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Rafel Tona

Écrit par L.E. Angeli. Associe a la categorie Peinture

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1903 - Barcelone

1987 - Paris

La France fut souvent la patrie des artistes étrangers. Et l'Algérie, son prolongement, le fut aussi avec la même générosité. L'admiration de l'Espagne pour la France, qui le lui rend bien, nous a valu l'installation de nombreux de ses enfants chez nous.

Goya n'est-il pas mort en 1828 à Bordeaux, où il vécut quatre années exilé ? On peut encore aujourd'hui parler de son influence visionnaire et tragique illustrant une époque en proie au maléfique et à l'horrible. II y a eu, depuis, " Guernica ", et l'on ne fut pas étonné de voir une génération de jeunes peintres espagnols se tourner vers Picasso.

La Catalogne, surtout, fut le creuset d'un art franco-espagnol où se mêlent les noms des sculpteurs Maillot et Manolo, de ceux qui ont fait le cubisme, révélé un F. Soutine à lui-même et vit naître un Miro, un Juan Gris, esprits aventureux par excellence.

L'Algérien originaire d'Espagne Rafel Tona est de ceux-là, comme le sont devenus les Sureda, Claro, Sanchez-Granados, Riéra, Figuerras, Pujol, Diaz, Pelayo et bien d'autres. Ils trouvaient en Algérie la présence dépouillée qui leur disait l'Espagne toute proche.

Fils d'un avocat catalan, grand admirateur de la Renaissance, Rafel Tona fréquenta tout jeune l'Ecole des Beaux-Arts de Barcelone, dans la classe de sculpture du maître Llimona, et jusqu'à vingt ans.

II partit pour Paris en 1923 et retrouva un ami, le sculpteur Pablo Gargallo (1881-1934). J'ai vu récemment, de ce créateur, au Musée d'art contemporain de Madrid, des œuvres aux formes finement stylisées.

Deux années de bohème s'écoulent, qui ne furent pas improductives. Tona a surtout " regardé ", découvert les courants nouveaux qui renouvelaient les arts, agitaient les milieux artistiques de cette période féconde.

L'art nègre, le pré-colombien faisaient fureur. Les grands maîtres du " cubisme " officiaient encore, les Braque, Picasso, André Lhote, Metzinger, Gleizes, Jacques Villon, La Fresnaye, Léger. C'est tout l'art présent que le cubisme amorçait et qui contenait en germe l'Abstrait.

Tona s'en revint à Barcelone, sinon transformé du moins bouleversé. II n'y tint qu'un an, pris du désir de s'expatrier et se promettant de se rendre en Afrique noire pour remonter aux sources de l'art nouveau. Il décide son camarade Figuerras à se lancer dans cette aventure et les deux compagnons débarquent à Alger en 1926, afin de trouver le navire en partance pour Dakar.

Mais Alger a son charme et ses sortilèges, et retient les deux voyageurs. C'était pour eux les " Mille et une Nuits ". Et quelle vie facile, quelles amitiés chaleureuses

Figuerras, peintre de talent, ne tarda pas à créer ce qu'il manquait à Alger pour les jeunes artistes, une académie libre qui, installée au 4 de la rue Burdeau, prit le titre de " Arts". Chacun y trouvait, pour une somme modique, local et modèle vivant, bibliothèque, salle d'exposition et lieu de rencontre entre artistes et intellectuels. Tona, codirecteur, y expose pour la première fois des bustes. Il fit quelques mois plus tard une importante exposition de projets d'affiches très remarquée, puis montra, en dehors de sculptures, des objets et panneaux de céramique d'un sens décoratif personnel.

Ce premier séjour à Alger lui avait permis de contracter de solides amitiés et c'est en compagnie des peintres Louis Bernasconi et Jean Lauze qu'il part s'installer à Paris, en 1929. II se convertit définitivement à la peinture au cours de ces années qui vont être riches d'expectative, de recherches, de contacts exaltants. II retrouvait à Paris de nombreux artistes espagnols en exil.

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Alger 1960 - Rafel Tona

En 1936, le drame de la guerre civile en Espagne le ramène à Barcelone, car il veut être auprès de sa famille. II fait de la décoration de cinéma, des illustrations et est attaché comme peintre à la Généralité de Catalogne.

II n'avait pas plutôt regagné Paris en 1939, qu'en 1940 il suivit l'exode tragique et s'en revint à Alger où il comptait tant d'amis.

Tona éprouvait à ce moment-là un besoin de stabilité après tant d'années de convulsions générales et de ballottements personnels. Et l'artiste encore jeune allait pouvoir le satisfaire en Algérie.

Son art était fidèle à la forme, aux masses, et il le restera. Il dérivait inconsciemment du cubisme, si l'on considère que le cubisme ne fut pas une école stricte. " II avait en lui assez de vitalité pour inspirer chacun des artistes et lui donner le moyen et le pouvoir de se développer à sa guise et selon son tempérament propre " (Jean Cassou dixit). Et il est un fait qu'après cinquante ans, on peut être troublé par les déductions que les jeunes tirent encore de cet "événement ".

C'est devant " Les Maisons à l'Estaque " (1908) de Braque, que Matisse prononça pour la première fois le mot " cube ", origine du mot " cubisme ". II y avait eu, en 1907, " Les demoiselles d'Avignon " de Picasso, d'où la double paternité reconnue à ces deux créateurs géniaux de cette sorte de sédition, de soulèvement subversif contre l'art académique.

Le thème de la guitare revient souvent chez les cubistes comme un " leitmotiv " et il apparaît souvent dans l'oeuvre de Tona, du moins à ses débuts. II fut choisi parce que réunissant un nombre harmonieux de courbes et de droites (" ce que la courbe est à la droite, le ton froid l'est au ton chaud ", écrit Gleizes).

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1978 - Collection particulière

Il y avait chez les premiers grands cubistes une volonté très organisée de restauration de la composition consciente des volumes, qui procédait de Cézanne ; ces volumes que l'impressionnisme, pendant quelque trente-cinq ans, et même le " fauvisme ", avaient dilués au point d'en supprimer la prééminence.

Voilà donc Rafel Tona réinstallé à Alger, se retrouvant comme chez lui. II révéla un tempérament de constructeur solide, la vision d'un univers architecturé et il reconnaît que le cubisme fut un de ses points d'appui par l'apport de ses rythmes. On le vit s'engager dans la voie de la couleur, cette primauté qui est à la base des plus fortes individualités de la peinture moderne. Plus que le dessin elle est une libération et " n'est jamais une question de quantité mais de choix ", a écrit Matisse. Ses rapports, ses résonances, sa magique puissance d'exaltation jouent un rôle primordial et procèdent de l'intelligence et de l'émotion de l'artiste.

A Alger, les maîtres Albert Marquet et Lucien Mainssieux, auxquels il conserve une grande admiration, l'encouragent. Tona se rend à Paris en 1946 faire une exposition chez Champion-Cordier, rue de La Boétie, avec son camarade algérois Louis Bernasconi. II y passe les années 1947-48, reforge des amitiés, retrouve le peintre Antoine Clavé, le sculpteur Fenosa, compatriotes exilés.

II revient à Alger, objet de ses premières amours, comme à un port d'attache qu'il ne va plus quitter. Ses expositions régulières nous montrent un art rigoureux, une émotion grave et profonde. La simplification des lignes ne fait que souligner l'intensité des couleurs, car sa palette s'est éclairée et tout s'ordonne pour que seul s'exprime l'essentiel. Ses " Maternités " rayonnent de vie, de recueillement. II applique une monochromie à des nus, une géométrisation des formes aux paysages, natures mortes, portraits. Un grand "intérieur" de 1950, dégagé de toute influence, porte bien sa marque personnelle.

Depuis, l'art de Rafel Tona s'est hautement affirmé. Le choix, le goût par la distinction des couleurs, président à ses recherches. Son postulat, aujourd'hui où il est arrivé à la complète maîtrise, est le suivant : " Le sujet étant le mobile, chercher à obtenir une satisfaction intérieure sans ordre préétabli, en organisant des masses qui s'harmonisent. "

Le " ténébrisme ", qui fut sa tendance première reparaît en sourdes harmonies de fond pour laisser chanter une matière nuancée aux tons précieux, à la sensibilité secrète. Et chaque fois la richesse plastique s'ordonne par la sobriété et le dépouillement.

Art austère, de réflexion volontaire et mûrie, qui dégage l'émouvante beauté de toute chose et qui fait de Rafel Tona mieux qu'un peintre d'Algérie, un artiste personnel.
Rafel Tona s'éteignit à Paris en 1987.

L.E. ANGELI

In l'Algérianiste n° 81 de mars 1998

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