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Antantion les magazines qui crachent !

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Cinquantenaire de la mort d’Albert Camus (voir par ailleurs). Devant les commentaires qui saluent la mémoire de l’écrivain, on est particulièrement agacé par ceux qui parlent de « réhabilitation ». Quel délit, crime ou péché aurait donc commis notre Nobel de littérature, qui eût besoin du « pardon » de beaux parleurs qui se croient ses pairs (ou enragent de ne pas l’être) ?
Les plus visés par la rabia de Dodièze : ceux sur qui retombent, après un petit tour dans l’espace et le temps, des crachats qui se voulaient flèches du Parthe et se révèlent aussi dérisoires que des postillons…

 

Antantion les magazines qui crachent !

 

DODIÈZE - Ho, l’homme ! T’sais pas ça qu’i m’a dit l‘aut’jour mon coiffeur - que c’est le dernier d’une famille de Bablouette qu’elle a commencé dans la profession en 1874 ?... 

J.-B. (a’c le dimi-rire dindon : « glouglouglou »…) - 1874 ! Vous n’étiez encore qu’un bébé… Hum, heu… Pardon. Mettons que je n’aie rien dit. 

DODIÈZE (œils au ciel et soupir aux lèvres) - Mettons. Et reprendons : il a dit comm’ça, ce merlan frit (que si j’aurais pas été assis, je serais tombé de cul) : « M’sieu Dodièze, je régrette beaucoup de me scuser de vous demander pardon, sauf le respect que j’le dois à votre douzaine de cheveux blancs, mais la barbe, je peux pas vous la faire… » - « Alors toi aussi ! - ça m’a sorti d’un coup d’rabia. C’est pas croyabe à croire que les coiffeurs d’aujord’hui, quand on leur demande la barbe, i font les dégoûtés comme si on serait des barbapoux »… Diocane ! Tu l’aurais vu l’aute, la honte à la fugure et les deux bras en l’air, qu’on s’aurait cru le caissier d‘la banque d’à côté quand elle passe la tournée holdupe de cinq heures moins quart :
- « Mais non, mais non »… Vous m’avez pas laissé finir. Ça qu’je voulais dire, c’est que je peux pas vous faire la barbe vec le magazine dans les mains ».
- « Y alors, j’y fais, tellement que tu te tiens le roseau 1, tu fais faire le travail par les magazines barbants ? » Purée ! qué escandale de rires dans le salon !
 

J.-B. (cassé en quatre) - J’imagine ! Mais que vous avait-il fait, ce pauvre coiffeur, pour que vous vous payiez ainsi sa tête ? Pardon de vous le dire, cher Dodièze, mais on pourrait croire que vous en voulez à toute la profession à cause de votre affaire avec Gongormatz 2 ! 

DODIÈZE - Y’a pas d’rancune. Ni pour Gongormatz, le pôve, ni pour les coiffeurs. Le passé, c’est le passé. Mais le juste, c’est le juste. Quoi c’est cette défense de lire pendant la barbe ? J’y ai demandé à l’aute, tu penses bien. T’sais pas ça qu’i m’a dit, ce cougoutse 3 ? 

J.-B. - Bé… Beuh… Que la mousse à raser fait des taches sur le journal ? 

DODIÈZE - Zéro pour la question ! I m’a dit : « M’sieu Dodièze, le dernier niméro que vous l’avez lu de ce magazine, vous avez sauté en haut le fauteuil comme l’homme canon du cirque Amar. Et si ça serait pas que je suis devenu un Zorro de l’esquive depuis le temps que les clients i parlent vec les mains, i baissent la tête pour cracher dans le lavabo ou alors i la tournent pour regarder la p’tite oisine qui passe, vous auriez resté sur mon fauteuil tout neuf, kif-kif un mouton le jour du Mouloud4 ! Vous vous arrapélez pas que, de la peur que ça m’a fait, j’a resté blanc pendant trois jours ? » 

J.-B. - Hum ! Pour l’exagération, il a été à bonne école, votre coiffeur… 

DODIÈZE - Qué xagérations ? Quand i m’a dit ça, le pôve, ça m’a revenu tout d’un coup. La vérité vraie, ou’allah ! Ce magazine de coiffeur (un vieux niméro d’assoir quand, plein des plis et des trous), i m’avait fait un coup de rabia que manque elle me reste la tête dessur le rasoir.

J.-B. (les œils dihiors comme s’i oirait une kémia de p’tites sépias au piquant) - Ah mais, c’est que ça commence à m‘intéresser. Alors, la raison de cette rabia ?

DODIÈZE - La raison, c’est un collègue à toi qu’il a craché dessur Camuss.

J.-B. - Vous voulez dire Camus ? Albert Camus ? Mon pauvre Dodièze, vous avez eu raison de vous en indigner, mais vous n’auriez pas dû être surpris. C’est une mode journalistique et littéraire qui ne fait plus bondir que vous, depuis cinquante ans. Pensez, un prix Nobel à un Pied-Noir, ça ne se pardonne pas, dans le milieu.

DODIÈZE - Eh ben chandifik 5 la mode, les journalisses, les lécrivains, les coiffeurs, les rasoirs ou assaoir qui et quoi ! Quand j’les lis des insanitaires comme ça, je saute de la rabia, moi. Pour dire la vérité, Albert Camuss, je suis pas-t-été assez longtemps à l’école pour a’oir la capabilité de les lire ses lives. Mais ça qu’je sais, c’est qu’il est dans ceux-là de mes petits-enfants et même arrière-petit-enfants, diocane ! Alors, bas les pattes, surtout si elles sont sales ! De oir des taches dessur les lives d’un homme qu’il aurait pu être de Bablouette, s’il aurait pas été de Belcourt…

J.-B. - Au fait, quelles taches ? Ce n’est pas facile de salir Camus. Et qui est le tacheur, tchatcheur, graffiteur ou tagueur ? - on ne sait plus trop comment appeler ces furieux du nouveau conformisme ?

DODIÈZE (i se gratte la tête entre ses douze cheveux) - Attends que j’m’arrapelle… Diocane ! De lire ça dans le fauteuil de la barbe, c’est comme si je me serais assis dessur un oursin… Comment qu’i s’appelle, ce tchoutche 6 ?... Ah, ouais, ça me revient :... Charles Dancing. D’aousqu’i sort ce nom, ce calamar ? D’à chez Padovani7, assaoir ?

J.-B. (perplesque) - Dancing ?... Ah ! vous voulez dire Dantzig ? Oui, le dernier « jeune prodige » des lettres françaises. Je crois savoir de quoi vous parlez. Pas vraiment un éreintage à la Jeanson8, mais un article assez faux-cul, et même injurieux pour les Pieds-Noirs, présupposés racistes et « antitoutistes », comme disait Cagayous…
DODIÈZE - Oilà, c’est ça. Je m’arapelle pas tout pasque, la vérité, j’ai pas tout compris ça qu’i voulait dire ce danseur falso, à rapport l’estyle, la morale et assaoir quoi. Mâ ça que ça m’a fait prendre le coup de rabia que manque elle me tombe la tête dans le lavabo du barbero, c’est « Il a triomphé de sa race et de son milieu » ! Qué race ? La pitain d’la sienne, à ce cracheur d’ansultes ! Ho ! On était français ou chinois ? Et « son milieu » ? Qué « milieu » ? Alors tous on était tous des Pépé le Moko 9 ? Encore un qui les régare trop les vieux films de la télé, diocane !

Jean BRUA



dodieze129
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) « Le roseau » : la flemme. ;
2) Gongormatz : double pataouète de Don Gormas dans La Parodie du Cid.
3) Cougoutse : courge ; imbécile ;
4) Mouloud : fête musulmane célébrant la naissance du Prophète.
5) Chandifik ! : Rien à cirer !
6) Tchoutche : raie pastenague. Par ext. : crétin.
7) Padovani : établissement de bains doublé d’un dancing.
8) Jeanson (Francis) : intellectuel sartrien opposé à Camus et auteur d’une critique incendiaire de son essai L’Homme révolté. Tristement célèbre par son engagement au côté du FLN (réseau des « porteurs de valises »).
9) Pépé le Moko : personnage de mauvais garçon - joué par Jean Gabin - du film éponyme de Julien Duvivier (tourné à Alger en 1936).

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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