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Jean Simian un grand peintre algérois

Écrit par Marion Vidal-Bué. Associe a la categorie Peinture

 Simian01  " objets... doués d'une présence
occulte, éternelle... "
Couscoussiers devant la mer.
Club des Pins -1940.

(collection particulière).
 
Un grand peintre algérois...

Jean Simian

Algérois, certes, et de tout son être, il était peu connu de ses compatriotes, car il avait choisi la voie d'une recherche picturale très personnelle et éloignée du style en faveur dans le public, et qu'il fit une grande carrière à Paris, comme plusieurs de ses confrères à la même époque, y cherchant une reconnaissance plus large.
Il a peint des paysages d'Algérie, du sud en particulier, et les gens du bled, mais dans un style tellement particulier que l'on ne peut pas facilement le cataloguer comme peintre " algérien ". Et pourtant, c'est bien son pays natal qui lui a imprimé sa force et sa lumière.

Jean Simian est né à Alger le 2 mai 1910, dans une famille en vue et tournée vers les arts. Son grandpère, Gabriel Simian, est un musicien actif et reconnu. Son père, Marcel, est également un érudit, curieux de tout et grand amateur d'art. Sa mère, Julia Borgeaud, possède un joli talent pour la peinture.

Dans ce milieu favorable, les dons artistiques du jeune homme s'affirment précocement et sont encouragés. La musique, le piano en particulier, est l'une de ses passions, mais il choisira la peinture et, après une licence de lettres (histoire de l'art, esthétique et littérature), il s'inscrit à l'école des Beaux-arts d'Alger.

Il approfondit ses études sur l'histoire et la théorie de l'art en suivant les cours de l'école du Louvre à Paris, dont il sortira diplômé après une thèse sur la peinture du XIXe siècle. Toujours à Paris, il s'inscrit en 1929 et 1930 à l'Académie libre d'André Lhôte, l'un des artistes théoriciens les plus importants de cette période, dont il recevra une très forte influence intellectuelle et plastique.

Un autre maître dont il suit l'enseignement de 1932 à 1936, Amédée Ozenfant, le confortera dans ses recherches sur l'esprit des formes et des constantes plastiques.

C'est ainsi que Jean Simian publiera dans la revue " Messages " dirigée par Jean Lescure, un texte intitulé " De la connaissance plastique ", qui constituera son credo et dans lequel il affirmera : " Le surréalisme n'est pas mort... Sa mystique du monde extérieur est terriblement vivante... Il devra bientôt s'appeler pour la commodité des historiens d'art : surnaturalisme, dont le manifeste pourrait tenir en trois mots : ressusciter la nature morte " (Cahiers de la poésie française, n° 1, 1942).

Il expose une première fois à Alger en 1941, à la galerie du Minaret, rue Michelet, dirigée par le frère du peintre algérois Pierre Famin. Ce sont des portraits, des scènes de la vie quotidienne et des paysages, d'un style figuratif très stylisé, remarquables par la science des volumes et du mouvement.

Mais ses débuts sont interrompus par la guerre. Mobilisé, il est nommé peintre aux Armées, et réalise une série d'oeuvres sur des thèmes militaires dont certaines seront acquises par l'état (" Un parachutiste ", 1944; " Embarquement ", 1945 et " Larguier ", dépôts du FNAC au Musée de la Guerre à Vincennes).

Ses peintures et dessins de guerre sont exposés pendant l'Occupation en 1944, dans les salles de l'ambassade de France à Rome, comme ils le seront en février 1946 à la galerie Durand-Ruel à Paris, à l'occasion d'un hommage aux anciens peintres aux Armées. Il voisine là avec des artistes bien connus des Algérois : Louis Berthommé Saint-André, René-Jean Clot et André Hambourg, pour rien citer que quelques-uns.

En 1946, la galerie du Minaret organise sa première exposition particulière à Alger. Jean Alazard, directeur du musée des Beaux-arts, rédige la préface du catalogue et résume ainsi les caractéristiques de son œuvre : " D'un artiste aussi doué, on ne pouvait qu'attendre avec impatience les sensations de guerre. Les voici et elles forment un des ensembles les plus évocateurs d'une oeuvre déjà pleine de densité. Il est beau de laisser une impression de grandeur en traitant les thèmes qui, chez certains, côtoient le théâtral. Il est remarquable d'avoir tiré des effets plastiques saisissants de ce qui semble contenir si peu, et d'avoir donné aux audacieux élans des parachutistes ce rythme véhément et fatal qui est chose si latine et méditerranéenne... C'est toujours vers des formes plastiques que tend son art... Il songe à ce qu'il y a de durable et de profond dans un paysage, dans une attitude... toute la force d'un talent qui ne fait aucune concession aux jeux décevants et faciles des divers académismes ".

À cette époque, Simian peint des natures mortes si singulières que la critique n'hésite pas à les qualifier de " ressuscitées ". Il représente des objets familiers pris autour de lui plats, couscoussiers, kanouns, cruches, poteries et vases kabyles, peaux de chèvres, petites sculptures et même jouets, qu'il transfigure complètement dans une savante mise en scène où les volumes et les matières sont recréés à partir d'une vision poétique.

" Le réel n'est pas pour
Jean Simian ce qu'il est
pour l'homme moyen... "

Roger Vrinat analyse ainsi son travail : " L'objet est le premier souci de jean Simian. Non pas l'objet dans son apparence naturelle... mais l'objet vu isolément, appréhendé de l'intérieur, senti et conçu lui-même dans un monde clos où s'enclôt en même temps le génie poétique de l'artiste créateur... Le réel n'est pas pour Jean Simian ce qu'il est pour l'homme moyen... au sens profond de ce mot, création intégrale d'un cosmos original, où la transcendance de l'âme humaine insuffle la vie à une forme et une matière qu'elle régénère en la faisant sienne ".

Il participe à une importante exposition de groupe " Sur quatre murs ", à la galerie Maeght en 1946-1947, puis connaît sa première grande exposition personnelle à Paris, à la galerie Pierre Loeb en 1951. Ce sont des années fertiles : Copenhague l'accueille en 1953, puis Bruxelles en 1954 (Prix de la Critique du mois). Exposant à Marrakech en 1953, il s'attache au Maroc qui deviendra l'un de ses lieux de prédilection lorsque les événements d'Algérie l'empêcheront de voyager dans son pays natal.

Car le sud l'attire plus que tout, et toujours il en recherchera l'intensité et la minéralité. Les formes dépouillées de tout superflu de ses paysages et de ses constructions lui inspirent des ceuvres très fortes. Le vieux cimetière de Metlili, dans le sud algérien, avec ses étranges constructions africaines de pisé blanchi à la chaux, et ses troncs de palmiers abattus, lui fournira par exemple matière à plusieurs toiles d'une atmosphère quasi lunaire.

Lauréat du prix de la Casa Vélasquez en 1953, Jean Simian séjourne à Madrid en 1954 et y expose en 1955. Il restera toute sa vie fidèle à l'Espagne, dont les paysages, baignés de la même lumière ardente que ceux d'Algérie et le folklore vivace, comblent son sens de l'absolu.

Port d'Alger 1930. Les fêtes du centenaire. Huile sur toile 73x54
(coll. particulière)
 Simian02

C'est ainsi qu'il fera de fréquents séjours dans le site très pictural de Peniscola, sur la côte de Levante, où l'attirent ses amis les peintres algérois Louis Nallard et Maria Manton. Les maisons du village blanc et bleu, cerné de remparts sur son promontoire marin, lui rappellent bien entendu la casbah d'Alger et il en peindra avec bonheur les maisons en forme de cubes imbriqués les uns dans les autres. Autre source d'inspiration, les scènes de fêtes locales (courses de taureaux, danses, processions religieuses...) et la mer, dont il fera de nombreuses études.

En 1956, il participe aux expositions de groupe " Peintres d'Afrique du Nord " à Bordeaux et " Peintres d'Algérie " à Nice, avant de connaître sa deuxième grande exposition personnelle à Paris à la galerie Renou et Poyet. Les critiques s'accordent à louer son talent : " Jean Simian, magicien de la couleur, nous amène à une vision très personnelle du monde recréée à travers le sentiment intérieur, tantôt serein, tantôt tragique des choses... " (galerie Romanet); " Il faut beaucoup d'amour et de délicatesse pour nous livrer ainsi le cour des choses, pour nous donner aussi une telle leçon de tendresse. On a dit... que l'amour pouvait transmuer le monde. Bien peu s'y sont essayés. Presque tous s'y sont brisés. Simian, lui, simplement par chacune de ses toiles, nous prouve que cette transmutation est son domaine quotidien " (P Louit, présentation TV).

Par la suite, Jean Simian continue à peindre avec le même souci de recherche des formes et de la matière. Sa palette intègre les tons les plus chauds, rouge feu, orangés, jaunes lumineux, terre brûlée, qu'il oppose à des bleus froids ou à des verts acides. Il garde ses thèmes favoris, les objets, les paysages et les scènes de foules d'Espagne et du Maroc.

" une vision... personnelle du monde
recréée à travers le sentiment intérieur, "

Les gens le passionnent bien sûr, et c'est en dessinateur hors pair, à l'encre ou à la mine de plomb, qu'il en fera de magnifiques portraits. Ses bergers kabyles, ses baladins chleuhs, ses oiseleurs ou ses pêcheurs algériens, témoignent de son grand talent, comme ses études de chevaux que l'on retrouve en thème récurrent tout au long de son oeuvre car le dressage était une autre de ses passions.

Intéressé par l'art monumental, il réalise un immense fusain d'une scène quasi mythologique dans laquelle des hommes et des chevaux s'entremêlent dans une sorte de célébration païenne, véritable hymne à la nature dans lequel s'exprime toute la puissance de son art.

Mais il ne recherchera plus les expositions, restant volontairement en dehors des modes et des coteries, refusant de se plier aux compromissions. Il peindra pour lui-même et pour ses fidèles, suivant sa voie sans jamais en dévier : trouver l'âme des choses, transcender les apparences pour recréer l'intemporel.

 Simian03  "... trouver l'âme des choses, transcender les apparences
pour recréer l'intemporel... "
 Port d'Alger - 1930, (coll. Particulière)
 

Professeur de dessin dans la foncfion publique de 1963 à 1973, il fera bénéficier ses élèves de son enseignement éclairé et de sa personnalité chaleureuse.

On le reverra toutefois pour des expositions personnelles : chez Jacques Massol à Paris en 1976, puis en 1978,1980 et 1982, recueillant toujours des articles élogieux mais trop à l'écart du courant pour connaître le succès public.

Le critique des Nouvelles Littéraires résume ainsi sa carrière en 1976 : " Il est vrai que lorsqu'un artiste se tient en marge de tous les courants de la mode, il court le risque d'être ignoré longtemps. Beaucoup de sa génération durent traverser le raz-de-marée de l'abstraction lyrique. L'art heureusement se rit du temps. Il y prend à son heure son poids et sa place. Ainsi on est plus à même aujourd'hui d'apprécier le "surnaturalisme" de Simian, un peu cousin du surréalisme, ses grandes toiles où les objets semblent doués d'une présence occulte, éternelle, ses paysages figés par le regard du souvenir, ses natures si peu mortes qu'elles parlent deux langages, celui de la peinture et celui de la poésie... " (L. de la G.)

Jean Simian fera une ultime exposition en 1987 à la galerie Claude Hemery à Paris, sur le thème du désert, cher à son coeur. Il décède dans sa maison atelier de Rueil-Malmaison en septembre 1991.

Marion Vidal-Bué

Sociétaire du Salon d'Automne de 1958 à 1980 - Salon de mai 1946 et 1967 - Réalités Nouvelles 1964 et 1967 - Grands et jeunes d'Aujourd'hui 1964. Il participe aux entretiens de Royaumont et de Cerisy-la-Salle dès 1950.

Oeuvres acquises par l'état :
- Musée national d'Art moderne: " Nature morte ", 1948.
- Dépôts du FNAC à l'ambassade de France à Oslo, à l'ambassade de France à Berne.
- Une toile " Le rosier ", 1950, en dépôt dans les locaux du Premier ministre à Paris.
- " Corrida sous l'orage ",1954 musée Baron Martin de Gray.
- Oeuvres au Musée national des beaux-arts à Alger: six huiles et un crayon (étude de personnages).

Bibliographie :
- Lydia Harambourg, " L'école de Paris, 1945-1965, Dictionnaire des Peintres ", éditions Ides et Calendes p 442 et 443.
- Collectif (Anne-Marie Briat, Janine de La Hogue, André Appel, Marc Baroli), " Des chemins et des hommes - la France en Algérie (1830-1962) ", éditions Harriet, p. 207.

In l'Algérianiste n° 89 de mars 2000

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