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Mon Père, Augustin Ferrando

Écrit par Paule Cruveiller. Associe a la categorie Peinture

Grâce au livre que je prépare, je réalise enfin un vieux rêve : laisser après moi, son unique enfant, une œuvre durable qui le protégerait de l’oubli, ferait connaître son grand talent, l’homme plein d’humanité, d’étonnante jeunesse, ce merveilleux coloriste qu’il était.

Il aimait tellement son pays natal, sa luminosité, ses couleurs qu’il a abandonné Paris où il commençait à être connu, c’est hélas pour sa carrière, mais tellement merveilleux pour sa peinture ! Il devient le Ferrando que nous connaissons, qui fait dire aux amateurs, devant un tableau : « C’est un Ferrando ».

Quand je regarde « Le marchand de poissons », un de mes tableaux préférés, je revois Omar à Port-aux-Poules, nous présentant son panier où les poissons irisés frétillaient encore ; mon père les achetait pour les peindre, puis nous nous régalions d’eux.

Durant mon enfance, j’ai beaucoup voyagé avec mon père en Haute-Savoie, une des plus belles régions de France. Nous passions nos vacances à Annecy où il louait sur le canal du Thiou, une jolie maison étroite et haute, recouverte d’une glycine si vivante et si fournie que je n’ai jamais su comment était la façade. Il y avait devant nous, les pieds dans l’eau, les vieilles prisons et au-dessus le château de Montmorency. Mon père s’installait tout en haut de la tour d’où la vue était immense, circulaire, la lumière très belle. Je le regardais peindre ; il sifflait du Schubert ; son pinceau était sûr ; très vite le paysage prenait vie, c’était magique ! Beaucoup de collectionneurs possédant encore ces vues d’Annecy, se diront « C’est mon tableau ».

Nous passions aussi plusieurs mois en Espagne. Ce pays est si pictural qu’en le quittant, notre voiture avait des tableaux jusque sur le toit ; je n’en ai, hélas, aucun de cette période ; ils étaient vendus très vite dès notre retour en Algérie. Nous circulions partout, sur de mauvaises routes à la recherche d’un site pour installer le chevalet. Fernando, le jeune garçon que papa avait engagé pour la saison, portait la boîte à peinture et m’aidait à maintenir la toile afin qu’elle ne bouge pas. Avec mon père, la vie n’était jamais banale. Avec son tempérament impulsif, généreux, il prenait toujours le parti pour le plus faible. Un jour, une vieille charrette passe devant nous, surchargée de sacs ; un petit âne épuisé n’arrivait plus à la tirer, malgré les coups de gourdin que son maître lui donnait. Mon père le lui a arraché des mains ; j’ai cru un moment qu’il allait s’en servir contre cet homme pourtant jeune et fort. Dans ses moments de révolte, il oubliait la corpulence de l’adversaire et se jetait dans la mêlée sans réfléchir. Il réussit à se dominer, à alléger la charrette en jetant des sacs à terre, fit repartir l’équipage en dédommageant les sacs perdus. Ce genre d’anecdotes fera sourire ceux qui ont connu son grand cœur, parce que cela arrivait souvent et moi, dans ces moments-là, je ne pouvais m’empêcher d’évoquer don Quichotte ! Nous étions tristes de quitter ce beau pays, mais nous ne repartions jamais seuls, avec les tableaux ; c’était l’époque de la misère en Espagne. Cette année-là, c’est Fernando, qui avait quatorze ans mais en paraissait dix, qui est venu avec nous à Oran ; mon père s’en est occupé longtemps. Un jour, nous avons eu la joie de le voir arrêter la circulation pour nous laisser passer ; il avait une belle tenue d’agent de police, une alliance au doigt et déjà une jeune famille.

C’est pourquoi je pense toujours à mon père avec une immense tendresse pour sa bonté naturelle et une grande fierté pour la peinture qu’il nous a laissée.

Paule Cruveiller

In l’algérianiste n° 71

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