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Attrapes de cimitières et oyageurs-pigeons

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze


recueillie par Jean Brua

Les Pieds-noirs n'ont pas attendu les embrassades de présidents et les derniers « voyages organisés » pour reprendre contact avec leur terre natale où, sans tambour ni trompette, ils sont toujours accueillis chaleureusement par leurs voisins d'autrefois. Aussi l'opération « Cimetières » (1) a-t-elle paru enfoncer une porte ouverte depuis des décennies, sur fond d'affairisme « nécrotouristique » et selon le principe de « l'écran de fumée », si commode pour occulter le reste. De quoi exciter la méfiance et la dérision de Dodièze...

 

Attrapes de cimitières et oyageurs-pigeons...

DODIÈZE : - Ay, hombre ! À oir si t'ies capabe à gagner la question pour un champion ?

J.-B. : - Hum ! Il y a de l'attrape-couillon là-dessous... Mais ça ne fait rien. Allez-y, posez.

DODIÈZE : - Question à cinquante noyaux z'abricots : aousque c'est Beni-Mered ?

J.-B. : - Facile. C'est un village de la Mitidja presque aussi célèbre que le marabout de Sidi-Brahim. Le sergent Blandan (2) y a été tué avec seize de ces hommes dans un combat contre des centaines de Hadjoutes (3).

DODIÈZE : - Gagné. Question à cent noyaux : comment qu'il a venu le nom de Beni-Mered ?

J.-B. - Heu... Beuh... Le nom d'une tribu, sans doute...

DODIÈZE : - Ouallou pointé ! (soupir) Oilà comment qu'i sont les journalisses d'aujord'hui. De l'Algérie de hier, rien i connaissent, à part les tchaleffes (4) qu'i les recopient dessur le oisin du jornal ou de la télé d'à côté. En tous les cas, t'i'es t'illuminé. Adios les noyaux ! Le nom de Beni-Mered, ô cougoutse (5), c'est le curé de Boufarik qu'i l'a trouvé. Quand on les a ramenés le pôve Blandan et ses camarades dans la charrette des morts, c'est lui qu'il a passé la revue à la place du général, a'c le fant de chœur, l'ascensoir et l'écouvillon...

J.-B. - L'asc... ? Vous voulez dire l'encensoir et le goupillon ?

DODIÈZE : - C'est ça. La langue i m'a fourché. Méteunant, la question du rattrapage pour les bourricots d'la classe : qu'est-ce qu'il a dit le curé en goupillonnant ?...Une fois... deux fois... Encore perdu ! Ça qu'il a dit le curé, Monsieur, c'est : « Je bénis mes raides ». Trois fois, il a répété, « Je bénis mes raides », « Je bénis mes raides « Je bénis mes raides », a'c la oix d'la messe et la tête d'enter-rement qu'on la dit « fugure de Boufarik (6) »!

J.-B. (sourire Boufarik) - Ah, bravo ! Elle est bien bonne ! Je me doutais bien d'une chute de ce genre.

DODIÈZE (cassé de rire) : - Attrapé poisson d'avril ! Rosement que tu t'es « bien douté » (les larmes elles lui sortent), aussinon, le poisson, i sort comme une baleine !

J.-B. - O.K., O.K. Le pot de noyaux est encore pour vous. Cela dit, puisque vous êtes d'humour macabre, j'ai une histoire de cimetières, moi aussi. Une histoire vraie, celle-là, bien qu'elle ait davantage l'air d'une galéjade que la vôtre.

DODIÈZE : - Si c'est une histoire du cimitière de Bône, c'est pas la peine. Je m'les connais toutes. Et celles-là de Saint-Ugène kif-kif.

J.-B. - Pour le moment, il ne s'agit que du cimetière d'Oran. Et je ne crois pas que vous la connaissiez. Vous auriez déjà piqué la rabia du siècle...

DODIÈZE : - Si c'est comme ça, raconte. À mon âge, la rabia, c'est un médicament que si on le prend pas trois fois par jour, elle nous vient la panne de respiration comme si on serait un vieux bazouk (7) que la mer elle l'a jeté dessur les blocs du môle sans faire exprès par erreur. Y alors, ce cimitière d'Oron ? Toujours à la réforme, ou si c'est qu'il a venu un Luna Park ou bien un bourricodrome pour le tiercé de là-bas ?

J.-B. - Rien de tout cela, quoique... à bien y réfléchir... En tout cas, il reprend des couleurs. Le voici au cœur d'une entreprise touristique à but lucratif qui surfe sur la dernière vague de rapprochement entre les gouvernements français et algérien.

DODIÈZE : - Scuse-moi que j'ai pas tout compris. Qui c'est qu'il a marqué le but lucratif ? Et qu'est-ce qu'i fait le cimitière d'Oron dans la question de rapprochement ? On va lui louer un caveau pour le consulat d'la France méteunant qu'y'a plus qu'des oss à consuler ou alors pétrête on va le préparer le vote des morts pour les lections de 2006 ?

J.-B. (la tête comme une toupie) - Doucement ! Là, c'est moi qui perds le fil... C'est plus simple que ça : une agence de voyages propose tout bonnement des forfaits-visites de cimetières - voyage, hôtel et guide compris - en ciblant la clientèle pied-noire et en grattant la corde du retour.

DODIÈZE : - Aouah (8) ?

J.-B. - Akarbi (9) ! Il ne manque plus que la boutique de brochettes à l'entrée du cimetière. Seriez-vous preneur de la concession ?

DODIÈZE : - T'i'as pas honte à parler comme ça ! C'est pas bien de rigoler des morts. Ni non plus des brochettes, que c'était un commerce pluss honnête que çuilà des oyageurs-pigeons que tu me dis. En tout cas, cette agence touristaïque (10), c'est des louettes qu'i se croyent pluss louettes qu'i sont. Nous autes aussi, on est capabes à les marquer les buts lucratifs hors-jeu. Attends oir qu'i me l'en'oient la réclame pour cette combine de cimitière. Je m'le commande le retour-aller...

J.-B. - Vous voulez dire l'aller-retour...

DODIÈZE - Le retour-aller, j'a bien dit. À rapport que pour nous autes l'aller, c'est direction la France et le retour, direction l'Algérie. Donc, du retour-aller, j'le paye que le retour. Ho ! Déjà que j'ai la rabia de la première endoffade (11), il est pas né çuilà qu'i va me faire payer deux fois l'aller, que personne i me l'a raboursé depuis 1962, diocane !

Jean BRUA

(Dessins de l'auteur)

Dodieze img 2
L'AGENCE VOUS SOUHAITE LA BIENVENUE ET VOUS PRIE DE BIEN VOULOIR
EMBARQUER DANS LE CORBI-CAR POUR L'EXCURSION AU CIMETIÈRE...

Splications
1) (Voir l'article de P. Dimech dans le supplément au n° 108 de l'algérianiste),
2) Sergent Blandan : héros du combat légendaire (1842) de treize fantassins contre 300 cavaliers arabes,
3) Hadjoutes : combattants d'une tribu rebelle,
4) Tchaleffes : blagues ; 5) Cougoutse : courge ; par ext. : imbécile,
6) Fugure de Boufarik : mauvaise mine (par allusion aux épidémies qui décimèrent les premiers colons de la Mitidja),
7) Bazouk : petit poisson,
8) Aouah ? : « pas possible ! »,
9) Akarbi ! : « je le jure ! »,
10) Touristaïque : jeu de mots sur turista (diarrhée),
11) Endoffade : entubage.

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