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« Colonialisation » du vocabulaire

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

On a trouvé  un certain sel à voir s’abattre sur un vieux terroriste édenté (« ce pelé, ce galeux d’où nous vient tout le mal ») l’opprobre vertueux de ceux qui se montrent si indulgents, sinon complaisants, à tant d’autres « notables » du terrorisme de notre temps. Y aurait-il de bonnes et de mauvaises bombes ? Cette unanimité à l’encontre du Guide (en allemand : führer) de la Libye le ferait presque prendre en pitié, si les circonstances cocasses de son séjour à Versailles n’incitaient plutôt à la dérision. Et l’on sait Dodièze maître en cet exercice autant qu’en malentendus, fourchements de langue et rabias conséquentes.

 

 

« Colonialisation » du vocabulaire

 

DODIÈZE - I m’a venu une idée qu’elle est bonne. Une fois temps en temps, ça serait bien qu’on se sange le côté : moi l’interviouveur, toi l’interviouvé. Pas toujours le même qu’i se tient le roseau 1, diocane !

J.-B. - Moi, je veux bien. Mais chaque fois qu’on a essayé, c’est quand même vous qui avez monopolisé le crachoir… Et puis, la vedette, c’est Dodièze. Pas moi, qui ne suis que le clown blanc…

DODIÈZE - Vedette, moi ! Celle-la-là, elle est bien bonne ! Si ça s’rait vrai, au tarif vedette des feignants d’la télé, y’a longtemps que le budget de L’Algérianisse, je m’l’aurais coulé pluss profond qu’le trou d’la Sécu, diocane !

J.-B. - Bon, bon. Mettons qu’on inverse les rôles. Sur quel sujet m’interrogeriez-vous ? Je n’ai pas un registre de rabia aussi étendu que le vôtre.

DODIÈZE - Eh ben, oilà : toi que tu l’as appris le français naturel à la grande école, j’aimerais que tu me la spliques la mécanique du ditionnaire…

J.-B. (les œils ronds) - Du dictionnaire ? Vous voulez parler du franco-pataouète, ou l’inverse ?

DODIÈZE - Je parle du français naturel. T’i’es sourd ou tu fais esprès ? À moinss que tu faisais mancaora 2 à l’Otomatic 3 au lieur de travailler étudiant à côté, tu dois connaître comment qu’i marche le ditionnaire : pourquoi comment qu’on s’les soigit les mots qu’on les met dedans ou dihiors, qu’on sange les vieux avec des neufs, entiers ou en pièces détachées, comme si ça s’rait un siphon d’lavabo ou assaoir quoi d’la plomberie ou du moteur des oitures ?
J.-B. - Mais… Dodièze, vous êtes en train de me faire un cours de lexicologie !

DODIÈZE - Qué Mexicologie ? Je te parle pas mexicain, je te parle français. Enfin, français… C’est ça qu’je pensais, jusqu’à tant que, si j’me crois la télé, les jornals, pétrête aussi le ditionnaire, i faut dire « parler colonial ».

J.-B. (la bouche comme le Trou des Facs 4) - « Parler colonial » ! Que me chantez-vous là, Dodièze ? J’ai dû manquer quelque chose… Nous étions bien en train de parler de langue française ?

Dodièze (corrigeant) - De langue coloniale.

J.-B. (qu’i serche ses pédales de tous les côtés) - Attendez, attendez ! Si c’est une devinette, langue au chat tout de suite. Je sèche à rendre jalouse une figue turque.

DODIÈZE (que la rabia elle lui monte) - Oir-moi comment qu’il est çuilà ! Moi je lui parle sérieux et lui i me répond des figues sèches ! Et oilà, toujours la même soge : je me crois de faire l’interviouveur, pour une fois, et ce louette 5 i s’arrange pour que c’est moi qu’je donne les splications. Tu les lis pas les jornals, alors ! Tu l’écoutes pas la radio ? Tu l’arrégares pas la télé ni l’Internette ? Encore t’i’as pas compris que si tu veux pas rester calamar toute ta vie, i faut arrêter la mancaora de tout ! Bon. Je répète pour les bourricots du fond de la classe qu’i z’ont pas écouté… Ça qu’j’ai rémarqué depuis quelque temps, c’est que, comme si ça suffisait pas les plaques des rues, méteunant c’est les mots qu’on s’les démonte et qu’on s’les remonte n’importe comment. Tout ça qu’il était « français », ça vient « colonial ». Exempes : L’Algérie coloniale ; l’Armée coloniale ; la présence coloniale ; l’administration coloniale ; l’époque coloniale…

J.-B. - Ah ! Je vous suis, maintenant. Vous voulez parler de l’éradication, dans le vocabulaire médiatique, de tout ce qui peut rappeler que la France (pardon, la Colonie) a été présente en Algérie pendant 132 ans.

DODIÈZE - Les radications, manarf 6. Mais ça qu’je fais le total, diocane, c’est que ça va prendre du temps et du flouss pour colonialiser le ditionnaire, le Jornal Officiel, le nom d’la Ripiblique, çuila de l’Armée… Et encore, comme i disent à la télé, c’est pas une liste exotique…

J.-B. (toujours à sercher des poux à un fartass 7, - Vous voulez dire « exhaustive »… Bien sûr, mais on peut quand même se faire un match en forme de quiz.

DODIÈZE - Quiz aco ?

J.-B. - Un petit jeu de vocabulaire. Je commence : « Académie Coloniale », « drapeau colonial », « cuisine coloniale », « cinéma colonial »… Si je cale, vous reprenez la main. Et ainsi de suite, chacun son tour…

DODIÈZE - Chiche pois-chiche ! À 10 zorros la partie, alors… Achpète 8 un peu le retour du service : tu m’envoies « cinima », je contre « triâte ». Qu’est-ce tu dis de « Comédie-Coloniale » pour « Comédie-Française » ? A’c ce nom, inch’Allah, tout Paris i viendront comme les fourmilles pour oir la Parodie en place du Cid !

Jean BRUA



dodieze132
Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) Roseau (se tenir le) : flemme.
2) Mancaora : école buissonnière.
3) Otomatic : bar d’étudiants ainsi nommé parce qu’il avait été le premier, dès avant la guerre, à mettre en œuvre  des monte-charge distributeurs de sandwichs.
4) Trou des Facs : tunnel reliant l’avenue Pasteur et la rue Berthezène à la rue Michelet et au boulevard Saint-Saëns. 
5) Louette : malin.
6) Manarf : « je ne sais pas ».
7) Fartass :  chauve.
8) Achpèter : attendre.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini

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