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La troupe de Radio Alger

Écrit par André Limoge. Associe a la categorie Autres Arts

LA TROUPE DE RADIO ALGER

S'il y eut une radio dont l'influence artistique fut considérable sur le public ce fut bien celle d'Alger dans les années de l'immédiate avant guerre, jusqu'à l'arrivée de la télévision en Algérie en 1957 et même bien au-delà.

Durant les dernières années de la présence française les studios se répartissaient entre ceux situés rue Berthezène, dans les locaux du Gouvernement général, destinés aux émissions en langues arabe et kabyle, et ceux situés rue Hoche qui abritaient les émissions en langue française jusqu'en 1962.

Mais cette partition ne s'est faite qu'en 1943 et jusque-là les émissions en français partaient de " Berthezène ", studio installé dès 1930 dans le bâtiment du Gouvernement général.

C'est donc là qu'est née véritablement la troupe de Radio-Alger.

Les premières diffusions de dramatiques se situent aux alentours des années 1934-35.

Une quinzaine de comédiens, au cachet, constituent cette première troupe dirigée par Alec Barthus.

Personnage tout de rondeurs, d'esprit, de culture, rabelaisien, jouisseur de bonne chère, amateur d'art, bourré d'imagination et d'idées, Alec Barthus sut percevoir dans ces années en creux intellectuel le mirage que pouvait représenter la dramatique Radio.

Dans une Algérie où la vie culturelle est réduite, hormis la capitale bien entendu, la soirée Théâtre deviendra très vite incontournable.
Faut-il reprendre la belle image du cheminement qu'il était possible de faire de seuil en seuil, de fenêtre en fenêtre, ouvertes sur les tièdes soirées méditerranéennes, en suivant le déroulement du " Drame ou de la Policière " ?

Cette troupe naît donc dans les années qui précèdent la guerre de 1939.

Sous l'impulsion du bouillant Alec Barthus, elle sort quelquefois des studios de la rue Berthezène pour une tournée en Algérie.
Le jeune Albert Camus se joint alors à l'équipe : c'est ainsi qu'il interprète le rôle de Gringoire de Théodore de Banville aux côtés de deux comédiens de la Troupe qui restent ses amis : Renée Audibert et Géo Wallery.

Durant les années de guerre, la troupe s'enrichit de la présence forcée à Alger de personnalités théâtrales de premier plan de la scène française qui, retenues en Afrique du Nord à l'occasion de tournées ou voyages, appuient de leur prestige ce théâtre radiophonique.

Cela est notamment le cas de Françoise Rosay et Lucienne Lemarchand qui, succédant à Alec Barthus, ont toutes deux une influence sensible et sur le répertoire et sur le jeu des comédiens.

C'est aussi l'époque où la troupe d'expression française quitte définitivement les studios de la rue Berthezène pour s'installer au 10, rue Hoche, dans le centre ville d'Alger où elle se produira jusqu'en 1962.

La programmation de Radio-Alger, comme celle de la plupart des stations métropolitaines, est constituée de

-comédies tirées du répertoire de boulevard de l'entre-deux-guerres
-Marcel Pagnol, Marcel Achard, André Roussin, Henry Bernstein, Edouard Bourdet, Georges Neveux, etc.
-de grands mélos tels " les Deux Orphelines " ou " la Porteuse de pain ", etc...
-de classiques en vers ou en prose, du répertoire français
-" L'Avare " " les Femmes Savantes " " le Misanthrope ", etc...
-et de quelques oeuvres écrites spécialement pour la radio, mais rares encore jusqu'aux années 1950.

Cependant l'Algérois d'adoption Gabriel Audisio ou l'Oranais Emmanuel Roblès voient leurs oeuvres créées sur les ondes d'Alger et ne dédaignent pas de visiter la troupe à cette occasion.

La presse quotidienne régionale se fait l'écho des diffusions les plus marquantes et la critique d'" Alger Républicain ", Yvonne Lartigaud, est particulièrement redoutée, de même que celui de l'" Echo d'Alger " qui signe " Audio ".

Dès la fin de la guerre la troupe de Radio-Alger connaît son apogée sous l'autorité d'un grand directeur et acteur : Georges Portal qui, présidant à la programmation et à la direction des comédiens, marquera fortement sa présence durant une dizaine d'années.
Une équipe solide de comédiens professionnels se renforce autour de lui :

Renée Audibert, Paule Granier, Laure Senty, Huguette Eymard, Eliane Gauthier, Catherine Georges, Paulette Gervais, Geneviève Fiori, Jean Glénat, Max Roire, André Lesage, Géo Wallery, Edmond Lliorel, Marcus Bloch, Roger Piquard, Charles Amler, André Fouché, Roland Valade, Clément Bairam, Charles Mallet.

Le rythme de diffusion est de deux dramatiques par semaine. La diffusion s'effectue souvent encore en direct jusque dans les années 55.

La troupe sédentaire ne chôme donc pas car à ces huit séances " dramatique " hebdomadaires s'ajoutent dans les années 50, une "policière " inédite dont le succès fut inouï auprès du public : La policière du dimanche soir devient très vite l'événement. Et chacun de se passionner pour les aventures de l'inspecteur Pluvier, sorte de Maigret algérois, qu'incarnera un remarquable comédien :
Marcus Bloch.

Ces années de 1945 à 1960 sont les plus belles pour la Troupe qui jouit d'un véritable prestige auprès du public.
Les " auditeurs " attendent l'interprétation toute de gouaille de Max Roire, d'autorité de Renée Audibert, de distinction d'André Lesage ou de finesse de Laure Senty...

A Georges Portal succèdent Georges Allehaut et enfin Pierre Héral jusqu'en 1962.

C'est Pierre Héral qui prend l'initiative de renforcer la troupe de quelques comédiens parisiens venus en saisonniers apporter un air nouveau :Robert Party, Marcelle Duval, Marcel Lemarchand, Pierre Comte, Pierre Bonzans, Laure Diana, Pierre Plessis entre autres ; cependant que la naissance de la télévision à Alger, en 1956, permet l'emploi en radio de comédiens venus jouer quelques jours pour une dramatique en direct à la télé. Les comédiens de France V ont ainsi pour partenaires : Ginette Leclerc, Jean Marchat, Annie Ducaux, Jean Veber, Madame Simone, Renée Saint Cyr, Valentine Teissier.

Le répertoire traditionnel s'enrichit alors tout naturellement de l'écriture radiophonique des années 50-60 et subit l'excellente influence de la direction de Paul Gilson aux programmes, à Paris.

Les feuilletons spécialement conçus pour la Radio, tels ceux écrits par Mme Liliane Thorpe, ont un succès énorme auprès du public : Jean Veber en est l'interprète à plusieurs reprises.

La réalisation des dramatiques est assurée par le seul metteur en ondes sous contrat Paul Ventre et par des comédiens de la station : Renée Audibert, Géo Wallery, plus tard Max Roire et André Lesage.

Ces deux comédiens - vedettes de la Troupe - assument progressivement avec talent de plus en plus de réalisations jusqu'en 1962.
Durant ces années 55-60, Pierre Héral est chef des services artistiques alors que Jacques Bedos assume les " variétés " et qu'à ce titre il choisit les textes des " policières " (écrites par un policier d'Alger et par un employé de l'Electricité et Gaz d'Algérie ") ; il les réalise souvent lui même ou les confie aux réalisateurs déjà cités.

Jacques Bedos a été en Algérie puis en France chez Polydor, un prodigieux découvreur de talents dont l'histoire devra être écrite.
Les émissions littéraires ont un responsable prestigieux : José Pivin. Pivin a été, en Algérie, " l'inventeur ", au sens archéologique du terme (celui qui découvre), des émissions pour enfants : durant des années, avec son épouse Polène, il conçoit des centaines d'émissions, entièrement écrites chaque semaine par lui même et interprétées en direct par une bande de jeunes comédiens en herbe, bourrés de talent.

L'équipe était complétée par un trio de musiciens malicieux improvisant en permanence en direct sur le texte : Martial Ayela, Henri Riera, Michel Gésina.

Dans les années 1955-60 la dramatique reste encore l'élément de prestige de la station de Radio.

Après le disque dur, elle est maintenant enregistrée sur bande magnetique en 38 cm/seconde.

Les comédiens évoquent avec nostalgie cette émotion du direct que jamais l'enregistrement et ses multiples reprises ne donneront.
L'équipe sédentaire reste quasiment la même jusqu'à l'indépendant de l'Algérie.

Quelques réalisateurs viennes passer une saison à Alger : c'est cas de Bernard Latour, plus tard de Claude Chebel.

La guerre d'Algérie a elle aussi une conséquence sur la composition de la Troupe, comme l'avait fait guerre en 1940 : la présence de jeunes comédiens, militaires du contingent, qui apportent leur talent à l'équipe des routiers chevronnés que sont les permanents. C'est le cas notamment de Dominique Paturel, de Michel Aumont, de la Comédie Française.

La tourmente de 1962 disperse une équipe d'acteurs liés entre eux et par vingt-cinq années d'amitié, de complicité, de talent.
Aucune archive sonore ne semble subsister de cette période importante de la vie algéroise. Mais leurs voix demeurent dans les mémoires et, pour certains d'entre nous qui ont suivi leur chemin ou qui professent, ils restent un exemple.

André LIMOGE
Réalisateur Radio (Promotion 1968)
Professeur au Conservatoire de Bordeaux

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