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Les leçons de l'oasis et du désert

Écrit par Pierre Grenaud. Associe a la categorie Autres Arts

Les leçons de l'oasis et du désert


Eugène Fromentin « Lisière d'oasis pendant le siroco ».



« II faut compenser l'absence par le souvenir. La mémoire est le miroir où nous regardons les absents... ».

(Joubert)


Oasis-Désert, deux scènes aux dessins et aux destins dissemblables, qui s'op­posent comme pour mieux faire apprécier la douceur de l'une et regretter la rudesse de l'autre. Comme si dans un Sahara figé, souvent cruel, un « endroit désolé, consumé de soleil », le jugeait Fromentin en connaisseur, il était indispen­sable qu'à sa rigueur et à son dépouillement se substituât la douceur d'un refu­ge où les fatigues se déposent afin de permettre aux errants de retrouver les Forces et les joies de la vie.

Après le silence que la solitude des régions désertiques lui impose, le nomade peut bénéficie de la quiétude de l'oasis sous les palmiers au bruissement léger comme un clapotis de vagues, les palmiers aux stipes distingués, loin des grandes rafales du vent irritant des sables.

Repos des corps et des esprits, l'oasis assure la tranquillité et la stabilité après le parcours d'un Sahara où l'on passe sans laisser de traces. Il n'en est pas moins une récompense pour les ascètes avides de cette « solitude sainte » qu'évoquait Vigny et souvent fertile en inspirations.

Ici, tout se prête à la rénovation dans une harmonie de sentiments pour une détente au contact d'êtres prêts à faciliter votre besoin de délassement. S'il exis­te une loi de l'0asis comme on parle de la loi de la jungle, elle se base sur la per­manence de l'affabilité de ses habitants traduite par l'aimable accueil d'un « Dif Allah ! », « Vous êtes l'hôte de Dieu ».

Au pied de l'Aurès et de ses ravins sauvages, l'Aurès dominé par l'Ahmar Khaddou, la joue rouge teintée de mauve au soleil couchant, majestueux comme un Mont Sinaï, les oasis des Ziban que la guerre parfois, la littérature souvent ont évoquées, invitent au repos. Il faut bien les connaître pour signa­ler leur félicité, avoir partagé leurs travaux pour goûter leurs dattes ambrées, nourriture et bienfait des « terres de soleil ».

De Sidi Okba, nom prestigieux de l'Islam jusqu'aux oasis du Djerid, de l'Aurès avec ses

« guelaas » (l) berbères jusqu'au Souf cerné par les sables et de Tolga à Touggourt où Temacine à la célèbre « Zaouia » (2) évoque la spiritualité, Touggourt et son Tombeau des Rois qui se détache sur l'épure désertique, par­tout se renouvelle la leçon de l'oasis dans le recueillement d'une vie primitive préservée de l'agitation moderne que l'homme des villes enfiévrées, à certaines heures, a besoin d'oublier.

Plaque tournante des oasis du Sud Constantinois, Biskra qui se glorifie du cardinal Lavigerie, forte de la présence de ses Sœurs Blanches, petites alouettes de la charité et de la santé, salutaire grâce à son hôpital et à son ouvroir, petite cité à l'image des sous-préfectures françaises, traversée par un oued aux crues subites, est la ville du négoce des dattes. C'est aussi un centre touristique qui attirait au début du siècle ceux qui venaient soigner leurs rhumatismes à la petite station thermale aux eaux sulfurées du Hammam Saladine située à 7 km du centre de la ville. de Biskra, lieu de prédilection des ache­teurs de dattes venus du Midi de la France rivalisant avec les Arabes du Souf et du Mzab (Ghardaïa) austère, le voyageur peut rayonner vers le sud et l'est, vers El-Oued avec ses cou­poles blanches au-dessus des sables creusés d'entonnoirs d'où les palmiers à la recherche de l'eau sortent comme un bouquet d'un vase.


Georges Le Poitevin " La Grande Place - Touggourt "

grenaud3-Joseph-peyreD'El-Oued où demeure le souvenir d'Isabelle Eberhardt, la nomade nostalgique, qu'elle décrivait « telle une ville enchan­tée des siècles envolés de l'Islam primitif, comme une perle enchâs­sée dans cet écrin de satin vaguement nacré qu'était le désert », à travers les dunes ou par la voie ferrée jalonnée par les grandes oasis de M'raier et de Djama, on gagne Touggourt, terminus du rail. C'est la dernière halte avant l'entrée dans le Sahara d'où le regard peut errer vers les horizons qui portent les noms d'aventures et de légendes, Hoggar, Fezzan, Tibesti là où, dans la joie d'œuvrer, se distinguèrent les destins de Duveyrier, Charles de Foucauld, Foureau et Lamy, Lhote, Frison-Roche, comme aussi dans le drame de Flatters et de sa mission sacrifiée.

grenaud4 ane d or Les oasis des Ziban, celles du Souf et de l'Oued Rhir puis, vers l'est, après Zeribert el-oued et Negrine rouge et verte, les oasis tunisiennes de Nefta et de Tozeur sont les lieux d'élec­tion du palmier dattier aux dattes deglat nour ou « doigt de lumière », dattes aux « gaines longues gorgées d'un suc de miel » confiserie naturelle et récompense après l'effort des méharées si lentes et somnolentes qu'elles finissent par être épuisantes.

Par contraste, le Sahara propose dans un cadre plus vaste bien que figé et grave, âpre et souvent insensible, un lieu de réflexions pour celui qui cherche à fortifier sa personnalité, à s'élever hors des contraintes et des servitudes des existences encombrées.

Avoir séjourné au désert, s'être initié à son rythme et à des rites, l'avoir senti vivre dans sa simplicité ou dans la violence de l'harmattan aux grandes orgues venteuses et déchaînées, cela crée des attaches d'une fidélité trop belle pour être oubliée. Comment ne pas l'apprécier en dépit de sa rigueur puisque Théodore Monod, le « chercheur d'absolu » nous révèle « la leçon du désert, son épure, son chant du silence », une réserve de spiritualité. S'il attire les ascètes, le Sahara autrefois « le désert parfait » rejette les fantaisistes et les fre­luquets. Nul endroit ne convenait mieux pour illustrer l'Escadron blanc (1931) de Joseph Peyré, né d'un fait réel autant que de l'imagination de l'auteur conquis par ces horizons qui, à l'époque, enflammaient les esprits de jeunes criards avides d'épopée.

grenaud5 Flaubert salommboSi on ne pénètre pas dans le désert comme on entre en religion, c'est cependant avec la même ferveur en y apportant son dynamisme dont on récolte rapide­ment les effets salutaires. Ils sont complémentaires des joies que procure aux âmes fortes l'appel des « terres de soleil et de sommeil » qu'évoquait Psichari le Centurion, l'auteur des Voix qui crient dans le désert, Psichari le petit-fils de Renan « lourd de pensée et de génie », disait-il de son aïeul. Sur de pareils pay­sages, il est permis d'échapper aux « idéologies creuses » que dénonçait Théodore Monod, un saint laïc du Sahara son diocèse.

Jardin des dieux plus que celui des djinns à la présence redoutable que chantait Victor Hugo, le Maghreb a toujours attiré les imaginations occidentales et créé des situations, des représentants aussi de ces « frissons d'Orient » que recher­chaient des écrivains plus civilisés.

Le registre de cette littérature d'évasion, riche d'humanité, se montre varié, de L'Âne d'or d'Apulée à la Salammbô de Flaubert, la femme au nom de rêve avec le bruit de la chaînette d'or qui, entre ses chevilles, réglait ses pas lorsqu'elle apparaissait majestueuse en dominant l'orgie des Mercenaires. Plus chatoyan­te se découvrait ‘’La fête arabe’’ des Tharaud familiers de l'islam dans l'oasis de Biskra où nous recoupons les voies de la disponibilité gidienne et où l'immoraliste vit le jour.

Là aussi, face à l'Aurès aux teintes changeantes, nous retrou­vons les impressions d'un Samain recueillant sur ce pochoir céleste les tons pastellisés de sa poésie. Car elle est prenante, puissante d'inspiration la terre où Pierre Louys compose cer­taines de ses Chansons de Bilitis et où Magali Boisnard la romancière de Maadith et la poétesse des Rimes du Bled avait élu domicile, ayant eu le privilège de prélever dans une double culture la mesure d'un délicat talent.

Le picaresque a déserté le sol nord-africain. Ses héros n'en demeurent pas moins typiques de la vie et des hommes qui se plaisent au pays des dissemblances.

Le Cagayous de Musette symbolise l'enfant de la rue, « anti­tout » attachant avec ses blagues, son franc-parler, son ironie, lui pour qui « le monde c'est plein d'andouilles ! ». Voilà ! La famil­le Hernandez n'a plus de descendants, comme Pépète le Bien-Aimé et Cassard le Berbère n'ont existé que le temps de la géné­ration de leurs auteurs. Avec l'Atlantide de Pierre Benoit nous n'aurons vécu qu'un instant d'évasion, comme Tartarin ne pouvait faire qu'une escale pour montrer un courage lyrique plus à l'aise sous le ciel méditerranéen.

Il importe de tourner cette page devant le spectacle d'une africanité en marche, d'une Algérie aux prises avec un drame national, une lutte fratricide qui laissera des traces douloureuses dont il faut espérer que les résonances disparaissent rapidement.

Une fraternité retrouvée, salutaire après tant de déchirements, n'est-ce pas le vœu de ceux qui ont passé des décennies sur ces terres où un alliage d'efforts et de valeurs, le fameux « syncrétisme méditerranéen » aurait dû profiter à tous. Chère Algérie, toujours traumatisée, il lui faut se réconcilier avec elle-même afin de mériter un équilibre fructueux. Saint-Exupéry avait raison de prêcher la solidarité en affirmant: « La grandeur d'un métier est avant tout d'unir des hommes: il n'est qu'un luxe véritable, c'est celui des relations humaines ». Être solidaire des hommes qui souffrent, est un impératif de la vie sociale afin d'assurer le bien-être de tous.

S'il est permis de personnaliser un sujet qui vous tient au cœur, c'est en raison des rencontres d'hommes présents sur la scène nord-africaine à laquelle ils ont apporté un message et accordé quelques bienfaits.

Avoir bénéficié à l'université d'Alger de l'enseignement du brillant professeur Gautier est une joie et une récompense. Bien que peu connu en France en dehors de certains cercles intellectuels, Emile Félix Gautier méritait la renom­mée que lui valaient ses ouvrages tels Les Siècles obscurs du Maghreb, Mœurs et coutumes des musulmans, Genséric roi des Vandales, La Conquête du Sahara qui constituent une bible indispensable à ceux qui cherchent à découvrir et à com­prendre l'Afrique du Nord.


René Tourniol " Marché à El-Oued "

Ne l'aurait-on rencontré qu'une fois, un Conrad Kilian laisse un souvenir inou­bliable, tant ce géologue génial, découvreur du pétrole du Sahara, un pactole sous les sables, se révélait une personnalité hors pair, « explorateur souverain » comme il se dénommait, suivi de son écuyer Banneret, porteur de sa bannière « Avec Kilian toujours vivant », attitude d'un mégalomane qui faisait sourire mais qui lui semblait indispensable afin d'assurer à la France sa puissance et son indépendance énergétiques. Le « fou du désert », trop fou de son métier et qui, à une nation cherchant à obtenir à tout prix ses services, avait déclaré qu'il était français et n'était pas à vendre, devant payer de sa vie l'exclusivité de ses recherches et de sa volonté de gagner.

Sans aucun doute, voilà qui crée des liens lorsqu'au couchant de sa vie, il ne reste que le duvet des souvenirs afin d'amortir certains heurts et oublier quelques déceptions du passé avec leurs irritants frissons... Certes, il entre un peu de volupté à mitonner ses souvenirs. Ne serait-ce pas cependant un moyen même limité et éphémère pour permettre de conjurer les attaques du temps, afin d'éviter aussi, les servitudes et les obsessions de la vieillesse et parfois son naufrage ?

 

1 - Guelaas : grenier de l'habitation berbère.

2 - Zaouia: siège d'une confrérie religieuse.


In « L’Algérianiste » n°123


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