L'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

La prochaine grande échéance électorale agite le petit monde politico-médiatique comme jamais. Naguère, cela valait à notre communauté quelques flatteries et promesses qui n’engageaient à rien. Mais, depuis l’abrogation du « rôle positif », les salamalecs ont changé de destinataire : c’est le renard (alias le chacail) qu’on courtise, avec l’espoir d’en obtenir indirectement quelques miettes de fromage. Du moins, c’est ce qu’il apparaît de ces gesticulations de bonne volonté tournées vers Alger. Car Dodièze, lui, a une explication bien différente...

 

Le chacail et le formage 

DODIÈZE - T’le connais çuilà du Parti Socialisse qu’il a la forme et le nom du formage rouge et une femme qu’elle lui a tapé la place de candidat-président ? 

J.-B. - Vous voulez parler de François Hollande... Comment ne pas le connaître ? On l’a beaucoup entendu, avant que sa femme ne lui prenne le micro. Même à Alger, où il a couru lui aussi déposer sa repentance aux pieds du calife... 

DODIÈZE - Calif Batatsa (1), tu peux dire. 

J.-B. (qu’il a rien compris) - Pardon ? 

DODIÈZE - Les premières lettres de l’alphabet arabe, ça veut dire qu’elle fait rien que de commencer, la présidence que Boutef i vient de s’l’arranger « à vie », kif-kif le pape. Et que c’est pas demain qu’on va le oir le zine (2). T’i’as compris pourquoi qu’au défilé d’leur 14 juillet du 5 juillet (3), tout le monde autour i faisaient la fugure de couscous ! Comment qu’i s’la roulée dans la semoule, la smala des générals ! De tant qu’il est louette, ce p’tit pot à tabac, si on lui payerait seulement dix douros par tête de couillonné, i vient plus riche qu’le roi d’l’Arabie, inch’Allah ! 

J.-B. - Surtout que dans la liste, il n’y a pas que des Algériens. Tenez, François Hollande, ça fait dix douros de plus. Enfin, dix dinars. 

DODIÈZE (mystérieux) - Assaoir... Douros ou dinars, je croique le marabout, c’est plus cher que ça...
J.-B. - Marabout ? Vous me faites marcher ! De quel marabout s’agit-il ? 

DODIÈZE (un peu dur de la feuille) - Ci-gît-il ouallou ! C’est pas un qu’il est pépère à perpète dans la p’tite maison blanche qu’on la dit koubba (4), c’est un bien vivant que je te parle. Un qu’i fait des miraques que le monde i vient de partout pour se faire léver le mauvais sort, le coup de soleil, la fiève des oreillons, les poux d’la tête, ou pour les faire passer à un aute. Un pluss capabe, y’a que Azrine (5), ou’allah ! 

J.-B. (pédalant dans la tchoutchouka) - Écoutez, Dodièze, ce n’est plus drôle ! Expliquez-moi une bonne fois ce que vient faire ce marabout dans la visite de Hollande à Alger ! 

DODIÈZE (patiemment) - C’est bien pasque t’i’es le fils à ton père. Coute un peu que j’te splique : t’l’as bien lu dans le jornal que l’homme-formage il est allé à Alger en consultations ?…. Bon. Alors t’i’as compris qu’la consultation, c’était pas à l’hôpital Maillot (6), pour rendre la poulitesse de Boutef au Val-de-Grâce ?…. 

J.-B. (pincé) - Vous n’allez pas apprendre à un journaliste ce que sont les consultations diplomatiques ou politiques...

DODIÈZE - Non, mais les maraboutiques ?…. Ah, je ois que tu réchéflis. Encore un p’tit coup de splication et t’i’as tout compris. C’est pas que vous êtes bêtes - i nous disait le maîte à l’école de Bablouette - mais, les bourricots, i faut leur dire « Hue ! » trois-quat’ fois avant qu’i marchent la route.

J.-B. - O.K., O.K. Votre histoire de marabout me met l’eau à la bouche. Vite, le scoop, Dodièze, le scoop !

DODIÈZE - Soucoupe ? Scuse-moi que la soucoupe, elle sera pour toi t’t’à l’heure au café du coin. La oilà l’affaire comment qu’elle s’est passée. Ton bonhomme, officiellement, il a venu à Alger pour faire la déclaration anticolonialisse obligée. Bon, là-bas à la TV, i lui ont tapé le maquillage pour l’émission : beaucoup du blanc pour qu’i sort pas trop rouge à l’écran, aussinon, surtout a’c son nom, on croit qu’c’est la réclame pour le formage. C’est ça le plus long. Après, c’est facile : il a le papier tout préparé par le zdagostorien (7) Stora, ousque ça sont écrits en rouge, pour qu’i les oit mieux (il est un peu laouère), le « bilan négatif », les « escuses », le « traité d’l’amitié » modèle Évian 62, et céféra. Après, chez Boutef, trois-quat’ bouss-bouss (8) fissa et, comme cadeau, un service tout neuf de douze tape-mouches pour quand i reçoit l’ambassadeur. Un coup de thé à la menthe et un p’tit zlabia de bienvenue, oilà pour la visite officielle. Ça que ça a contunué après, c’est la visite inconnuto (i s’était déguisé en moutchou a’c la fausse barbe) au marabout que j’t’ai dit.

J.-B. - Oui, mais ce que vous ne m’avez pas encore dit, c’est le motif de la consultation du marabout...

DODIÈZE - Eh ben le motif, c’est Golène, tiens !

J.-B. - Ségolène ?

DODIÈZE - Golène Royal, c’est ça. Le marabout, il a quat’ femmes, i sait comment qu’on fait avec. L’aute i l’y a demandé pour sa sienne une poudre magique dans du loukoum pour faire passer le goût du crapaud et du lézard pilés dans la bouche et çuilà d’l’Élysée dans la tête. Aïe, qué pantcha de rire ! Au lieur de la poudre, le vieux il l’y a donné un bâton d’olivier a’c le mode d’emploi écrit comme ça : un coup ou deux au lever et au coucher. Doubler la dose si le mal persiste.

Jean BRUA

(Dessins de l'auteur)

 

1) Calif Batatsa : allusion à l’ABCD (alif, ba, ta, tsa) de l’alphabet arabe.
2) Zine : « z » dans le même alphabet.
3) 5 juillet : fête nationale algérienne.
4) Koubba : tombeau à coupole d’un marabout (saint homme musulman).
5) Azrine : ange du mal ou de la mort (Asraël).
6) Maillot : hôpital militaire d’Alger.
7) Zdagostorien : historien « à la zdag » (bidon).
8) Bouss-bouss : baiser.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini