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François-Xavier Dordor (1845-1913) et l'école Dordor d'Alger

Écrit par Jacques-Yves DesrousseauxFrançois-Xavier Dordor (1845-1913) et l'école Dordor d'Alger. Associe a la categorie Primaire

Les anciens élèves de l'école Dordor d'Alger sont légion et leurs souvenirs de l'école restent vivaces après plusieurs décennies. Une école « où l'on ne dormait pas précisément, contrairement au nom qu'elle portait », comme l'évoque Pierre Dimech dans son livre « D'une jetée l'autre ». Mais que représente pour ces anciens élèves le nom de Dordor, mis à part un calembour ? Dordor avait bien sa stèle dans la cour de l'école; il en avait été jadis le directeur mais qui était-il et pourquoi honorait-on sa mémoire?


La cour de l'école Dordor vue depuis la rue Levacher
Au fond, stèle à la mèmoire de François-Xavier Dordor
Les appartements du directeur se situent au dernier étage de l'aile droite (Coll. Particulière)


Rien d'étonnant à ce qu'aucun des anciens élèves interrogés n'ait su répondre. François-Xavier Dordor, mon arrière grand-père, avait six enfants. La famille de son seul fils aîné représente aujourd'hui plus de cent soixante personnes vivantes. Ignorant tout de notre ancêtre, M. et Mme Delaye, animateurs de la très efficace association « Généalogie Algérie-Maroc-Tunisie », m'ont montré le fil d'Ariane. M. Hervé Cuesta, dont la famille était à Alger voisine des Dordor, a également contribué à cette quête en m'ouvrant les portes d'un réseau amical qui m'était jusqu'à présent inconnu. Plusieurs mois de recherches aux Archives d'Outre-mer des Bouches-du-Rhône, du Doubs et de l'Armée de Terre ont alors apporté une réponse.

Famille de laboureurs, comme on disait jusqu'au XVIIIe siècle, les Dordor sont d'anciens colons espagnols installés en Franche-Comté avant son rattachement à la France au XVIIe siècle. Leur patronyme, Dordores, aurait été francisé en Dordor. François-Xavier Dordor est le fils de modestes cultivateurs de Cléron, dans le Doubs. Ses parents, nés tous deux en 1801, ont eu dix enfants, dont quatre morts en bas âge. Leurs quatre filles, domestiques quand elles sont en âge de travailler, épousent des hommes du terroir; des voituriers, un maçon, un cultivateur de Cléron. Leurs deux garçons, Jean-Etienne et François-Xavier, rompent avec la tradition sédentaire de leurs ancêtres cultivateurs. Jean-Etienne, né en 1835, fait une carrière militaire; engagé comme simple soldat, il parvient au grade de capitaine. Les deux frères seront décorés de la Légion d'honneur.

François-Xavier, le frère cadet, est né le 22 avril 1845 à Cléron. Peu après la mort de son père, il entre comme boursier le 3 novembre 1866 à l'Ecole normale d'instituteurs de Besançon. On retrouve son dossier scolaire aux archives départementales du Doubs; « Caractère et conduite excellents, devoirs religieux exactement remplis, aptitudes ordinaires; bon et prévenant ».

François-Xavier, exempté du service militaire par son numéro, quitte Besançon le 14 janvier 1866 pour intégrer au milieu de la troisième année scolaire, la première promotion de l'Ecole normale de Mustapha, créée à Alger par un arrêté de 1865 et qui commence à fonctionner le 16 janvier 1866. Un livre d'Aimé Dupuy, ancien directeur des Ecoles normales d'Alger-Bouzaréa, décrit la vie quotidienne des élèves maîtres (cf. « L'Algérianiste » n° 75 de septembre 1996, p. 16). La revue « G.A.M.T. » en a publié récemment quelques extraits (n° 66 du deuxième trimestre 1999). La discipline monacale a de quoi nous surprendre. Tous les jours, réveil à 4h30 et coucher à 21h30; dans des salles d'études distinctes pour les chrétiens et les musulmans, prière obligatoire avant le début de l'étude du matin et à la clôture de l'étude du soir. De maigres libertés le jeudi et le dimanche après-midi; jardiner, faire sa correspondance, recevoir sa famille au parloir dans une plage étroite de deux heures, se promener en rangs et encadrés.
Les deux « aumôniers » de l'école ont une place importante dans le protocole; sur une photo de 1866 regroupant enseignants, personnel et élèves, l'abbé « professeur de religion » siège à la droite du directeur. L'« aumônier » musulman, « Sidi Abd El Kader », est à sa gauche. La part donnée à la religion dans un établissement d'enseignement public a de quoi surprendre nos contemporains; mais le « petit père Combes » n'était pas encore passé.

Revenons-en à François-Xavier Dordor. En 1871, instituteur à Boufarik, il épouse la fille d'un négociant de Blida, Anne Torre. En 1880, on le retrouve instituteur dans une école communale d'Alger, 2 avenue Gandillot. C'est à cette adresse qu'il habite et que naissent ses enfants à compter de 1880. Anne Torre meurt en 1880 en donnant naissance à leur seconde fille. François-Xavier se remarie l'année suivante avec Clémence Mouranchon dont la mère, veuve depuis quelques années, a quitté Marseille avec ses enfants pour s'installer à Alger, rampe Valée. À chacun de ses mariages, François-Xavier prend deux instituteurs pour témoins.

Clémence Mouranchon donne quatre enfants à François-Xavier; l'aîné, Edouard Dordor, est mon propre grand-père. Les actes de naissance des enfants laissent supposer que François-Xavier est nommé, entre 1882 et 1885, directeur de l'école communale de l'avenue Gandillot, dont il était auparavant l'un des instituteurs.

Le « Bulletin de l'enseignement des indigènes de l'Académie d'Alger » de juillet 1896 apprend qu'il reçoit, par arrêté du 5 avril 1896, « la distinction honorifique d'officier de l'instruction publique, à l'occasion des visites faites par le ministre de l'Instruction publique aux établissements scolaires d'Algérie ».

François-Xavier devait avoir l'estime de ses collègues de l'enseignement primaire; lorsqu'il est nommé chevalier de la Légion d'honneur, ils lui offrent en effet une croix sertie de brillants, dans un écrin mentionnant « les membres de l'enseignement primaire du département d'Alger à leur collègue Monsieur Dordor ».

En janvier 1908, l'école de garçons dont François-Xavier est directeur n'est plus avenue Gandillot, mais rue Dupuch. François-Xavier est l'un des cinquante et un directeurs d'écoles primaires publiques d'Alger. Son traitement annuel, constant depuis 1903, est de 3500 F, dont 2800 F pour « faire la classe ». Avec ses onze instituteurs titulaires (dont les Archives d'Outre-mer ont gardé les noms) et ses dix classes d'enseignement primaire, de la quatrième à la première, comme on disait alors, l'école de la rue Dupuch est en 1908 la seconde à Alger par sa taille.

François-Xavier Dordor reste à son poste jusqu'à sa mort en 1913, sans être mis à la retraite. Il laisse son nom à l'école de la rue Dupuch. Mais s'agit-il déjà des bâtiments dont les anciens élèves se remémorent l'entrée principale dans les escaliers de la rue Levacher ?


La rue Dupuch à Alger (Coll. Particulière)

L'Ecole normale de garçons la plus fameuse de la ville (enfin, c'est ce qu'on disait dans l'école, et aussi dans le quartier), était située dans l'étroit triangle formé par les rues Dupuch, Levacher et Saint-Augustin. L'enseignement prodigué à Dordor était d'un niveau qui faisait honneur à sa réputation et ce, malgré la guerre et les trous que celle-ci creusait au sein des enseignants. La discipline ne lui cédait en rien, les instituteurs étaient bien encore ces fameux « hussards noirs de la République » qui, à l'égard des cabochards, maniaient moins la dialectique et l'ouverture que la fessée, à savoir « la tannée ». Le second enseignement des élèves (catholiques) était le catéchisme, prodigué dans la paroisse, à l'église même vouée à Saint-Augustin. L'église Saint-Augustin, où furent baptisés les enfants de François-Xavier est  aujourd'hui une mosquée.
Au début des années soixante, une stèle à la mémoire de François-Xavier se dressait encore dans la cour de l'école; on l'aperçoit d'ailleurs sur les diplômes remis par l'Académie d'Alger à l'occasion des distributions des prix.

En 1999, les murs de l'école Dordor sont toujours ceux qu'ont connus nos contemporains anciens élèves. L'immeuble lui-même est en bon état, ravalé depuis peu. Mais on ne peut en dire autant de son environnement. Rues sales, immeubles délabrés, le quartier de la rue Dupuch et du carrefour du Cadix n'a plus « le charme provincial, quasi-villageois » qu'appréciait Montherlant, comme Pierre Dimech l'écrit dans son article « Les Tournants Rovigo, évocation d'un quartier d'Alger ». Les anciens élèves se rappellent le Gymnase-Club Algérois, situé dans les sous-sols de l'école. À l'entrée, un panneau indique aujourd'hui « Commune d'Alger centre, musculation haltérophile, lutte, force, salle des champions ». On y accède par un couloir grillagé, aussi avenant que celui du métro aérien de Paris, couvert de tôles métalliques et de barbelés.

François-Xavier Dordor, instituteur et fils de cultivateurs, aura la satisfaction de voir son fils aîné Edouard intégrer l'école Polytechnique en 1903. De justesse il est vrai puisqu'il entre avant-dernier de sa promotion.après démission de plusieurs candidats classés avant lui. Les fréquentes mutations imposées à Edouard, officier de carrière, et la mort de François-Xavier, juste avant la guerre de 1914, expliquent pourquoi les Dordor d'Alger et la famille d'Edouard Dordor ont perdu contact il y a plus de 80 ans.

Mis à part une demi-douzaine d'actes et d'objets, les descendants d'Edouard n'ont rien gardé de l'instituteur. La tradition orale est quant à elle inexistante dans la famille. Nous ne savons même pas ce que sont devenus les autres enfants de François-Xavier (Anna, Alger 1880; Albert, Alger, 1885 et Rosé Molinari, Oran 1919; Lucile, Alger 1887 et Noël; Marguerite, Alger 1890), ni s'ils ont une descendance. Et nous ne savons toujours pas quels ont été les mérites de François-Xavier, si ce n'est d'avoir dirigé plus de trente ans l'école qui aura porté son nom pendant un demi-siècle.

En tout cas, je n'ai trouvé les réponses ni aux Archives de la France-d'Outre-Mer, ni aux archives de la Légion d'honneur, ni à celles de l'Education nationale; encore moins dans les services de l'état civil de Nantes, aucune demande visant à retrouver les autres descendants de François-Xavier n'ayant abouti. C'est pourquoi je fais volontiers appel à la mémoire des lecteurs de « L'Algérianiste ».

Jacques-Yves DESROUSSEAUX 

(N.D.L.R. : cf. « L'Algerianiste » n° 75, septembre 1996, p. 16)

In « l’Algérianiste » n° 90

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