sortir les boutons de tous les côtés, pluss pire qu’une merguez de contrebande. 

J.-B. - Pour ça, on peut dire que les chaînes TV ne nous ménagent pas. On a même eu droit à un bis des bombeuses retraitées du FLN 3. Et le 26 mars, en plus… 

DODIÈZE - Bon, on va pas la refaire nous aussi la rediffusion de rabia. Surtout que le mois d’avril, quâ même, ça m’a fait plaisir que là-bas, i’z’ont pas oublié le bon temps des élections… (songeur)… Qu’est-ce qu’i n’a dû être content, Monsieur Fernand 4 - qu’i s’le garde le Bon dieu, merci mon Dieu - de oir d’en haut le ciel comment qu’i z’ont voté en masse les morts algériens d’aujord’hui ! Les oss des nôtes, à Saint-Ugène et à Bône, sûr qu’i z’ont venus jaunes de la jalousie. Quâ même que c’est un petit nain, le Boutef, on peut pas dire qu’i fait pas les soges en grand, question du transport des feux électeurs. Qué z’amateurs qu’on était nouzôtes à Bablouette, a’c les charrettes à bras et les camionnettes gazogènes ! À part la fois qu’il a parlé ton père (tu t’arapelles le petit Schiaffino 5 plein des électeurs du cimitière de Bône qu’on l’a sarraqué à Lopez), ça faisait pas bouger beaucoup les pourcentages, même a’c deux-trois urnes farcies par-ci par-là

J.-B. - Hum !.… Et voilà comment s’établissent les mauvaises réputations ! Mon père, en transposant en « vote des morts » le « combat contre les Maures » du Cid, ne pouvait prévoir que cette trouvaille parodique serait exploitée plus tard pour dénoncer « les mœurs électorales de l’Algérie coloniale ». En 1964, à la reprise de « La Parodie du Cid » à Paris, il s’était trouvé au « Monde » un critique assez dénué d’humour pour parler de la pièce en ces termes, ou à peu près…

DODIÈZE - Akarbi ?

J.-B. - (la main en l’air) Akarbi !

DODIÈZE - Eh ben, ton journalisse, s’i oirait comment qu’elles ont venu les « mœurs électorales » presque un sièque après La Parodie, le cul i lui tombe du fauteuil de triâte pluss profond que si ça s’rait du Pont suspendu de Costantine ! Et M’sieur Robert Houdin 6, i se jette en bas le Rummel esprès, de la honte qu’il a jamais pu faire un tour de passe-passe comme le p’tit Bout’. Assaoir quel chapeau magique il a trouvé çuilà (ou pétrête un djinn qu’on le sort dihiors d’la lampe à huile en frottant a’c le chiffon à Miror), en tout cas, quâ même que la queue aux bureaux du vote elle était plus courte que celle-là d’un chien kabyle, i’z’ont sorti des urnes tant des bull’tins que quand ça a commencé l’épouillement du scrutin, on s’aurait cru le retour des sauterelles…

J.-B. - Oui, c’est ce qu’ont rapporté les envoyés spéciaux français. Mais nous sommes bien placés pour savoir qu’on ne peut pas toujours se fier à leur vision de l’Algérie d’hier et d’aujourd’hui.

DODIÈZE - Assaoir si Boutef III i va pas leur réclamer la repentance à eusses aussi, méteunant qu’il a le mandat ?

J.-B. - Ah, mais c’est une idée ça ! Depuis le temps que certains d’entre eux (dont l’envoyée du Monde, justement) le soutiennent dans sa revendication d’excuses françaises, il y aurait un certain sel à les voir demander l’aman 7 au calife.

DODIÈZE - Et toi, alors ?

J.-B. - Comment ça, moi ?

DODIÈZE - Y alors, tu crois toi que tu peux t’la payer la fugure à Boutef (chouf le dessin d’à-côté) et qu’i va te signer demain la dispense de repentance ? Qu’est-ce que c’est, ça ! Tous pareils, vouzôtes les journalisses, à taper la mauvaise langue sur çuilà ou l’aute…

J.-B. - Permettez, permettez…

DODIÈZE - Permettez ouallou ! T’i’as pas vu la tête de fartass 8 que tu me fais depuis dix ans dans l’Algérianisse ? Tu t’as pas regardé, alors ? Antantion que tu viens pas plus vieux toi que moi et plus petit et vilain et falso que Boutef ! Et d’abord, i t’a pas dit ton père que c’est pas bien de dire du mal à le monde ?

Jean BRUA



dodieze126
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) « J‘ai fait voter les morts… » (« LaParodie du Cid », (acte i, sc. 3).
2) Tchatchaleff : néologisme composé, pour « tchatche » (bavardage) et « tchaleff » (mensonge).
3) « Documentaire » hystérique d’Yves Boisset sur la Bataille d’Alger.
4) Monsieur Fernand: député dans « La Parodie du Cid ».
5) Schiaffino : caboteur de la compagnie maritime du même nom.
6) Robert Houdin : célèbre illusionniste.
7) Aman : pardon collectif.
8) Fartass : chauve.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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