Imprimer

Victor PEREZ (1911-1945)

Écrit par Roland HERNANDEZ-AUVRAY. Associe a la categorie Sportifs

Victor PEREZ, héros et champion !

Les dictionnaires sportifs français se contentent de dire sèchement ceci : " Victor Young Perez, boxeur né à Tunis le 18 octobre 1911, eut une carrière inégale mais accéda aux plus hauts honneurs; champion de France poids plume aux dépens d'Angelmann en juin 1931 il obtient, huit jours après son 20ème anniversaire, la chance suprême, un combat pour le titre mondial. Battant l'Américain Frankie Genaro par K.O. à la deuxième reprise à Paris, il devient champion du monde poids mouche!

Las, un an plus tard, il est battu par J. Brown à qui il laisse le titre. Le 1°' novembre 34, il a une nouvelle chance mais face au fabuleux Al Brown sumommé " l'ange du ring ". Face au super-crack des années 30 (et à cette époque, la boxe, était autre chose) le jeune coq nord -africain est battu sur le ring du Belvédère de Tunis. Perez termine sa carrière en 41. Il meurt en déportation. "

Point final ? Non, les dictionnaires français mentent par omission. Vctor " Young " Perez, c'est bien autre chose. Un grand champion mais aussi un destin tragique et exemplaire pour nous Pieds-Noirs ! Nous avons à présent le témoignage direct d'un ami de Perez, Salomon Aroch. Laissons-lui la parole: " J'ai rencontré Victor Perez surnommé Young parce qu'à 30 ans il en paraissait toujours 20, à Auschwitz Birkenau dès mon arrivée au camp de la mort en janvier 43. Il continuait à s'entraîner dans une salle et était sûr de reprendre son titre mondial " dès que toutes ces petites conneries seront finies ", disait-il en souriant naïvement !

Le commandant du camp dirigeait à la cravache un groupe de boxeurs qu'il faisait combattre dans tous les camps de concentration pour accroître son prestige personnel et obtenir une promotion politique. Ces sportifs-esclaves dignes de ceux de la Rome antique avaient droit, lorsqu'ils avaient gagné, à un litre de soupe de plus que les autres déportés ! Gagne ou crève, nous lançaient les Allemands. Pour nous, la boxe était un sursis avant la mort. Nous étions encouragés, protégés, par ce sacré Perez qui se multipliait pour nous aider à tenir moralement Il donnait l'exemple en tapant comme un fou sur le sac de sable et en faisant des projets, pour lui et pour nous !

En plus, Perez s'occupait d'améliorer notre nourriture: je le revois toujours soulevant les énormes chaudrons de la cuisine où d développait une énergie, une abnégation incroyables. C'était vraiment la bonne étoile de tous les prisonniers, toujours souriant ou blaguant malgré les terribles migraines qui le harcelaient, suite aux tortures qu'il avait subies à cause de sa tentative d'évasion malheureuse. Son corps était meurtri, perdu le pour le sport, mais l'âme était intacte.

Il parvenait souvent à tromper la vigilance des SS pour aller soigner ou donner à manger a un malade. Ainsi il parvenait à préparer tous les jours, par un ingénieux système personnel mais au péril de sa vie, un caisson de 50 litres de soupe qu'il distribuait à I' arrière des cuisines juste avant le couvre-feu. Une manne inespéré pour des dizaines de types entre la vie et la mort ! Mais je crois que c'est aussi son enthousiasme communicatif qui nous transmettait la flamme, le courage de lutter. Après la distribution de la soupe, il nous lançait gravement: " A demain soir, même heure, même endroit, et vous avez intérêt à être là, sinon. . . "

Et pendant des mois et des mois, même en plein hiver; notre sauveur fut tous les soirs fidèle au rendez-vous de la fraternité totale. Hélas ! En janvier 45, fuyant l'avance des russes, les Allemands se replient vers l'ouest avec les prisonniers des camps. Sur les routes gelées de Silésie commença une marche de la mort, un calvaire de jour et de nuit. Nous perdîmes de vue Perez une nuit à Gleiwitz, village frontalier; alors que nous étions à bout de forces, prêts à nous jeter à terre et à nous laisser mourir; nous retrouvâmes notre incroyable Victor Perez. Il nous fit littéralement ressusciter par son apparition inespérée. Chargé comme une bête de somme, avec des airs de conspirateur génial il nous glissa: " Eh, les Marathoniens, j'ai pu avoir du pain pour tout le monde. On peut tenir plusieurs jours. Ne vous faites pas de souci ! "

Puis il fallut reprendre la marche vers l'ouest, les Russes approchaient Hélas ! Victor était à bout: il avait donné toutes ses forces pour les camarades et n'en avait pas gardé pour lui. Il se laissa traîner en queue de la colonne. Les SS avaient ordre d'abattre les retardataires, les mourants. Dans un ultime effort désespéré, Victor tenta de nous rejoindre, alourdi par son sac de pain qu'il ne voulait lâcher à aucun prix malgré nos exhortations. Une rafale de fusil-mitrailleur le coucha dans la neige. Sur ce tapis blanc il tomba lentement et son sang coula sur ce foutu sac de pain qu'il n'a pas voulu lâcher jusqu'à la dernière seconde.

Je pris sa tête dans mes mains. Il souriait encore en murmurant: " Je veux bien courir pour boxer, mais je déteste marcher. " Son visage était toujours celui d'un jeune homme; naïf et enthousiaste. C'était le 22 janvier 45. Nous perdions notre ange gardien. Notre soleil d'Auschwitz s'éteignait alors que le monde se libérait. En reprenant notre marche, nous levâmes tous notre regard pour découvrir si quelque chose avait changé dans le ciel noir.

Le soir, au camp, déchirés par cette fin affreuse, nous vîmes soudain entrer un soldat allemand; tête basse et sans un mot, il déposa le sac de pain... Victor Young Perez avait aussi gagné son ultime combat. Nous mangeâmes ce soir-là un pain à nul autre pareil.. 45 ans après, son goût est encore dans ma bouche. Nous avions enfin compris tout le sens merveilleux de la Cène du Christ et des apôtres. Depuis 45 ans, une moitié de notre âme reste glacée d'effroi mais l'autre moitié brûle d'amour!

Voilà l'histoire. Vous ne la trouverez ni dans les livres ni dans les films qui nous sont infligés depuis 30 ans d'exil. Qu'attendent nos écrivains et nos cinéastes pour nous restituer le chef-d'œuvre immortel que furent la vie et la mort de Victor Perez ? Holà, artistes pieds-noirs, il y a une jeunesse qui cherche des raisons de vivre dans cette vieille Europe vagissante "

Quant à toi, jeunesse pied-noir, inutile d'aller chercher plus loin des héros, des modèles, des destins, des vocations. Jeune Pied-Noir perdu dans un monde incertain et médiocre, voici la puissance de l'amitié et la gloire étrange de la fraternité. Voici Victor " Young " Perez.

Roland HERNANDEZ-AUVRAY

(Extrait du " Livre d'Or du Sport Nord-Africain ", aux Presses du Midi-Toulon)

in l'Algérianiste n°75 de septembre 1996 p.127

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.