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Costards de l'haine pour l'été

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

recueillie par Jean Brua


Le numéro précédent de L'Algérianiste ayant largement réagi à la crise de nerfs de l'opinion branchée devant la timide évocation du « bilan positif» de l'ouvre française en Algérie, on n'ajouterait rien sur ce sujet si Dodièze n'en avait fait celui de sa dernière rabia. On sait que le patriarche babelouédien aime à se donner le temps de la réflexion par rapport à l'actualité «chaude». Non pour calmer sa colère, mais pour lui permettre, au contraire, de « monter » à la bonne ébullition Retour réchéfi sur quelques propos d'« amis qui nous veulent du bien ».

Costards de l'haine pour l'été

J.B. ‑ (intrigué de voir Dodièze se gratter sous toutes les couture) ‑ Eh bien, qu'est‑ce qui vous arrive? Eczéma? Mycose?... Ne me dites pas que vous avez attrapé des poux ou des punaises

DODIÈZE ‑ Moque, moque du vieux Dodièze Mieux ça serait ça que tu dis, diocane! La vérité, ça qui me gratte depuis cet été, manque la marie‑rose (1) elle pourrait le mettre dihiors.

J.‑B. ‑ Ah, bon. Je crois deviner que cette grattouille est une nouvelle façon d'exprimer votre rabia. De quoi s'agit‑il, cette fois?

DODIÈZE (les yeux au ciel) ‑ De quoi, i demande! Toi que t'i'es jeune, tu peux pas le comprendre que au pluss elle vient vieille la peau dessur les oss, au pluss ça gratte les costards de l'haine en été!

J.‑B. (à la traîne) ‑ Comment ça, des...? Et moi qui croyais à un sous‑entendu... Mais enfin, Dodièze, on n'a pas idée de s'habiller de laine en été...

DODIÈZE ‑ Moi, non. Mais y'en a que l'idée, elle leur est venu en premier. Que guitche t'i'es que tu t'en as pas aperçu! Et en plus, question des sous‑entendus, scuse‑moi que t'i'as l'oreille plus sourde que celle‑là d'un vieux margis de l'artillerie coloniale. Alors t'le sais pas, ô cougoutse (2), ça qu'c'est le sens défiguré, la fugure de rhistorique? C'est pas la peine que t'i'es le fils d'un l'écrivain capabe, alors...

J.‑B. (déconfit) ‑ Hum! Vous m'avez encore eu. Mais reconnaissez que vous m'avez sciemment induit en erreur, avec votre laine d'été. « Costard pour l'hiver », j'aurais compris. Nous sommes «habillés » par tant d'amis qui nous veulent du bien.

DODIÈZE ‑ Ouallou, t'i'aurais compris. Et c'est pas vrai que j'as triché avec l'haine. Comment qu'tu l'appelles, toi, la crache qu'i nous jettent dessur, tous les falsos qu'i parlent dans le poste, toute la bile qu'i z'écrivent ceux‑là des journaux et ceuxz'autes qu'on les dit storiens, que la moitié i z'ont commencé porteurs de valises ou signeurs de manifestations profélènes?

J.‑B. ‑ Vous voulez dire « manifestes ». Pour le reste, il est sûr qu'ils ne nous portent pas dans leur cour. Après si longtemps, encore tant de haine... (saisi d'une illumination)... de haine, de l'haine Pardi, je comprends maintenant ce que vous appelez «les costards de l'haine ». On ne saurait mieux dire Ah, du coup, vous m'avez refilé votre grattouille...

DODIÈZE ‑ Bon, méteunant que tu comprends et que tu grattes, tu vas pouvoir me spliquer comment ça se fait que ceux‑là qu'i z'écrivent l'Histoire aujord'hui, i font des pâtés de l'encre comme si ça serait esprès. A l'école de Bablouette d'avant, que des coups d'règle dessur les doigts qu'on se prenait pour moinss que ça!

J.‑B. ‑ Ah, mais c'est que les temps ont changé. Maintenant, ce sont les cochonneurs qui donnent les coups de règle: à nous et à tous ceux qui font mine de réagir contre la dénaturation du passé français de l'Algérie. Que celui‑ci ait duré plus d'un siècle et qu'on lui reconnaisse un bilan « globalement positif », ça les irrite encore plus que votre grattouille du « costard de l'haine ».

dodieze111

DODIÈZE ‑ Que rabia! Que falsos! Déjà que la presse elle se tire la bourre des tchaleffes (3), si les lives d'histoire de mes arrière‑petit‑enfants ça vient comme ceux‑là des blagues de Marius et Olive, comment qu'je fais, moi, pour que les jeunes de la famille i me respettent à moi et aux oss de nos morts! « O grand‑tonton ‑ qu'i m'a dit le petit‑cousin à Salvator qu'i me dit « vous » vec l'accent pointu ‑ quand vous évoquez vos baignades de Padovani (4) ‑vous ne nous dites pas que des barbelés empêchaient l'accès des Algériens à la plage ». J'a resté tellement chkouate (5) de ça, que l'air i pouvait plus me sortir et que mon pied il a pas pu partir. Qui c'est qu'il a jamais vu des barbélés sur les plages, à part pendant la guerre?

J.‑B. ‑ Eh bien, mon confrère Elkabbach, à ce qu'il prétend. Il parlait de plage oranaise, mais qu'est‑ce que ça change? D'Aïn el Turck (6) Padovani et même en poussant jusqu'à Stora (7), c'est la même fable qu'on nous sert depuis celle de la pancarte « Interdit aux chiens et aux Arabes ». Juste un peu corsée par les barbelés. Dans la prochaine version, on parlera de champs de mines et de miradors...

DODIÈZE ‑ Ce Stora que tu parles, c'est pas le tailleur en chef des costards de l'haine que je disais tout‑à‑l'heure? Je m'l'ai entendu deux‑trois fois à la télé dans les émissions algériques, et ça m'a coûté 200 zorros d'la réparation du poste, à rapport qu'en croyant d'envoyer la savate, j'ai ramassé le fer à repasser que la femme du ménage, elle l'avait oublié par terre, la purée d'elle!

J.‑B. ‑ J'allais vous dire que, par Stora, j'entendais la plage philippevilloise bien connue. Mais, finalement, votre confusion tombe pile: l'historien que vous citez n'est pas à contre‑emploi dans le rôle du maître‑tailleur.

DODIÈZE ‑ Qu'i vont s'la prendre lui et Faute, ton collègue comment qu't'i'as dit qu'i s'appelle? ..... Elmanarf Un que c'est un storien falso (9) et Faute qu'i sait rien du tout de quoi qu'i parle. Quâ même que ça commence à gratter, les costards des quat'saisons, les barbelés, les pancartes et assaoir que cinima bloffeur (10) qu'i nous font à la télé et partout, je vas pas la gaspiller d'la bonne rabia pour des p'tits nains que dans cinquante ans, personne i s'arapelle d'eux, ni en France, ni en Algérie; au heur que Dodièze, inch'Allah (11), i l'aura son estatue (12) Bablouette. L'Histoire à nous autes, elle marche comme la caravane. Laisse les chiens qu'i z'aboyent et les p'tites mouches qu'elles piquent: quâ même elle passe et un jour elle arrive.

Jean BRUA
(Dessins de l'auteur)
 
Splications
1) Marie‑rose : poudre anti‑poux
2) Cougoutse : courge (par ext. imbécile)
3) Tchaleffes : mensonges, contre‑vérités
4) Padovani : établissement de bains de mer de la banlieue ouest d'Alger
5) Chkouate : stupéfait, sans voix
6) Am el Turck : plage du cap Falcon, à l'ouest d'Oran
7) Stora : port de pêche et plage de l'arrondissement de Philippeville
8) Elmanarf : jeu de mots sur manarf (je ne sais pas)
9) Falso : faux‑jeton, hypocrite
10) Bloffeur : menteur
11) Inch'Allah : plaise à Dieu
12) Cf Algérianiste n° 109.
 

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