Imprimer

Maréchal FRANCHET d'ESPEREY (1856-1942)

Écrit par Pierre Gosa. Associe a la categorie Militaires

 

marechal-franchet-d-esperey

Si l'on vous demande: "Citez-moi un maréchal de France "pied-noir", la réponse jaillira aussitôt: "Alphonse Juin". Mais si l'on ajoute: "Citez-en un second", combien pourront alors dire "Franchet d'Espérey". Voici, extrait de sa biographie à paraître prochainement aux Nouvelles Éditions Latines, le récit de sa naissance à Mostaganem.

Quelle belle journée que ce dimanche 25 mai 1856 à Mostaganem ! Au-delà du port, vers le large et la France, la Méditerranée apaisée scintille sous un soleil généreux reflétant un ciel d'un azur sans nuage.

La ville, ceinturée d'un mur crénelé, construite sur deux mamelons, domine la côte d'une centaine de mètres. Les eaux de l'oued Aïn Sefra ont creusé un ravin qui sépare la ville en deux parties; sur la rive gauche de l'oued se blottissent les maisons aux toits de tuiles rouges du quartier européen d'où émerge le clocher de l'église Saint-Jean-Baptiste alors que, près des remparts, s'étalent les bâtiments à trois étages des casernes.

On croirait découvrir une calme bourgade du Midi inondée de soleil si l'on n'apercevait sur la butte, longeant la rive droite de l'oued, les cubes blancs des maisons du quartier arabe de Tygit et son cimetière où, entre les stèles marquées du croissant, poussent les agaves et les iris.

Au centre de la cité, une place bordée de platanes et de bâtisses à arcades rassemble, dans une fraîcheur relative, des boutiques et de nombreux cafés. On trouve aussi les bâtiments, plus prestigieux, de la sous-préfecture, de la mairie et du tribunal civil. Une rue descend vers le port: deux simples jetées protégeant des terribles coups de vent du nord-ouest, un modeste débarcadère agrémenté d'un hangar et quelques baraques en planches.

Voilà vingt-cinq ans que l'armée française a débarqué sur cette côte d'Afrique. En un quart de siècle, le pays a été transformé, tant par la troupe et l'administration que par les émigrants venus de France, d'Espagne, d'Italie et de plus loin.

Ce sont d'abord les soldats qui ont pourvu à tout: ils ont relevé les ruines romaines ou byzantines, construit les casernes, les hôpitaux, les murs d'enceintes, des maisons, des églises. Puis autour des bourgs ainsi recréés, ils ont tracé des routes, édifié des ports, asséché des marais, endigué des oueds, creusé des puits, canalisé des sources.

Il est loin le temps où Mostaganem ne regroupait que quelques gourbis de torchis et de roseaux. Mais comme cette mechta se trouvait entre Alger et Oran, l'armée y avait édifié en 1833 un débarcadère et installé une garnison.

Des cantiniers juifs avaient suivi puis des paysans du Midi des jardiniers et maçons des Baléares, des pêcheurs espagnols, tous gens frugaux, durs à la peine, accoutumés à la sécheresse, s'étaient installés.

Toute une population bigarrée d'indigènes, de soldats, de fonctionnaires et émigrants du bassin méditerranéen animaient les rues de la cité.

Quelle vie, quel mouvement, quel bruit, quelle couleur et odeur les jours de fêtes et de marchés !

Mais en cet après-midi du 25 mai 1856, nul trafic dans les rues, ni carriole, ni char à bancs, ni araba (1) ou lourde fourragère du train des équipages.

Les rues appartiennent aux colons, boutiquiers, femmes et enfants endimanchés, Chasseurs d'Afrique, turcos, tringlots, jardiniers, pêcheurs et marins; tous se dirigent vers la place. Car aujourd'hui on célèbre la Fête-Dieu et la procession doit partir de l'église Saint-Jean-Baptiste.

Dans cette foule animée, débonnaire, heureuse, on peut remarquer un capitaine de trente-deux ans en grande tenue de chasseur d'Afrique: ample culotte rouge se terminant en bottes évasées, tunique bleue aux manches soutachées de noir portant la triple torsade d'or des galons de son grade.

Sensible au spectacle qui se déroule sous ses yeux, il mesure le chemin parcouru depuis 1842, date de son arrivée, comme engagé au 3e Chasseurs d'Afrique à Constantine. Ce pays, il l'a sillonné pendant plus de quatorze années du Tell aux Hauts Plateaux, de la province de Constantine à celle d'Oran. Treize campagnes en toutes saisons, par tous les temps et maintenant la vie de garnison comme dans n'importe quelle ville de France.

Il se nomme Charles, Marie Franchet d'Esperey. A ses côtés, sa jeune femme, née Marie-Louise de Dion, originaire de l'Artois; elle doit être très pieuse pour vouloir participer à la Fête-Dieu car sa large robe ne peut dissimuler un état de grossesse très avancée.

Mais voici que s'approchent, précédés d'enfants de choeur, l'un portant haut la croix d'argent, le curé de Saint-Jean-Baptiste en habits sacerdotaux et l'aumônier de la garnison. Le cortège parcourt les rues décorées de branches de palmiers et d'oliviers, escorté par des "yaouleds" en chéchia et suivis par tout un peuple en liesse qui s'égosille à chanter des cantiques.

Malgré la fatigue, la chaleur de cette fin d'après-midi malgré la poussière et l'inconfort de sa position, Marie-Louise Franchet d'Esperey a tenu à suivre la procession jusqu'au bout. Maintenant, c'est terminé, la foule se disperse, le couple s'engage dans la rue conduisant au port, mêlé aux pêcheurs et marins qui regagnent leurs barques ou leurs tartanes.

Le capitaine et son épouse s'arrêtent devant une modeste maison blanche élevée d'un étage, couverte de tuiles rouges de Marseille. Sitôt rentrés, est-ce la fatigue, l'émotion ? Marie-Louise ressent les premières douleurs de l'enfantement.

L'ordonnance du capitaine s'active à prévenir la matrone et un médecin militaire qui arrivent juste à temps pour accueillir un gros garçon.

Tout à la joie de la naissance de leur premier enfant, le capitaine et sa jeune femme ne peuvent imaginer que, cent ans plus tard, une plaque apposée sur leur maison indiquera: "Ici le 25 mai 1856 est né Louis, Félix, Marie, François Franchet D'Esperey, Maréchal de France".

Franchet d'Esperey reviendra sur sa terre natale en qualité d'officier de Tirailleurs. Il participera à la campagne de Tunisie en 1881, à celle du Tonkin en 1885 et à l'expédition de Chine en 1900. Il est promu général en 1908.

Appelé par Lyautey en 1912 au commandement des troupes du Maroc occidental, il conduira les opérations d'établissement du Protectorat. Inspecteur général des troupes d'Afrique du Nord en 1921, il fondera les "Amitiés Africaines", institution destinée à aider les anciens militaires autochtones.

Pendant la Grande Guerre de 1914-1918, commandant le ler Corps d'armée, il gagne la bataille de Guise (29 août 1914). Placé à la tête de la Ve Armée, il est considéré par Joffre comme un des principaux artisans de la victoire de la Marne. Commandant des Groupes d'Armées de l'Est puis du Nord de 1916 à 1918, il prend la tête de l'Armée d'Orient en juin 1918. Il accule la Bulgarie et la Turquie à l'armistice, libère la Serbie, campe sur le Danube.

Maréchal de France en 1921, Académicien en 1935, il s'éteint près d'Albi en juillet 1942, conservant intacte sa foi en Dieu et en sa Patrie.

Il repose aux Invalides depuis 1947.

 

PIERRE GOSA

 

1 - Charrette légère à deux roues de l'armée d'Afrique.

in L'Algérianiste n° 83 de septembre 1998 p116

Vous souhaitez participer ?

La plupart de nos articles sont issus de notre Revue trimestrielle l'Algérianiste, cependant le Centre de Documentation des Français d'Algérie et le réseau des associations du Cercle algérianiste enrichit en permanence ce fonds grâce à vos Dons & Legs, réactions et participations.