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Communication de Pierre DIMECH au Centre Universitaire de XEWKIJA le 19 mai 2001

Écrit par Pierre Dimech. Associe a la categorie Malte

PERSPECTIVES A PROPOS DE LA PRISE DE CONSCIENCE DE L’EXISTENCE D’UNE BRANCHE FRANCAISE , ISSUE DE L ‘EMIGRATION MALTAISE EN ALGERIE

Jusqu'à une période trés récente, il semble que l'émigration maltaise vers l'Afrique du Nord, et en particulier vers l'Algérie ( mais, il est bon d'étudier aussi le cas voisin de la Tunisie, ce qui sera fait dans un moment par Marc Donato ), ait été pratiquement inconnue des maltais. Seul, le Frêre Andrew Attard, dans son " histoire de l'émigration maltaise", a évoqué brièvement cette aventure .

Aussi, je salue particulièrement les initiatives du Professeur Henri Frendo, grâce à qui d'ailleurs cette émouvante rencontre a pu être organisée, pour sortir de l'ombre cette branche originale et importante de l'émigration maltaise.

Tout d'abord, quelles sont les raisons qui peuvent expliquer cette mise à l'écart ?

En premier lieu, lorsqu'on parle aujourd'hui de l'émigration maltaise, on pense aussitôt et avant tout à l'émigration vers l'Australie, de loin la plus importante, et aussi parmi les plus récentes - principalement après 1945 - ,qui fait qu'existe là-bas,la plus forte communauté maltaise hors de Malte, organisée et dynamique, faisant d'elle en quelque sorte une " seconde Malte ". Il y a aussi des pays tels que la Nouvelle Zélande, le Canada, les Etats-Unis... Toutes ces destinations ancrent Malte dans l'univers anglo-saxon, et constituent une sorte de relais de Malte vers le Monde Extérieur...tout en maintenant des liens familiaux très forts avec Malte , à raison même du peu de temps qui s'est écoulé depuis le départ des premiers émigrants ( un demi-siècle ).

Par contre, l'émigration vers l'Algérie ( comme vers la Tunisie ) est , elle, tout au contraire, une émigration ancienne, la plus ancienne en ce qui concerne une émigration qu'on pourrait qualifier " de masse ", à raison de l'importance du nombre de maltais ayant choisi cette destination. Il y a maintenant 170 ans ( près de 2 siècles ! ) que les premiers maltais arrivaient en Algérie, pratiquement dès l'installation de la France à Alger, en 1830. Autre chiffre à retenir : au début du siècle passé, c'est-à-dire du 20 ème siècle, il y avait dans les 15.000 maltais en Algérie, et à peu près le même nombre en Tunisie...Comparons ces 30.000 maltais en Afrique Française du Nord au chiffre de la population vivant à la même époque à Malte, et l'on comprendra que la proportion était très importante.

Mais, cette émigration ancienne a été fatalement occultée par une série de vagues d'émigrations dans d'autres pays, bien après, parce que l'émigration vers l'Algérie a pratiquement cessé dès le début du 20 ème siècle. Cela explique certainement un lent mais irrésistible éloignement entre les deux branches : celle restée à Malte et celle implantée en Algérie. Les liens se sont forcément distandus.

Rappelons- en les principales raisons, que j’ai eu l’occasion d’exposer ici, à Malte, en janvier 2000, lors de la Convention des Maltais de l’Extérieur, qui se déroula à La Valette.

Il y a eu, et cela est essentiel, la force assimilatrice de la France en Algérie, notamment par l'Enseignement, formateur des esprits par le canal de la langue française, qui a brassé toutes les Communautés, notamment celles venues du bassin méditerranéen, espagnols, italiens, maltais...Aujourd'hui, du fait de la séparation de l'Algérie d'avec la France, précédée par celle de la Tunisie ( qui fut bien moins dramatique ), la France elle-même a reçu cet apport de population depuis 40 ans..Et si, en raison des conditions historiques extrêmement dramatiques, il y eut de nombreux problèmes entre population française d’Algérie et population française de France, il n’y eut pas de « barrière de langue » !.

Alors, ceux qui sont,non pas "maltais", mais fils, ou plutôt petit-fils, voire arrières petits-fils de maltais, élevés dans la langue française, sont les seuls à ne pas être anglophones. Cela entrave les liens avec Malte d'autant plus que la plupart n'ayant jamais entendu parler maltais lorsqu'ils étaient enfants, ne comprennent pas la langue de leurs ancêtres ( ou, de certains de leurs ancêtres, car par les mariages , les différentes communautés européennes se sont peu à peu mélangées ). On en voit aujourd'hui les conséquences, même pour de si sympathiques rencontres, comme celle d'aujourd'hui. Il y a une barrière des langues entre nous….

Ajoutons que nos deux pays de référence ( ou, pour vous, maltais, ancien pays de référence ), la France et l’Angleterre, ont et, et ont encore de fortes différences. N’oublions pas qu’au moment le plus fort de l’émigration maltaise vers l’Afrique du Nord, au 19 ème siècle, les relations entre France et Angleterre étaient des plus tendues ! Cela doit être pris en compte..

C'est pour cet ensemble de raisons, je crois, qu'à Malte, on a quelque peu oublié que nombre de maltais, il y a certes très longtemps, sont partis vers l'Afrique du Nord voisine, et sont généralement devenus citoyens français, totalement à part dans un univers maltais anglophone, avec des liens toujours entretenus avec la Patrie d’origine.

Aussi, un double mouvement doit permettre notre rencontre, nos retrouvailles, profitable aux uns comme aux autres. Je pense que les conditions en sont aujourd’hui réunies.

Nous devons, nous français ayant au moins une partie de nos origines ici, à Malte, approfondir notre connaissance de MALTE et des maltais, en mieux connaître l'histoire récente, notamment depuis le 19ème siècle, époque de la permière grande émigration. Nous devons renouer des liens culturels qui ne se limitent pas à des voyages touristiques. Nous devons revendiquer notre appartenance, même modeste, à la grande Famille maltaise, et travailler sincèrement à cela.

Si nous avons l'obstacle de la langue, nous avons par contre le bénéfice d'avoir, à travers l'Algérie, gardé une culture d'essence méditerranéenne, qui nous permet de mieux comprendre les questions maltaises, l'esprit maltais. Nos avons fait en sorte de garder cet esprit, même depuis les 40 ans que nous sommes en France, puisque l'Algérie ne pouvait plus être notre pays, en devenant un Etat musulman et arabe, qui ne laissait aucune place à la Chrétienté, à l'Européanité.D’ailleurs, les massacres et enlèvements de personnes qui se sont multipliés dès la proclamation du Cessez-le-Feu ont montré que la sécurité de la population attachée à la France, européenne comme musulmane, ne pouvait plus être assurée..

De votre côté, Maltais de Malte, il est très important de ne plus laisser dans l'ombre cette "branche de la famille", qui constitue vraiment un apport original et intéréssant pour Malte, cette branche qui recherche, après la perte de ses racines algériennes, ses plus lointaines racines, qui sont ici, à Malte notamment à Gozo, terre d'émigration ...Chacun d'entre nous, s'il a une origine maltaise, a au moins un ancêtre venu d'ici, de Gozo...Je pense donc que "La Plus Grande Malte " ne doit pas sous-estimer cette parenté française, et doit rechercher sous toutes ses formes un contact avec elle, par la généalogie, par l'histoire, par la littérature : en effet, je suis persuadé qu’il est important pour vous, universitaires qui formez l’élite de la Nation Maltaise, que vous cherchiez à savoir ce que sont devenus tous vos compatriotes partis vers la proche Afrique du Nord, pour y connaître un sort différent de celui des familles qu’ils avaient laissées sur place…

Mais les « retrouvailles » doivent se prolonger, s’enrichir aussi par les contacts humains actuels, entre personnes, entre familles, entre associations..Si l’obstacle de près d’un siècle d’éloignement, de silence et d’ignorance, est très impôrtant, il n’est pas toutefois insurmontable !

Je désire ajouter ici quelques mots, au sujet d’un livre étonnant, un roman intitulé «  The last life », paru il y a quelques années aux U.S.A. Son auteur est une jeune femme née et demeurant aux Etats-Unis, mais ayant une origine française et canadienne : Claire Messud. Son nom est à l’évidence un patronyme maltais.

L’histoire racontée dans ce livre, est à base biographique. Elle ne traite pas de l’émigration maltaise aux USA, mais de la vie d’une famille française d’origine maltaise ( bien que dans le livre il n’y ait aucune allusion directe à Malte ou aux maltais. Elle mentionne seulement l’extrême piété de ses parents et grands-parents ). Cette famille, installée en Algérie depuis très longtemps, a dû quitter ce pays à la fin de la guerre d’indépendance .

Cette histoire est très intéressante, car, à travers elle, nous pouvons découvrir que des sentiments très forts peuvent se manifester après de nombreuses années d’un passé enfoui, et faire surgir un amour pour le pays de nos ancêtres, même si nous n’y sommes jamais allé.

Je suis très ému par cette œuvre, parce que je note à travers elle un véritable lien de filiation entre Malte, l’Algérie, la France, et : même les USA….

En conclusion de ce bref exposé de synthèse, dont bien des points seront développés par Marc Donato, je peux dire ceci :

Aujourd'hui, où Malte revendique son appartenance à l'Europe, quel "bonus" pour elle que d'avoir , au coeur même de l'Europe, un pays où vivent des dizaines de milliers de personnes qui ont , au moins en partie, une origine maltaise !

Nous, Français d'origine maltaise, notamment par notre aimée et regrettée Algérie, nous vous ouvrons les bras.

Nous avons donc beaucoup de choses à faire ensemble, et tout de suite, nous qui partageons avec vous les mêmes ancêtres !!!

Pierre DIMECH
Docteur en Droit

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