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Recteur à Alger

Écrit par Laurent Capdecomme. Associe a la categorie Enseignement Supérieur

M. Laurent Capdecomme, recteur à l'Académie d'Alger de mai 1956 à juillet 1960, avait déposé en 1997 au Centre de documentation et de culture algérianiste de Perpignan, un ouvrage de souvenirs professionnels. Dans la partie " Souvenirs d'Algérie ", il rappelle ces rentrées scolaires - pour le moins délicates - durant la guerre d'Algérie.

A la rentrée de 1956, les effectifs des établissements scolaires d'Algérie étaient sous la double influence de l'insécurité croissante et d'une grève scolaire, que venait de lancer la Rébellion.

L'insécurité avait entraîné de nouvelles fermetures d'écoles primaires rurales (1 550 classes fermées en octobre 1956 au lieu de 1 327 en octobre 1955). Cela touchait surtout les jeunes Musulmans. Mais l'insécurité entraînait aussi de nombreux départs d'enfants non-musulmans vers la Métropole. La grève scolaire, très irrégulièrement suivie, était pratiquement totale dans certaines zones urbaines, notamment dans les quartiers musulmans d'Alger.

- Dans l'Enseignement primaire élémentaire, malgré l'accroissement du nombre de classes ouvertes, les effectifs d'élèves musulmans ont ainsi chuté fortement à la rentrée de 1956 (- 7,5 % des effectifs de 1954, dernière année normale, après - 3,2 % à la rentrée de 1955, soit - 10,7 % au total en deux ans.

 


Ecole primaire à Bou-Saada

 

Pour les non-Musulmans, les effets de départs en Métropole traduits, dès 1954, par un freinage de la croissance, se manifestaient, depuis, par des diminutions d'effectifs (en 1956, 1,9 % des effectifs de 1954, après - 1,1 % en 1955, soit - 3 % au total en deux ans).

- Dans l'ensemble des enseignements de niveau moyen, les effets de la grève scolaire de 1956 ont été beaucoup plus sensibles dans l'enseignement primaire élémentaire. C'est ce que montre le tableau suivant des variations relatives d'effectifs en un an observées dans ces enseignements à l'occasion des rentrées de 1954, 1955 et 1956 (la variation est donnée, pour chacune des trois années, en % de l'effectif de 1954, dernière année normale.

   Musulmans (%)  Non Musulmans (%)
   1954  1955  1956  1954  1955  1956
Lycées et collèges classiques et modernes            
2e cycle  + 14,3  + 14,2  - 61,4 + 5,0   + 6,0  + 2,9
1er cycle  + 9,3  + 13,8  - 47,3  + 7,8  + 4,2   - 5,0
Enseignement franco musulman + 14,7 + 16,8   - 80,4      
Enseignement technique du 2e degré  + 22,6  + 1,8  - 32,7  + 7,7  + 10,2  + 0,6
Enseignement professionnel  + 16,5  + 2,6  - 29,1  + 11,2  + 3,8  + 3,4
C.C.E.G  + 13,0  + 11,0  + 7,8  + 12,3  - 1,8  + 5,1

En ce qui concerne les effectifs musulmans, on comprend que les établissements d'enseignement secondaire franco-musulmans aient été les plus touchés (- 80,4 %). Après eux, venaient généralement les établissements implantés dans des villes importantes, c'est-à-dire les lycées et les collèges. Les C.C.E.G., dispersés en proportion élevée dans des centres urbains modestes, ont été bien moins atteints par la grève.

Dans le cas des non-Musulmans, l'insécurité a fortement freiné la croissance des effectifs dès 1955, sauf dans le 2e cycle des Lycées et Collèges et dans l'Enseignement technique de 2e degré dont la capacité d'accueil avait pu être fortement accrue.

Les établissements implantés en zone rurale étaient les plus touchés par le fait de l'insécurité. En 1956, le terrorisme s'étant installé en milieu urbain, ce sont les effectifs des établissements de 2e degré (Classique, Moderne et Technique) qui ont été particulièrement atteints.

- A l'université, les heurts du mois de mai, suivis de la grève, avaient provoqué un effondrement des effectifs musulmans (- 66 % en 1956 au lieu de 33 % en novembre 1955 et 16,1 % en novembre 1954) (diagramme U1B des variations relatives annuelles d'effectifs étudiants à l'Université d'Alger). Les effectifs non-musulmans étaient peu modifiés.

- Même là où le mouvement de grève scolaire était contrôlé par des agents de la rébellion, il n'a jamais été populaire. Dans l'Enseignement primaire, la grève s'est éteinte progressivement au cours des premiers mois de 1957 et dans certaines villes, la pression pacifique et originale de militaires a ramené très vite les enfants à l'école.

Dans les autres ordres d'Enseignement, la grève a eu des effets particulièrement néfastes, car les jeunes Musulmans grévistes ont perdu, en fait, une année entière quand ils n'ont pas été conduits à arrêter définitivement leurs études. La grève a eu, par là, des conséquences irréparables sur l'essor de la scolarisation musulmane à court terme.

 


L'Université d'Alger.

 

A la rentrée de 1957 qui a eu lieu sans grève scolaire, nous avions ainsi réuni beaucoup de moyens d'action et dégagé des vues claires sur les opérations à mener afin de rattraper les fâcheux effets des troubles des récentes années et de réaliser une expansion rapide des Enseignements.

Dans le primaire, le nombre de maîtres effectivement en service avaient considérablement augmenté (+ 2 230, soit + 19 % depuis la rentrée précédente). Dans les classes élémentaires, les effectifs d'élèves musulmans, qui avaient décru en 1955 et 1956, remontaient brusquement (346 008 en 1957 au lieu de 280 188 en 1956 et 313 775 en 1954). Les effectifs d'élèves non-musulmans continuaient à baisser lentement (123 249 en 1957 au lieu de 124 001 en 1956, soit - 0,6 %, traduisant la poursuite du repli vers la Métropole.

Dans l'ensemble de l'Enseignement primaire, cependant, nous n'avions pas encore retrouvé les effectifs qu'aurait donné le maintien des progressions des dernières années normales, antérieures à 1954. Notons aussi que les cours d'adultes, très suivis jusqu'en 1954 (40 100 élèves en 1954-55) s'étaient effondrés en 1955-56 (14 100 élèves) en 1956-57 (3 470 élèves). II importait de les ranimer.

Dans les enseignements moyens, le cycle des Lycées et Collèges classiques et modernes, C.C.E.G, Enseignements professionnels, les effectifs des Musulmans et ceux des non-Musulmans montaient eux aussi brusquement, en octobre 1957, dépassant, dans tous les cas, ceux de la rentrée 1955, mais ils demeuraient loin encore de ceux qui auraient résulté du maintien des progressions annuelles enregistrées lors des dernières rentrées normales.

Les effectifs des 2e cycles classique et moderne, ceux de l'enseignement technique du 2e degré et ceux de l'enseignement franco-musulman marquaient, de même, une reprise, mais celle-ci était bien moins accusée relativement que dans les enseignements moyens de 1er cycle. Pour les musulmans, elle n'aboutissait qu'à des effectifs nettement inférieurs encore à ceux de la rentrée de 1955. Cela traduisait le fait déplorable que nombre de grands-élèves musulmans avaient définitivement stoppé leurs études à la suite de la grève.

Une situation analogue apparaissait sous forme amplifiée à l'Université où le nombre des étudiants musulmans, tombé à 267 en 1956, remontait seulement à 421 en 1957, après avoir atteint 786 en 1955. En vue de faciliter l'accès des bacheliers aux études supérieures, l'effort de déconcentration de l'Université d'Alger, commencé en 1956 par la création des Centres d'études juridiques d'Oran était poursuivi à la rentrée de 1957 par l'ouverture au lycée d'Oran de classes de mathématiques supérieures et de lettres supérieures préparant aux certificats propédeutiques scientifiques et littéraires de l'Université d'Alger (52 inscrits dès 1957).

Ainsi, dans l'Académie d'Alger, à la rentrée d'octobre 1957, les effets du choc apporté au dispositif d'enseignement par les départs massifs d'enseignants en 1956 et par la grève scolaire de 1956-57 étaient en grande partie résorbés et, surtout, la confiance paraissait revenue chez les enseignants.

 


L'Ecole Normale d'institutrice d'El-Biar

 

A la rentrée de 1958, dans l'enseignement primaire élémentaire, le nombre de maîtres en service avait encore augmenté considérablement (+ 1703, soit 12 % depuis la rentrée de 1957). La croissance des effectifs d'élèves musulmans s'était fortement accélérée (ils passaient de 346 008 en 1957 à 468 665 en 1958, soit + 34,4 % en un an), tandis que les effectifs des non-musulmans étaient presque stabilisés (de 123 249 en 1957 à 122 187 en 1958, soit seulement - 0,9 % en un an). Globalement, malgré la grève de 1956-57 et les difficultés de toutes sortes, les effectifs musulmans avaient bénéficié, depuis 1954, d'accroissements relatifs nettement plus élevés que si la progression antérieure à cette date était simplement maintenue (+ 49,4 % en quatre ans au lieu de + 33 % environ).

Pour les élèves non-musulmans, les effectifs restaient nettement inférieurs à ceux de 1954 (- 4,5 %) par le fait des départs en Métropole cumulés depuis cette date. Dans (ensemble, l'enseignement primaire élémentaire était bien préparé à une vaste expansion.

 


Collège de Tiaret

 

Dans les enseignements moyens (le cycle des enseignements classique ou moderne, C.C.E.G. et Enseignements professionnels) le rattrapage des effectifs qu'aurait donné le maintien de la progression absolue annuelle antérieure à 1954 était approximativement réalisé à la rentrée de 1958. Par contre, dans les enseignements de 2e cycle classique et moderne, le nombre d'élèves musulmans restait fortement affaibli par la grève scolaire qui avait arrêté définitivement les études de beaucoup de jeunes gens. Les effectifs de 1958 étaient donc très inférieurs à ceux qui auraient été atteints si la progression annuelle antérieure à 1954 s'était maintenue ; ils se trouvaient même plus bas que ceux de 1955 (1 983 élèves en 1958 au lieu de 2 287 en 1955) ; bien que la remontée ait été importante de 1957 à 1958 (1 446 en 1957 et 1 983 en 1958, soit + 37,1 % en un an). Les effectifs non-musulmans étaient, ici, en nette expansion (9 390 en 1957, 10 205 en 1958, soit + 8,7 % en un an), ce qui démontrait l'amélioration du pouvoir attractif de ces enseignements.

L'enseignement technique du 2e degré avait pu dominer les séquelles de la grève scolaire et ses effectifs d'élèves musulmans (697) atteignaient progressivement en 1958 ceux qu'aurait donné le maintien de la progression antérieure à 1954. Les effectifs non-musulmans étaient, ici encore, en forte progression (2 846 en 1957 et 3 292 en 1958, soit + 15,7 %).

Dans l'enseignement franco-musulman, on n'avait pas encore tout à fait atteint l'effectif qu'aurait donné le maintien de la progression antérieure à 1954, mais le maximum de 1955 était largement dépassé (864 en 1955 et 1 109 en 1958, soit + 7,8 %).

Dans les Ecoles normales d'instituteurs, le nombre d'élèves-maîtres recrutés en 1958 avait pu être porté à 626 (dont 468 en l'année) au lieu de 346 (dont 195 en 1er année) en 1957 (+ 80,9 %). Cela avait été rendu possible par l'adjonction aux six Ecoles Normales existantes, de sections d'Écoles normales ouvertes dans les lycées et collèges (Tlemcen, Mostaganem, Orléansville, Tizi-Ouzou, Bône et Sétif). Globalement l'effectif des élèves-maîtres en cours d'études était ainsi passé de 804 en 1954 à 890 en 1957 et 1 242 en 1958 (+ 54,5 % par rapport à 1954).

Dans l'enseignement technique supérieur, c'est-à-dire l'École nationale d'Ingénieurs de Maison-Carrée où la quasi totalité des élèves étaient non-musulmans et en grande proportion venus de métropole, le recrutement s'était avéré difficile en 1956 et en 1957, mais en 1958, le nombre d'admis au concours d'entrée arrivait à atteindre 41 au lieu de 34 en moyenne avant 1954. Cet accroissement avait été favorisé par l'ouverture d'une section " électricité " à côté de l'unique section initiale " Travaux publics ".

A l'Université d'Alger, les effectifs d'étudiants musulmans restaient bien inférieurs au maximum atteint en 1955 (530 en 1958 au lieu de 786 en 1955), mais les effectifs non-musulmans étaient en nette croissance de (4 394 en 1957 à 4 924 en 1958, soit + 12 % en un an).

Ainsi, bien qu'en dehors de l'enseignement primaire élémentaire, l'ordonnance du 20 août 1958 n'ait pu agir directement sur les effectifs de la rentrée de 1958, ceux-ci marquaient un pas en avant important dans tout l'ensemble des enseignements. Les résultats ainsi obtenus étaient le fruit des efforts d'organisation des deux années précédentes. Pour ce qui concernait les effectifs d'élèves musulmans, ils avaient réparé les effets de la grève scolaire de 1956-1957, dans l'enseignement primaire élémentaire, les enseignements généraux moyens de niveau du 1e cycle, les enseignements professionnels et techniques de 2e degré l'enseignement franco-musulman, mais n'avaient pu encore y parvenir dans le 2e cycle secondaire, classique et moderne, ni à l'Université, par suite du non-retour de trop de grévistes. Dans son ensemble le dispositif paraissait bien préparé à servir de base à l'expansion prévue par le Plan de scolarisation du 20 août 1958.

Laurent CAPDECOMME

In l'Algérianiste n° 79 de septembre 1997

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