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Foy et "La Petite Fadette"

Écrit par Yves Naz. Associe a la categorie Primaire

 
 
 


Nous étions en 1955, à la veille de la rentrée scolaire. Je rejoignais avec ma 4CV l'école à classe unique de Foy où j'avais été nommé. Foy était une petite localité sur la route nationale de Philippeville à Bône, près de Jemmapes. La guerre d'Algérie, après le 20 août, après El-Halia, avait pris son mauvais tournant: attentats, sabotages, exactions, assassinats se succédaient en ce Nord-Constantinois.


En début de matinée, j'arrivais donc dans ce minuscule village qui se caractérisait par sa place plantée de marronniers, me semble-t-il, avec un grand abreuvoir disposé parallèlement à la route nationale. L'espace, en légère montée, était barré à son extrémité par l'école et ses annexes. L'édifice, de type 1890 aurait pu, par son style, se dresser dans n'importe quelle commune de la France profonde.


Longeant des bâtiments clos, je remontais vers l'école; aucun signe de vie, tout semblait désert. En m'approchant je m'aperçus que les volets des ouvertures du rez-de chaussée étaient à demi incendiés; des traces de fumée montaient sur le mur au dessus des fenêtres vers l'étage. La porte d'entrée était entrouverte, la serrure fracturée. J'entrais. Une odeur de fumée, acre, celle de paille brûlée peut-être, me saisit. La salle de classe, dont les murs et le plafond étaient noircis , présentait un spectacle pitoyable: des bancs et des tables d'élèves avaient été fracassés, à la hache sans doute; on en avait entassé les restes au milieu de la pièce; on avait essayé d'y mettre le feu avec de la paille, des papiers, des cahiers aux pages arrachées, des manuels et des livres de bibliothèque déchirés. Je ramassais machinalement un livre presque intact: "La petite Fadette"; de George Sand ; couverture à demi enlevée, dos bruni, il avait échappé au saccage ...ou presque. "La petite Fadette"! Ce livre, qui avait dû passer dans les mains de générations de grands élèves, avait été abimé, souillé, violé... Un symbole!


Le contenu de l'armoire aux portes vitrées brisées avait été jeté au sol, les pièces du compendium dispersées, le globe terrestre éventré. Des tableaux pédagogiques et des cartes murales salies jonchaient le carrelage. Au premier étage pas de trace de l'incendie qui avait avorté au rez-de-chaussée. Les quelques pauvres meubles étaient renversés ou brisés. Cela avait dû se passer cette nuit; les assaillants, pressés, avaient- ils été dérangés?


Dans la cour, derrière le bâtiment, rien. On aurait pu croire que tout était normal si ce n'est que le portail donnant sur les champs pendait sur un seul gond. Je fis le tour de l'école; aucun bruit, toujours rien ni personne: les voisins se cachaient-ils? avaient-ils fui? avaient-ils été évacués? aucune bête , aucune volaille, aucun chien en vue. De ce village comme abandonné sourdait un calme étrange, inquiétant, angoissant...


Ayant mon Kodak, je pris quelques photos et quittais Foy pour rejoindre Jemmapes; là, j'avertis, par acquit de conscience, la Gendarmerie qui bien sûr était au courant. Je téléphonais à mon inspecteur à Constantine. Celui-ci enregistra la nouvelle avec flegme et me demanda de rejoindre l'école de garçons de... Jemmapes "où un poste justement n'était pas pourvu"...

Yves NAZ

 
 
 
 

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