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Charles De FOUCAULD (1858-1916)

Écrit par G.P. HOURANT. Associe a la categorie Autres personnages remarquables

OFFICIER, EXPLORATEUR, ECRIVAIN

Il y a quatre-vingts ans, le 1er décembre 1916, disparaissait le Père Charles de Foucauld. Du temps de l'Algérie française, de nombreux ouvrages lui ont été consacrés (1). A Tamanrasset, on visitait le bord où il fut assassiné en 1916, la maison en pisé où il habitait et, à 60Km au nord de la ville, son ermitage, à 3 000 m d'altitude, sur le plateau de l'Assekrem. Mais aujourd'hui quatre-vingts ans après sa mort, et plus de trente ans après l'indépendance de l'Algérie, son œuvre est-elle toujours d'actualité ? On peut en particulier s'intéresser à cette partie de sa vie qui précéda son entrée dans les ordres en 1900 et qui, souvent méconnue, n'en est pas moins remarquable.

PREMIER SÉJOUR EN ALGÉRIE

Orphelin à l'âge de six ans, le vicomte Charles de Foucauld, né à Strasbourg en 1858, comptait parmi ses ancêtres un Bertrand de Foucauld qui accompagna Saint-Louis aux croisades et fut tué à Mansourah en Égypte. Il est élevé avec indulgence par son grand-père, le colonel de Morlet, à Strasbourg puis à Nancy. II entre à Saint-Cyr, puis à l'école de cavalerie de Saumur ; riche, il jette l'argent par les fenêtres, fait des dettes de jeu, organise des soirées fastueuses avec son ami, le marquis de Morès, qui, avant lui, versera son sang au Sahara (parti de Gabès à la tête d'une caravane qu'il veut conduire jusqu'au Haut-Nil, il sera assassiné par ses guides, en 1896, dans le guet-apens d'El-Ouatia).

charles1-charles-de-foucauldCependant, l'Algérie entre dans sa vie en 1860 : lieutenant au 4e régiment de Chasseurs d'Afrique, il est envoyé à Sétif. Son inconduite (il s'affiche avec une jeune femme amenée de France) oblige l'autorité militaire à sévir : il ne se soumet pas, quitte l'armée, et s'installe avec sa maîtresse... à Evian, où il mène une vie déréglée et oisive. Mais en 1881, la mission Flatters est détruite par des Touareg à Bir-el-Gharana puis Bou-Amarra soulève le Sud-Oranais. Apprenant qu'on envoie contre lui le 4e Chasseurs, Foucauld demande et obtient sa réintégration: c’est un tournant dans sa vie : « Au milieu des dangers et des privations des colonnes expéditionnaires », écrit le lieutenant et futur général Laperrine qui se lie alors d'amitié avec lui, « ce
lettré fêtard se révéla un soldat et un chef » . De plus, au contact des Arabes et de leurs cinq prières quotidiennes, il découvre la foi, tout en jugeant la religion islamique «trop matérielle ». Ce peuple l'impressionne beaucoup, et c'est pourquoi, alors qu'il se trouve à Mascara, il demande un congé pour faire un voyage d'études dans le Sud-Algérien. Le congé est refusé : sans hésiter, à l'âge de 24 ans, il quitte définitivement l'armée. Ses armoiries n'ont-elles pas pour devise : « Jamais arrière » ? Mais son voyage d'exploration, il décide de l'entreprendre d'abord au Maroc.

AU MAROC ET AU SAHARA ALGÉRIEN

En 1881, le Maroc était une des régions les moins explorées de l'Afrique ; la présence d'un «roumi » y était considérée comme sacrilège. L'Européen y était si mal vu que se promener en dehors de la route officielle dite « chemin des ambassades », par où les représentants des états accrédités devaient passer pour aller dans les capitales du royaume, c'était tout simplement risquer la mort. Une grande partie du pays échappait d'ailleurs à l'autorité du Sultan, Moulay Hassan 1er, à l'époque. Y voyager était donc une aventure, comme s'en apercevra huit ans plus tard Pierre Loti (2), membre d'une mission
envoyée auprès de ce même sultan. Mais ce pays si fermé était voisin de l'Algérie ; dans le contexte d'expansion coloniale de l'époque, on pressentait qu'il deviendrait un jour français, et, en le parcourant, on pouvait être sûr d'aider la France de demain.

charles2-portrait-rondPour préparer son expédition, Charles de Foucauld s'établit à Alger, au 58 de la rampe Valée, derrière le jardin Marengo. Il apprend la langue arabe, fouille les bibliothèques pour y recueillir des renseignements, tout en s'initiant à l'usage des instruments topographiques. Il est aidé dans ses recherches par Oscar Mac Carthy (3) conservateur de la Bibliothèque installée dans le Palais de Mustapha-Pacha, rue de l'État-Major. Une des plus importantes questions à résoudre était le choix du déguisement pour le succès d'un voyage au Maroc, où l'on ne pouvait pénétrer sans cacher sa qualité de chrétien. Deux costumes seulement, l'arabe et le juif, pouvaient permettre de passer au milieu des tribus. Sur les conseils de Mac Carthy, il choisit le costume juif, étudie l'hébreu et prend pour guide le rabbin Mardochée AbiSerour (4).

Foucauld explore le Maroc pendant onze mois, du 20 juin 1883 au 23 mai 1884. Onze mois de dures épreuves et de travail acharné pendant lesquels il reprend, en les perfectionnant, 689 Km des travaux de ses devanciers, et en y ajoutant 2 250 Km jusque-là inconnus. Par Taza, Fès, Sefrou, Bou el-Djad, la région du Tadla, puis Tikirt et Tisint, sa course zigzagante l'amène enfin à Mogador, où il arrive en janvier 1884, sans argent et dans un état de très grande fatigue. Il y reste deux mois, logeant dans un hôtel tenu par des Juifs espagnols et déjeunant chez le consul de France, et il commence à rédiger ses notes,
puis il regagne l'Algérie par le Grand-Atlas et Oudjda.

II publie un compte-rendu de son voyage « Itinéraires au Maroc » (Bulletin de la Société de Géographie de Paris 1887) et surtout un récit de plus de quatre cents pages « Reconnaissance au Maroc » ( Paris 1888) illustré d'une centaine de dessins. Un an plus tard, la Société de Géographie de Paris lui attribuait la première de ses médailles d'or, sur le rapport de son président, Henri Duveyrier, le célèbre explorateur du Sahara.

Ces ouvrages ne sont pas seulement des récits à caractère scientifique, mais on y trouve aussi des descriptions du pays et de ses habitants, des anecdotes plaisantes, ou des analyses politiques, qui peuvent justifier une comparaison avec les livres de Pierre Loti « Au Maroc » (1889), ou ceux des frères Tharaud qui, de 1917 à 1919, visitèrent le Maroc sous Lyautey (5).

Tantôt il passe inaperçu tantôt il est démasqué et menacé de mort. Ici on lui offre une négresse, là il subit les humiliations réservées aux Juifs dont l'état social est misérable à cette époque au Maroc. On sourit des contes inventés par Mardochée pour l'expliquer, auprès des Marocains ignorants mais trop curieux, l'exhibition du sextant, présenté comme servant à voir l'avenir dans le ciel, ou à donner des nouvelles des absents, ou comme un préservatif contre le choléra. On est surpris du ton idyllique dans lequel sont évoquées la fraîcheur des jardins, l'abondance des moissons, la douceur de l'air.

Partout, l'auteur rencontre des Marocains qui, plus ou moins secrètement, désirent l'arrivée de la France. A Taza les habitants sont en proie aux pillages de la puissante tribu des Riata : « Aussi ne cessent-ils de prier Allah de leur envoyer les Français pour les en débarrasser». A Bou el-Djad, près de Meknès, Sidi Ben Daoud, devinant sa véritable identité, le reçoit avec les plus grands honneurs, met sa bibliothèque à sa disposition, et lui confie :« Que ce pays serait riche, si les Français le gouvernaient ! » Cette domination française, à laquelle on s'attend, la redoute-t-on ? « Les grands seigneurs », écrit l'auteur, « les populations commerçantes, les groupes opprimés par le Sultan ou par de puissants voisins, la recevraient sans déplaisir; elle représente pour eux un accroissement de richesses l'établissement de chemins de fer, la paix, un gouvernement régulier et
protecteur ».

Plus tard de 1901 à 1903, devenu prêtre, Ch. de Foucauld s'établira à Beni-Abbes, en Algérie, à la frontière marocaine ; il y recevra la visite de Lyautey (accompagné d'E.F. Gantier, géographe comme Duveyrier et explorateur du Sahara), alors commandant de la subdivision d'Ain-Sefra. Puis, le protectorat établi grâce à ce dernier, il se réjouira à la pensée que l'on pouvait désormais parcourir librement ce pays, dans lequel il avait préparé la venue de la France.

En attendant, après un bref séjour en métropole il retourne en Afrique et, fin 1886, il y fait un nouveau voyage, cette fois dans le Sud-Algérien : il visite successivement Laghouat , Ghardaïa, El-Goléa, Ouargla, Touggourt, puis Gabès en Tunisie, d'où il s'embarque pour la France. Entre les étapes, la route est immense dans le Sahara désolé, qu'il parcourt avec un seul domestique indigène. Mais il aime cette solitude où il cherche ce Dieu dont il commence à se sentir le serviteur.

OFFICIER ET ÉCRIVAIN TOUJOURS

On connaît la suite : il entre chez les Trappistes et séjourne dans leurs monastères d'Ardèche (en 1890), de Syrie (de 1890 à 1896) et de Staouéli (1 mois en 1896). Après avoir passé trois ans à Nazareth et à Jérusalem, il est ordonné prêtre en 1900 et retourne en Algérie où il se fixe d'abord à Beni-Abbes, puis, à partir de 1905 à Tamanrasset, où il gagne l'amitié des Touareg, avant d'y être assassiné par des Sénoussis venus de la frontière tripolitaine pour fomenter des troubles, et armés de fusils allemands.

Certes, devenu le Père de Foucauld, le « marabout blanc » donnera désormais la première place à l'évangélisation des musulmans et aux préoccupations spirituelles. Mais l'écrivain et l'officier ne disparaîtront jamais en lui. D'une part, il continuera à beaucoup écrire (Lettres, traductions de poésies touarègues et ouvrages scientifiques : grammaire touarègue et dictionnaire touareg-français). D'autre part, il continuera à servir la France dont il est le représentant au Hoggar, jouant « le rôle d'observateur et de conseiller pour la politique saharienne » (X. Yacono) (6). En particulier, il renseignera Laperrine sur ce qu'il sait des tribus, ralliées ou dissidentes, Laperrine, l'ami de toujours (7), dont il évoquera «l'incomparable bonté pour les indigènes » et dont il dira qu'il « a donné le Sahara à la France malgré elle, en y risquant sa carrière ». Car Charles de Foucauld ne sépara jamais devoirs patriotique et religieux :« Quelle belle mission », écrira-t-il encore en 1916 à Bazin, « d'aller coloniser dans les territoires africains, pour y faire aimer la France ! » Mission qu'il accomplit pour sa part, lui qui la fit aimer à son extrême limite au Sud, quand elle s'étendait précisément de Dunkerque à Tamanrasset.

G. -P. HOURANT
in l'Algérianiste n° 76 de décembre 1996

NOTES

1. Voir bibliographie dans « Des chemins et des hommes, la France en Algérie » (H.-M. Briat J. de la Hogue, A. Appel, M. Baroli) (Harriet, 1995). On peut y ajouter le « Charles de Foucauld » de Marguerite du Perron, paru chez Grasset en 1982, et s'appuyant sur de nouvelles sources.

2. Voir « P. Loti et l'Algérie » de G.P. Hourant «< L'Algérianiste » n° 69, mars 1995).

3. Surnommé par les Arabes « l'homme à la grosse tête » Oscar Mac Carthy, conservateur de la Bibliothèque de 1869 à 1890, était l'une des figures les plus connues d'Alger à cette époque. Il avait eu le projet de traverser le Sahara, mais ne put le mettre lui-même à exécution.

4. Né vers 1830 à Aqqa dans le Sous, Mardochée Abi Serour fit ses études à Jérusalem, traversa plusieurs fois le Sahara et ouvrit un commerce à Tombouctou. Ruiné, il revint au Maroc et accomplit plusieurs missions scientifiques, avant de se retirer à Alger, où il fit la connaissance de Ch. de Foucauld.

5. Voir « Les Frères Tharaud et l'Algérie », de G.P. Hourant (« L'Algérianiste » n° 64, déc. 1993).

6. Xavier Yacono : « Histoire de l'Algérie », p. 264 (Éditions de l'Atlanthrope, 1993).

7. Gentilhomme légitimiste du Midi, Laperrine comte d'Hautpoul fit la plus grande partie de sa carrière au Sahara, où il créa le corps des méharistes. Son avion étant tombé en plein désert le 18 février 1920, il y mourra le 5 mars après de longues journées de souffrances. Il fut enterré le 26 avril à Tamanrasset auprès de Ch. de Foucauld.

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