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Charles SAVORGNAN De BRAZZA

Écrit par Luc BOIVIN. Associe a la categorie Autres personnages remarquables

Une villa blanche sur les hauteurs d'Alger

Savorgnan de Brazza



 

Un jeudi, avec un camarade de mon âge, douze ans, nous avions pris, à pied, la direction d'Hydra, à l'autre bout d'Alger. Venait de s'ouvrir un musée sentant la puissante odeur des aventures en Afrique. Journée mal choisie puisque c'était celle de la fermeture. Malgré tout, nous poussâmes la grille. Dans le parc, dont la richesse évoquait déjà la forêt tropicale, une superbe demeure. Notre présence fut vite remarquée et un homme sobre apparut pour nous confirmer la fermeture. Cependant, il n'eut pas le cœur de nous renvoyer et nous eûmes l'honneur d'une visite spéciale. À la fin, il nous offrit le catalogue qui a servi à la rédaction de cet article, témoignage dédié au souvenir de cet homme qui était le fils du grand explorateur.

« Imprimée le 15 février 1945 sur les presses de l'imprimerie nord-africaine Crescenzo, une sympathique brochure commence, comme toujours pour une belle histoire, par « II était une fois... une petite fille qui s'appelait Marthe; elle avait deux frères et ils vivaient à Alger dans une villa blanche entourée d'un jardin »... Et la petite fille raconte la vie exaltante de son frère Pierre.

La « villa blanche », pur style mauresque, au cœur d'une luxuriante végétation en terrasse, était nichée sur les hauteurs de Mustapha, non loin d'Hydra. Contient-elle encore quelques traces ineffaçables de l'homme magnifique qui l'avait choisie pour vivre et finir sa vie sur la terre d'Afrique? L'avenue, alors, s'appelait Fourreau-Lamy conduisant à la colonne Voirol, point de rendez-vous traditionnel des explorateurs en partance vers le sud... Sa façade est décorée d'azulejos, ses fenêtres de petits vitraux colorés et la porte, surmontée d'un encorbellement, ne porte sûrement aucune plaque pour rappeler la mémoire de son ancien propriétaire... « Ici, vécut Pierre Savorgnan de Brazza. Ici, il médita sur l'ingratitude de son pays d'adoption... » Pour le centenaire de sa naissance, en 1952, au cours d'imposantes cérémonies, la famille et le général Chambrun, son beau-frère, firent don de cette demeure à l'État français. Elle devint musée. Combien d'Algérois l'ont visitée? Le sous-sol orné de fresques: forêt tropicale ténébreuse, brousses enfiévrées, fleuves sauvages... Un décor pour des objets d'épopée: la tente déchiquetée, le lit de camp, la moustiquaire maculée de rousseurs, le sextant, la boussole, des carnets et le hamac dans lequel on le transporta, tel Rimbaud, à bout de forces. Dans un coin, des tam-tams et le tronc creusé qui avaient annoncé son arrivée... Aux murs, sagaies, boucliers, peaux de bêtes, cadeaux des tribus.

Au premier étage, l'énigmatique beauté et la force de l'esprit créateur de l'Afrique, l'art de la forêt et de la savane: masques, pièces exceptionnelles bambara, yoruba, baoulé, m'pongwé, dan, pahouine... Un trône, des statuettes, une tête funéraire, des bracelets. .. Le cadre intime, familial, au rez-de-chaussée, se visitait parfois sous la conduite de Charles de Brazza, le fils. L'inauguration du musée eut lieu le 15 février 1952, en présence du gouverneur général Roger Léonard, et de M. Gazagne, maire d'Alger. Le matin, en l'église Saint-Charles, l'abbé Dahmar dirigeait la manécanterie du petit séminaire de Saint-Eugène, pour le repos d'une âme qui n'avait rien à se reprocher. L'après-midi, au cinéma l'Empire, le doyen de la faculté des Lettres, M. Alazard, lut un message du Dr Schweitzer saluant « le véritable ami des Africains, le conquérant nu-pieds, chanté dans tous les villages... ».Puis vint un sombre mardi 13 novembre 1962, il y a plus de quarante ans... L'Aurore titrait: « Charles Savorgnan de Brazza est mort de chagrin à Alger ». « La France n'a rien fait pour sauver le musée de son père du vandalisme et de la destruction ». Quoi d'étonnant quand le même pouvoir ne sauvait même pas les vivants... Ultime avanie pour un homme dévoué à un pays qui n'était pourtant pas le sien par la naissance. Mais cette famille en avait vu d'autres... Pour ses expéditions Brazza avait englouti toute sa fortune, et à sa mort déjà, les siens connurent les pires difficultés. La rente, chichement attribuée par l'État, de dévaluation en dévaluation, était devenue insignifiante. Une campagne de presse alerta l'opinion et on permit à sa femme, pour gagner sa vie, d'ouvrir un bureau de tabac... Pour signer l'engagement à ne pas frauder le fisc, l'administration, sans pudeur, l'obligea à se déplacer, à ses frais, à Paris... Déjà oubliée, l'épitaphe du cimetière du boulevard Bru: « La France pleura ce fils...». Oubliée l'épopée...


Une épopée qui débuta, en 1869, par la supplique d'un jeune homme de 17 ans, auprès de l'amiral de Montaignac, ami de la famille, pour qu'on l'accueille dans la marine française. Il s'engage pour la guerre de 1870 et, après la défaite, demande sa naturalisation. Il recommence à zéro ses études, ses diplômes italiens n'étant pas valables en France. Profitant d'un mouillage de sa frégate, en 1874, dans l'embouchure de l'Ogooué, il lance une reconnaissance en territoire mystérieux. Ainsi tout commença... Mais le gouvernement français restant sourd à ses demandes, ses sœurs puisent dans leurs économies pour acheter les objets de troc.. Et en huit ans, sans un coup de fusil, et par le traité fameux passé avec le roi Makoko, la France gagne 2500000 km2 d'empire... Postes, hôpitaux, amorce d'économie, il organise tout. On veut le nommer gouverneur, il refuse et entame, au titre de commissaire général, une lutte contre l'esclavage des Noirs, pratique traditionnelle d'ethnies africaines. « Nous, la France, ne reconnaissons à personne le droit de retenir un homme en esclavage. Celui qui touche le mât du drapeau, est un homme libre ». Dans le même temps, d'autres puissances européennes se taillent aussi des empires, mais par d'autres méthodes... Stanley arrive d'ouest en est, sème la terreur sur son passage. Brazza comprend alors la cause des coups de feu essuyés sur la rivière Alima : on l'avait pris pour l'Anglais... Cependant, il est le premier sur le Haut Congo. Et pour témoigner son amitié à l'explorateur français, Makoko lui offre un bracelet de cuivre: « Avec lui, partout sur mon territoire tu pourras passer ». Au bout de huit années d'explorations épuisantes, sa santé ébranlée, il nomme un sergent sénégalais, Malamine, responsable du poste qui deviendra Brazzaville... et part pour Nice se soigner. Au moment où naît le projet de relier l'Algérie au Congo à travers le Sahara, il confie au commandant Lamy: « Ah! Que n'ai-je vingt ans de moins et c'est moi qui partirais du Congo pour venir serrer, au Lac Tchad, ces mains tendues par l'Algérie! ». Devenu trop gênant pour les intérêts qui se mettent en place, il apprend par le Journal Officiel son limogeage du poste de commissaire. Quant à Malamine, il refusera d'amener les couleurs... Encore malade, Brazza repartira s'opposer aux abus de l'administration et des sociétés concessionnaires. Autant de méthodes, contraires à son esprit de dévouement, dans lesquelles il voyait l'influence du roi des Belges sur le gouvernement français. Mourant, on le ramène à l'hôpital de Dakar où il s'éteint le 14 septembre 1905. Au poignet, il portait le petit bracelet de cuivre, gage d'amitié et de protection du roi Makoko devant lequel, à l'âge de 23 ans, seul, nu-pieds, en haillons, le corps brûlé et fiévreux, il se présenta au nom de la France. « Quelle arme aviez-vous ? », lui demande Maurice Barres. « Une canne, je m'étais blessé à la jambe... ». Qu'en est-il aujourd'hui de l'inscription: « Sa mémoire est pure de sang humain », sur la tombe du cimetière qui couronne Alger? Comme le reste...


L’ancienne demeure de Brazza, entouré d’un jardin

(
coll. part.)

Luc Boivin

In « l’Algérianiste » n°108

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