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Témoignage du peintre Azaoua Mammeri

Écrit par Azaoua Mammeri. Associe a la categorie Primaire

« J’ai été admis à l’examen d’entrée au cours normal indigène de la Bouzaréa au 1er octobre 1906. À l’époque, le cours normal et l’école normale, bien que situés dans le même bâtiment, étaient sensiblement différents quant à leur organisation. Les deux sections voisinaient sans se confondre. Elles étaient dirigées par un homme remarquable qui avait une grande autorité sur les élèves : M. Bernard.

D’un caractère austère, il longeait souvent les galeries, solitaire et froid, et ne permettait aucun acte d’indiscipline. Mais il se dégageait de la façon dont il traitait tout le monde un profond sentiment de justice qui en imposait. Il était l’exemple vivant du pédagogue consciencieux qui appliquait en toutes circonstances les principes d’éducation dont il avait la garde. Nos professeurs nous témoignaient beaucoup de bienveillance. Malgré certaines rigueurs de discipline, nous sentions qu’ils nous aimaient et qu’ils ne demandaient qu’à faire de nous des hommes dignes, capables de remplir la tâche qui nous serait confiée. […]. Mon souvenir est plein de reconnaissance affectueuse pour tous. Dès ma première année, le dessin me passionne. M. Fleureau se rend compte de mes dispositions et m’autorise à dessiner des plâtres, des bustes, des têtes. Ses corrections et ses conseils m’encouragent. Je fais quelques bonnes figures et j’éprouve une grande envie de peindre. Mais je ne dispose d’aucun matériel et le temps me manque. Ce qui compte, ce sont surtout les leçons et les devoirs ; ce qui importe, ce sont les examens. Le travail manuel, la musique, qui m’intéressent beaucoup, sont sacrifiés par les programmes et ne sont enseignés que trop sommairement dans un but d’éducation générale.

Mes fantaisies me poussent cependant à reprendre mes crayons chaque fois que j’en ai le temps. Cela me délasse et j’éprouve un réel plaisir à rechercher sur un bout de papier les traits d’un voisin de table ou d’un camarade complaisant.

En 1909, mes études sont terminées. Je fais partie d’une caravane d’élèves-maîtres voyageant en France sous la conduite de M. Grassioulet, inspecteur primaire. Nous visitons Marseille, Grenoble, Lyon, Le Creusot, Dijon, Nancy et Paris. Ce bel itinéraire nous séduit et nous permet d’avoir une idée de la grandeur de la France. Nous voyons de beaux monuments et nous visitons des musées remarquables. Tant de richesses artistiques ne manquent pas de faire impression sur mon esprit.

En octobre 1909, je suis nommé instituteur à Châteaudun-du-Rhumel, près de Constantine. Un an après, je suis envoyé à Toudja, près de Bougie, dans un cadre de verdure ravissant : l’eau coule en abondance et miroite dans les jardins couverts d’orangers ; de grands arbres bordent les sentiers et abritent les habitations ; pleine de charme, au loin, la montagne de l’ « Aghbalou » étale un rideau de dentelle. Je trouve mon nouveau poste fort agréable. Je reprends mes crayons avec joie et me voilà de nouveau gagné par la séduction des lignes et des couleurs. Dans la cour de l’école, je m’exerce librement, fais et refais vingt croquis par jour. Mes élèves sont pour moi des modèles charmants et conciliants. Toute la jeunesse de la vie se déroule devant mes yeux.

J’en profite largement et bientôt, pour donner libre cours à ma passion, le papier à dessin coûtant cher, j’utilise le papier d’emballage de l’épicier du centre ; il m’en donnait de grands paquets. J’empile des centaines d’études naïves, fantaisistes. Cela ne me suffit pas. Sur mon maigre budget de débutant, je me paie le luxe d’une boîte de couleurs : tubes et pinceaux deviennent pour moi un matériel familier.

Trois ans après, j’arrive à Gouraya, entre Ténès et Cherchell, dans un gentil poste sur le bord de la mer. Coin séduisant où je devais faire la connaissance d’un peintre à barbe noire, d’un vrai peintre comme mon imagination me le représentait, M. Léon Carré. C’était un grand artiste connaissant admirablement bien son métier. Quel bonheur ! Il s’intéresse à mon travail, me reçoit dans son atelier, accepte de me laisser travailler à ses côtés. Chaque jeudi et chaque dimanche, je pouvais m’évader, courir, peindre et recevoir des conseils de ce charmant homme qui devait devenir l’un de mes meilleurs amis. Ce fut le commencement de ma fortune.

En octobre 1916, un désir de voyager se fit sentir en moi. Je pris le chemin du Maroc, pays inconnu alors, pays mystérieux par excellence, pays de rêves et de beautés. Je ne fus pas déçu. Je me remis ardemment au travail et pris part à une exposition de peintures organisée par la Résidence de Rabat au Pavillon de Marsan à Paris, en y faisant figurer deux petits paysages de Fez. Ils plurent beaucoup et furent acquis par l’État pour le musée du Luxembourg. Pouvais-je espérer ce succès ? J’étais dans la joie. Le maréchal Lyautey, qui avait remarqué mes premiers tableaux à Rabat, s’intéressa lui-même à mes travaux et m’encouragea généreusement. Ma première exposition se fit à Paris sous son haut patronage.

C’est ainsi que se fit ma carrière marocaine et, en 1928, M. Ricard, chef du service des Arts Indigènes, me confia une inspection des Arts Marocains à Marrakech ».

In l’algérianiste n° 111

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