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Leila Ben-Sedira

Écrit par Marcel Gamba. Associe a la categorie Musique

 

sedira
LEILA BEN-SEDIRA
 
(LA VOIX RESSUSCITÉE)

" Son nom ? Je me souviens qu'il est doux et sonore
Comme ceux des aimées que la vie exila...
Et pour sa voix lointaine et calme et pure, elle a l'inflexion des voix chères qui se sont tues..."

 

Paul Verlaine

 

La voix de soprano colorature " lointaine et calme et pure " de Léïla Ben Sédira algéroise " que la vie exila ", s'est tue il y a tout juste dix ans à Paris.

Mais, miracle de l'amitié fidèle qui se souvient et continue l'œuvre, et miracle de l'électronique qui extrait, comme un diamant, une voix pure d'une gangue de bruits parasites de vieux disques rayés, les chants de Léïla nous sont restitués, intacts, sur " compacts-disques " avec la lointaine orchestration de l'époque. Epoque des " années folles " de l'entre-deux-guerres où Léïla, pas folle elle, fut à la fois cigale par son chant, et fourmi par son travail acharné qui a permis d'engranger des joyaux de l'art Iyrique.

Son nom " doux et sonore comme ceux des almées " des légendes orientales évoque la nuit (Léïla), nuit reposante, douce, étoilée d'Afrique ou d'Orient et le merisier (Sédira) aux fruits un peu acides, mais si parfumés et aux fleurs nacrées qui illuminent le printemps. Ce nom, elle le tient de son grand père: Belkacem Ben Sédira professeur à la faculté d'Alger, lexicologue à qui l'on doit, entre autres, une grammaire franco-arabe qui fit autorité. Ce grand père lui a légué un nom et du sang arabe mais aussi l'admiration de la civilisation française et l'amour de l'art occidental concrétisés par des alliances familiales d'origines multiples. Il en résulte que Lélla est comme elle se plaisait à le dire elle-même, une " quatre-quart ". Comme le bon gâteau de même nom, elle mêle harmonieusement le sang, les cultures, les influences, les particularités des composants: arabe, français, italien et alsacien.

Née en 1902 à Alger, dans cette famille éclectique, la baguette qui orienta sa jeune destinée ne fut pas celle d'une bonne fée, mais celle d'un enchanteur: Camille Saint-Saens, ami de la famille, qui séjournait souvent à Alger à cette époque. Ainsi, I'on a pu voir le maître septuagénaire, au sommet de son art et de sa gloire, se pencher sur cette gamine douée pour lui inculquer la science musicale et l'amour de l'art en lui donnant ses premières leçons de piano. Ces leçons durent être bonnes puisqu'elle n'a pas dix ans lorsqu'elle put se produire en soliste. Sa voie semble toute tracée. Précoce disciple de la muse Euterpe, elle se consacrera à la musique. Avec l'esprit perfectioniste qui est dans sa nature, dès dix-sept ans elle gagne Paris où elle est admise au Conservatoire national. Là, dans la classe de Lazare Lévy elle travaille avec une obstination et une ferveur qui lui valent l'amitié du maître. Au terme d'un cours, par amusement, elle lui chante " Amarilli " (un air de Caccini).–" Quand on a la voix que vous avez, ma petite, ce n'est pas le piano que l'on apprend, mais le chant ". s'écrie-t-il ! surprise, elle attendra quelques années pour mettre ce conseil en pratique. Sa voix naturelle, facile et maîtrisée, nécessite, contrairement au piano, peu de travail. Cela la surprend. Mais sa sérieuse formation musicale lui donne une base solide sur laquelle elle pourra s'appuyer tout au long de sa carrière.

Elle sollicite une cantatrice qu'elle admire, Claire Croizat. "–Mais je n'ai rien à vous apprendre–s'entend-t-elle dire–vous êtes prête ! "

Confortée, elle auditionne en septembre 1928 devant Louis Masson co-directeur de l'Opéra-Comique. L'engagement est immédiat. Après une période de répétitions intensives, elle débute sur scène le 4 avril 1929 dans le rôle d'Olympia des " Contes d'Hoffmann ". C'est un triomphe, suivi de bien d'autres. Elle sera Barberine des " Noces de Figaro ", Rosine du " Barbier de Séuille ", auprès d'André Baugé, puis de Féodor Chaliapine. Mais son rôle fétiche, qui la consacrera grande vedette, est Lakmé (de Gondinet et Gille, musique de Léo Delibes), qui semble avoir été écrit pour elle dont la pointe d'exotisme de son origine convient à merveille à une action qui est censée se passer aux Indes. Elle en sera tout naturellement l'interprète rêvée pour la 1000e de cet opéra-comique le 13 mai 1931. Son succès auprès du public, comme de la critique, est considérable. On lui propose de nombreux rôles. La province la réclame. Les capitales étrangères aussi. Au Caire elle sera... Léila... des " Pêcheurs de Perles ", puis Mireille en 1934.

La Seconde Guerre mondiale marquera l'arrêt de ses représentations scéniques. Mais sa carrière se poursuivra jusqu'à la fin des années 50. Elle se conacrera aux concerts, à la radio et aux disques. Avec les meilleurs orchestres, auprès des solistes les plus prestigieux. Elle se produira en Italie, en Suède, en Grande-Bretagne, en Suisse, et bien sûr à Alger où elle revint en vedette confirmée. Son activité est intense, son répertoire très étendu couvre cinq siècles de musique et de chant, et touche toutes les écoles européennes. Elle travaille aussi avec, et pour les compositeurs de son époque: Albert Roussel, Manuel de Falla, Arthur Honegger, Henri Sauguet, Pierre Capdevielle, et bien d'autres. Mais elle ne se contente pas d'être le rossignol qui charme, ou la cigale insouciante. Dès 1936 elle rejoint Claude Crusard et son ensemble orchestral " Ars Redivivia " qui, poursuivant les recherches de Nadia Boulanger, font revivre les musiques anciennes françaises et étrangères des XVlle et XVllle siècles. Si le répertoire " baroque " est actuellement si répandu, nous le devons à ce travail où la curiosité intellectuelle s'allie à une grande culture musicale et scénique. Léila Ben Sedira enregistrera cantates, madrigaux, ariettes et autres airs de Scarlatti et de Monteverdi. Elle conacrera la dernière partie de sa vie à l'enseignement, consciente du devoir de transmettre son savoir et l'acquis d'une longue pratique de son art. En particulier elle aura la faculté, rare chez les voix naturelles, d'analyser son propre placement vocal. Et aussi de poursuivre les recherches qu'elle avait entreprises tant sur la culture et la formation vocale, que sur la sauvegarde du patrimoine Iyrique français et mondial.

Elle meurt à Paris le 1er juin 1982 et repose au cimetière de Saint-Nom-laBretèche, loin de son Alger natal, après une longue vie consacrée à la musique et à l'art Iyrique. Elle restera l'exemple le plus évident de ce qu'eût pu être son pays (et notre pays) I'Algérie, par l'option d'une intégration réussie, faisant, comme en la personne de Léïla Ben Sédira, I'amalgame de ses diverses origines, de ses diverses cultures, volontairement tournées vers le beau et le bien, permettant d'être " plus que vivante, heureuse ", suivant la citation de Louise Labé que rappelle José Pons.

Une telle personnalité ne pouvait susciter qu'admiration et amitié; et une telle œuvre ne pouvait rester sans lendemain. C'est pourquoi, à l'initiative d'amis et d'anciens élèves de Léïla Ben Sédira s'est créé une association dénommée tout naturellement " La Sédira " (40, rue Godefroy Cauaignac–75011 Paris).

Les buts de cette association sont, tout d'abord de perpétuer son œuvre et sa mémoire. Pour cela un centre de documentation et de recherches qui engrange tous documents de toutes natures concernant I'art Iyrique. Ces archives sont mises à la disposition des membres de " la Sédira " et de toutes personnes faisant des recherches sur l'art musical et Iyrique. D'autre part " la Sédira " a formé une " Ecole de chant " qui dispense une formation complète à de futurs professionnels conformément à l'enseignement de Léila Ben Sédira.

Enfin " La Sédira " anime spectacles et manifestations, conférences et concerts qui reflètent les travaux du centre de recherche et a permis la sortie de deux " compacts disques " qui reprennent les succès les plus marquants de la carrière de Léila Ben Sédira, gravés sur des 78 tours devenus introuvables.

MARCEL GAMBA

   in L'Algérianiste n°61 de mars 1993 p.99

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