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Connaissiez-vous Marie Cuttoli?

Écrit par Yves Naz. Associe a la categorie Autres Arts

 

 

Lorsque je pose cette question à d'anciens. Philippevillois, je n'obtiens que des réponses négatives. Certains, à la rigueur savent que leur ancien sénateur-maire avait été marié. Les résultats ne sont pas meilleurs à Aubusson, ville où pourtant elle a eu une influence réelle sur la vie de la cité. C'est que Marie Cuttoli ne souhaitait pas être connue : modeste, elle a réussi à être ignorée du grand public. Et pourtant...

Marie Cuttoli, née Bordes, a vu le jour à Tulle le 8 novembre 1879. Son enfance, son adolescence restent obscures. Même ses proches semblent ne pas connaître sa jeunesse. Elle réapparaît dans l'état civil en 1907: cette année, elle épouse à Paris un préfet nouvellement en retraite, Jean-Baptiste Planté. Remarquons que celui-ci fut préfet de Constantine de 1902 à 1905. Le couple se sépare et, en 1920, Marie se remarie, toujours à Paris, avec l’avocat qui avait défendu sa cause lors du procès en divorce, Paul Cuttoli.


Né en 1864 à Alger, celui-ci est un homme brillant, excellent orateur; déjà conseiller général de Biskra, il devient député de Constantine. Il sera plus tard sénateur-maire de Philippeville. Radical-socialiste, il est un des membres les plus éminents de son parti et présidera l’assemblée constituante à la Libération.

Marie Cuttoli - elle tiendra à garder ce nom jusqu'à sa mort est donc amenée à rencontrer le Tout-Paris politique où elle pourra jouer de ses relatons dans certaines circonstances. Mais c'est un autre milieu qu'elle préfère, celui du monde des arts. D'abord professionnellement, puis amicalement, elle reçoit et fréquente tous les artistes que l'on groupera dans l'École de Paris : Braque, Dufy, Léger, Lurça, Miro, Picasso, et Rouault entre autres.

 

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Marie Cuttoli devant le :
« Le nu sur fond rouge »
( Fernand Léger. 1927)

En 1920 elle ouvre un atelier de haute couture rue Vignon; elle en fait réaliser les broderies en Algérie (à Alger). Attirée par la peinture - et par tout ce qu'elle juge « beau » elle se constitue progressivement une collection de toi1es modernes; elle encourage les

Elle décède en 1973 et elle est inhumée à Simiane-la-Rotonde dans les Alpes de Haute-Provence. Elle était officier de la Légion d'honneur.

Connaissiez-vous Marie Cuttoli ? Sans doute pas, ou mal, et pourtant cette personnalité à « l'extraordinaire créativité Mais le rôle de catalyseur de Marie» ne mérite pas de tomber dans l'oubli.

artistes qui vont révolutionner l’art en cette première après-guerre; généreuse, elle les expose dans ce qui devient la galerie. Myrbor. Elle s’intéresse aux tapis d'art; elle en fait réaliser en Algérie a Bel Air, près de Sétif, où elle a incite une de ses nièces à ouvrir un atelier. Rapidement elle imagine de faire travailler sur des cartons dessinés par des peintres modernes; ainsi jean Lurçat est-il à origine de l'un des premiers tapis. Ces œuvres rencontrent le succès et particulièrement a l'étranger. Dans le même ordre d'idées, elle pousse son mari à ouvrir des «écoles de tapis» où les jeunes Algériennes se formeraient plus méthodiquement au tissage. Dans le complexe, « l'Artisanat » (1932) a Philippeville, prend place une école de tapis où l'on trouve encore aujourd’hui un « atelier Myriem Cottoli ». A propos, Myniem est l’équivalent en arabe de Marie... et c est ainsi que son époux a baptisé la magnifique villa qu'il a fait construire route de Stora du haut; on la nommait à Philippeville le « Château Cuttoli ». Entourée d’un parc, dotée d'une vue exceptionnelle sur le golfe de Philippeville décorée avec un goût sûr, elle permettait de recevoir des artistes comme Dufy qui laissa à ses hôtes de ravissantes aquarelles inspirées par les paysages de la région. Paul Cuttoli est un bâtisseur; il transforme sa ville: des bâtiments publics sont édifiés, notamment un hôtel de ville (1933) de style néo-mauresque; Marie aide son époux a acquérir des œuvres d'art: le bureau du maire devient une véritable salle de musée avec entre autres six Utrillo, un Renoir, un Dinet, un Domergue, un Noiré... Le sénateur-maire n'a pas toujours les mêmes goûts que son épouse et il lui est arrive de lui dire avec sa gouaille habituelle : « Ne perds pas ton temps avec ces barbouilleurs! ». Pourtant il accepte d'accueillir des débutants comme José Ortéga dont l’installation « d'une école de dessin et de peinture » à Philippeville est facilitée.

Elle décède en 1973 et elle est inhumée à Simiane-la-Rotonde dans les Alpes de Haute-Provence. Elle était officier de la Légion d'honneur.

Connaissiez-vous Marie Cuttoli ? Sans doute pas, ou mal, et pourtant cette personnalité à « l'extraordinaire créativité Mais le rôle de catalyseur de Marie» ne mérite pas de tomber dans l'oubli.

 

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Paul Cuttoli

 

Encore... Marie Cuttoli dote la salle du conseil municipal de trois tapisseries, deux reproductions de tableaux de Delacroix : « Femmes d'Alger en leur appartement », « Dante et Virgile aux enfers » et une originale « L’entrée du général Négrier à Philippeville en 1838 ».


La tapisserie, elle s'y intéresse dès les années vingt. Après sa période tapis, elle s'oriente vers la tapisserie. Elle en fait réaliser à Beauvais et à Aubusson. Elle se rend compte que les sujets ou les motifs reviennent sans aucun renouvellement, ce qui explique le déclin de cet art en général et celui des ateliers de la ville d’Aubusson en particulier. Elle veut relancer la tapisserie en choisissant des sujets issus d'œvres modernes; dans ce but elle sollicite ses amis, peintres contemporains. Les réticences sont vives, autant de la part des lissiers que des peintres. Ainsi Rouault n'accepte-t-il qu’avec défiance, de confier une de ses œuvres, « Les fleurs du mal ». Marie Cuttoli exige un respect absolu des nuances; aussi les lissiers sont-ils amenés à utiliser parfois juqua trois à quatre cents couleurs différentes. Rouault est stupéfait du résultat et déclare que, pour la première fois, une reproduction d'un de ses tableaux est réellement fidèle. Outre ce peintre, Braque, Léger, Lurçat, Matisse, Picasso, entre autres, acceptent de collaborer avec Marie Cuttoli Naissent ainsi par exemple « Composition aux trois figures » de Léger en 1932, « L'orage » de Lurçat en 1933, « Tapisserie » de Braque, « Papeete » de Matisse et bien d'autres. Elle se rend régulièrement dans la Creuse, commande, recommande, propose, conseille, convainc, anime. Très active, elle organise des expositions à Bruxelles, à Londres, a Chicago, à NewYork.

Le succès couronne son infatigable activité, mais Lurçat qui l’accompagne depuis les débuts de la maison Myrbor entre en contestation.

L'abondance des couleurs ralentit le travail des lissiers et renchérit le prix des ouvrages. En outre il estime, avec quelque raison, que peinture et tapisserie relèvent de techniques différentes, que les peintres doivent tenir compte, quand ils conçoivent leurs cartons, des contraintes propres à la tapisserie...

 

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Dufy, « Hôtel de ville de Philippeville »


De là naît une brouille qui va séparer Marie Cuttoli et jean Lurçat.

Mais le rôle de catalyseur de Marie Cuttoli est reconnu unanimement. Elle écrit: «. Je poursuis depuis dix ans, un effort persévérant pour constituer une école moderne de tapisserie. Tout en m’appuyant sur ces traditions anciennes dont sont imprégnés les artisans de notre pays qui fut le berceau de l’art de la tapisserie au Moyen-âge, j'ai désiré mettre cette immense richesse traditionnelle au service de l'art le plus vivant, le plus audacieux, le plus porté vers les richesses d'avant-garde ». Dès les années trente, elle jouit d'une grande considération à l'étranger comme en France; elle conseille au Louvre, on sollicite ses suggestions pour la décoration du Normandie; elle est consultée en experte aux USA; en Angleterre on a dit d'elle qu'elle était « la plus grande autorité du monde en la matière ». En définitive, c'est elle qui est à l'origine de la renaissance de la tapisserie. Depuis lors on parle de « l'expérience Marie Cuttoli » .

En 1949, Paul Cuttoli fait une chute malencontreuse; bien que les relations entre les époux soient ambiguës, Marie est à son chevet; il meurt le 2 juin. Elle reçoit, à la Villa Myriem, les condoléances du gouvernement présentées par Yvon Delbos, ministre de l'Education nationale et par Marcel-Edmond Naegelen, gouverneur de l'Algérie. Lors du règlement de la succession, la villa est vendue et Marie Cuttoli ne reviendra plus à Philippeville.

En cette deuxième après-guerre, à Paris, Marie Cuttoli vit avec le professeur Henri Laugier, professeur à la Sorbonne, éminent personnage qui a servi au ministère de l'Éduca-tion nationale, au ministère des Affaires étrangères, aux Nations-Unies où il occupa le poste de secrétaire général adjoint. Ils communient dans l'amour des arts et de la culture; ils rassemblent leurs importantes collections d'œuvres du XXe siècle au 55 de la rue de Babylone.

Là, Marie Cuttoli tient salon et poursuit toujours aussi ardemment son œuvre de mécénat. Avec Henri Laugier, en 1953, elle fait un legs très important au musée du Louvre; certains de

leurs dons se trouvent à Beaubourg. Elle organise des expositions: l'une des plus fameuses a été celle présentée en 1970 à la Fondation Beyeler à Bâle intitulée « MarieCuttoli -Henri Laugier » ; ainsi cent cinq œuvres sont mises en vente.

Son culte de l'amitié l'amène à recevoir ses amis aussi sur la Côte d'Azur dans sa villa du Cap d'Antibes, « Shady Rock », où elle finira par se retirer. Ainsi elle y accueille Paul Eluard, jean Cocteau, Claude Valéry. . . ; en 1946 Picasso sculpte sur sa terrasse devant la mer. C'est que leur amitié remonte à 1925. Toujours animée de la même foi, elle coopère à la création du musée Picasso à Antibes.

 

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Fernand Léger, «Les construteurs sur fond bleu»
(Tapisserie tissée par l’atelier Caron selon les directives de Marie Cuttoli en 1965

Elle devient la très présente présidente de la Société des amis du musée; en 1963, elle lui offre des œuvres de Picasso (cinq tapisseries et vingt-quatre gravures) et une salle du musée porte son nom.

Elle décède en 1973 et elle est inhumée à Simiane-la-Rotonde dans les Alpes de Haute-Provence. Elle était officier de la Légion d'honneur.

Connaissiez-vous Marie Cuttoli ? Sans doute pas, ou mal, et pourtant cette personnalité à « l'extraordinaire créativité Mais le rôle de catalyseur de Marie» ne mérite pas de tomber dans l'oubli.


Yves Naz

Remerciements


Mes remerciements vont à tous ceux qui m'ont aidé de leurs témoignages ou de leurs conseils particulièrement: M. Paul Tertian, ainsi que Mmes M. Elbe, M. Griffault, M.-J. Groud, I. Le Druillenec, D. Majorel, I. Rooryck, M. Vidal-Bué; MM. P. Arnaud, G. Attard, J. Benoit, Cl. Bérard, G. Duboucher, J. Franklin, R. Guinot, G. Henaff, E. Martin-Larras, P Pasquini, J.-M. Valentin.


Bibliographie:


- ANQUETIL (J.), Le grand guide de la tapisserie.
- COURTHON (P), Les tapisseries de Jean Lurçat.
- Gotu (M.), Philippeville, mon beau pays.
>
- GUINOT (R.), La tapisserie et les tapis dAubusson. >
GRIFFAULT (M.) et HEDEL-SAMSON (B.), F. Léger et les arts décoratifs. >
- THOMAS (M.), MAlNcuY (Ch.) et POMMIER (S.), L'art textile.
- Documentation fournie aimablement par le Centre de documentation de la tapisserie d'Aubusson, le - Centre de documentation historique sur l'Algérie (Aix-enProvence), les Archives du Musée Picasso (Amibes).

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