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Tous au Foron ! (çuilà de Toulouse, rosement !)

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

« Enfin un livre (un film, une émission de télé) qui rompt le silence sur l’Algérie ! »… On a tant de fois lu ou entendu ce commentaire, à propos d’œuvres qui - en se copiant les unes les autres - révèlent surtout leur suivisme « politiquement correct », que le prétendu silence commence à nous casser les oreilles… Au moins, au prochain Forum algérianiste du Livre de Toulouse (1), on sera en famille. Mais il a fallu en convaincre Dodièze, que le mot « forum », depuis certaine journée des dupes de 1958, a rendu méfiant comme un receveur des CFRA.

 

Tous au Foron !(çuilà de Toulouse, rosement !)

DODIÈZE - Ho ! T’i’es-t-invité ou t’i’es pas, au Foron de Toulouse ?

J.-B. - Au Forum algérianiste ? Bien sûr ; et vous aussi, je pense…

DODIÈZE (embarrassé) - Justement, je m’le demande…

J.-B. - Quoi donc ? Vous n’avez pas reçu votre invitation ?

DODIÈZE - Oui, oui… Mais ce nom de Foron, quâ même. Ça t’arappelle pas quéqu’chose ?

J.-B. - Je veux : notre Forum d’Alger. Comment l’aurais-je oublié, alors que je le voyais vingt fois par jour des fenêtres de notre appartement ? Je peux même dire que j’y ai vu de Gaulle comme je vous vois, mais à des époques bien différentes : en 43 et en 58…

DODIÈZE - Deux fois ! Et t’i’as pas resté aveugue ! Moi, la première fois que tu dis toi, j’étais mobilisé réservisse d’la Défense Passive à Bablouette. Le Foron, c’était loin… Mais la deuxième fois, diocane, j’étais là, premier rang des anciens combatants, a’c la bandarole moitié Amicale bouliste de la Consolation, moitié Raïtas (2) honoraires du 1er Tirailleurs, moitié Syndicat des Brochettes, moitié…

J.-B. - Hé là ! Doucement, avec les moitiés !
DODIÈZE - Et toi, doucement a’c les interrompements, mal élévé que t’i’es ! Ça qu’je voulais dire, c’est qu’chat refroidi i craint l’eau chaude ! Ou, si tu préfères mieux, que dans la maison du spartero (3), personne i va parler du pendu !

J.-B. (éberlué) - Du spartero ! Et pourquoi ça ?

DODIÈZE (les bras au ciel) - Pourquoi ? i demande ! Ça se oit que les spargates (4) pour faire les oursins, tu te les achetais znobs à la rue Michelet. Aussinon, tu le saurais que les vraies véritabes de Bablouette, ou d’Oron, ou de Bône, elles ont la semelle pas en caoutchouc, mais en corde. Et la corde, quâ même que t’i’es-t-ugnorant, tu le sais que ça servait pas que pour pendre les soubressades, avant qu’on l’invente la guyotine ?

J.-B. (rendant les armes) - N’en jetez plus ! Bon… la corde, le pendu, le spartero, j’ai mis du temps à comprendre, mais ça va. En revanche, quel rapport avec le Forum ?

DODIÈZE - Eh ben, justement, le rapport, c’est la comprenance. La vérité, c’est que chaque fois qu’je l’entends le mot Foron, ça me vient le mauvais sang d’assaoir ça qu’i faut comprendre ou pas comprendre… (Arrêtant la question de J.B.) Et si tu veux saoir pourquoi, je vais t’le dire à la suite, sans respirer, ça qu’i disait l’aute le 4 juin 58 au balcon du Gégé (5), et ça qu’il a dit après, jusqu’à tant qu’on fait la valise : 1) Je vous ai compris ; 2) Vous m’avez pas compris ; 3) Personne i cherche à plus comprendre, c’est compris ?

J.-B. - Ah, mais… Vous avez bien résumé ce morceau d’Histoire, Dodièze…

DODIÈZE - Ce bas-morceau, tu veux dire… Et c’est un espécialisse des abats, qu’i te parle. Sans compter que les forons de splications de l’Algérie, ça peut être encore pluss pire, à la télé, à la radio et même dans les journals…

J.-B. - Bon. Je comprends que le Forum d’Alger et quelques autres qui n’étaient que de tchatche vous aient laissé, comme à nous tous, un goût amer. Mais celui de Toulouse ? D’abord, nous serons entre nous. Et puis, il ne s’agit plus d’écouter des tchaleffes (6), mais de confronter nos témoignages, nos souvenirs… De mettre en valeur le fameux « côté positif » nié par les falsos (7).

DODIÈZE (encore méfiant) - T’i’es sûr ?

J.-B. (mimant un crachat, la main levée) - Sur la tombe de mes morts !

DODIÈZE (sursautant, les sourcils froncés) - Ho !… Ah, bon. Rosement que t’i’as fait semblant le crachat. La concierge elle vient juste de m’le laver mon parterre… En tout cas… (bref grattement de tête de réflexion)… Si tu m’le jures sur tes morts (mais sans cracher, hein ?) que y’a pas d’endoffade (8) dans ce Foron, c’est décidé : je crois qu’je vais m’le faire le oyage de Toulouse. En pluss, là-bas, rien qu’on me fait l’invitation pour le contrat d’la marque déposée…

J.-B. (ironique) - Quoi ! Encore un job de conseiller en kémias (9) ?

DODIÈZE (hautain) - Va fangoule (10) a’c les kémias, va ! La spécialité qu’on m’la demande ma signature pour la licence, eh ben, question des ventes, la soubressade, à côté, ça va-t-être même pas une mini-chipolata… Quâ même que c’est encore un secret-défense industriel, j’vas t’le dire le nom de ce produit miraque, si tu le répètes pas à tes collègues journalisses jusqu’à tant que je t’le dis… Bon, oilà…(baissant la voix) : c’est « la merguez de Toulouse »…

Jean BRUA

(Dessins de l'auteur)

Dodieze115
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) 21-22 octobre (voir le programme par ailleurs).
2) Raïta : petite flûte arabe.
3) Spartero : fabricant d’espadrilles.
4) Spargates : espadrilles.
5) Gégé : pour G.G. (immeuble du Gouvernement Général de l’Algérie).
6) Tchaleffes : mensonges.
7) Falso : faux-cul.
8) Endoffade : entubage, au sens de tromperie.
9) Voir Algérianiste n° 107.
10) Va fangoule ! : Va te faire voir !

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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