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La part de l'Ardèche dans la création d'un village de Kabylie, Azazga

Écrit par Pierre Gourinard. Associe a la categorie France

Qui a aimé, connu Azazga pour y être passé, y avoir vécu, rêvé peut être à l'ombre d'un chêne séculaire sera sans doute surpris voire étonné de la part que les paysans ardéchois ont pris à la création de ce village situé en Grande Kabylie, dans la partie orientale du département d'Alger, soit l'arrondissement de Tizi Ouzou... Lorsqu'un arrêté du 25 septembre 1880 substitue définitivement l'autorité civile à l'autorité militaire, le projet du futur centre est déjà bien avancé. II doit être établi sur le territoire de la commune mixte de Haut Sébaou, elle même constituée par un décret du 25 août 1880.

Le centre d'Azazga qui intéresse tout particulièrement la colonisation ardéchoise, est créé le 1°, octobre 1881, sur le petit plateau d'Il Matten, siège de la toute nouvelle commune mixte du Haut Sébaou. Il est traversé par la route de Bougie et sa situation est jugée parfaite. En 1902, un administrateur adjoint de la commune mixte s'exprime ainsi clans un rapport :

" Nul point, en effet, ne présentait de conditions plus favorables, tant du point de vue de l'avenir des colons qui y était assuré par l'excellence des terres, qu'à celui de l'occupation politique du pays.

" Situé au débouché de la vallée du Sébaou et sur le passage le plus fréquenté des tribus maritimes de la Kabylie, ce village qui a conservé le nom d'Azazga est appelé à devenir très important. "

Sans doute l'espoir formulé s'est il révélé trop optimiste, il n'empêche que la création du village semblait annoncer des débuts prometteurs.

D'emblée le principe d'un peuplement ardéchois fut admis. L'idée originelle revient à Joseph Firbach, préfet d'Alger de mars 1881 à 1888, et qui avait exercé les mêmes fonctions à Privas, du 24 mai 1870 au 19 mai 1877. Firbach songe donc à faire appel à des paysans du Vivarais au moment où le pays est durement frappé par le phylloxéra et commence à se dépeupler. Le préfet s'attache surtout à fixer en Algérie des cultivateurs du Bas Vivarais, aussi verrons-nous les colons du début des années 1880, issus des cantons de Vallon, les Vans, Joyeuse, et, dans une moindre mesure Largentière et Aubenas. Les autres provenances ne se rapportent qu'à des cas exceptionnels.

Mais comment pouvait-on devenir concessionnaire ? Un décret du 30 septembre 1878 avait totalement modifié les conditions d'attribution de concessions. Les terres domaniales comprises dans le périmètre d'un centre de population et affectées au service de la colonisation étaient divisées en lots urbains et ruraux. Le Gouvernement général était autorisé à concéder les terres alloties aux personnes qui justifiaient de ressources suffisantes. Pour les lots ruraux, le capital disponible représentait 150 francs par hectare. L'article 2 du décret attribuait au concessionnaire la propriété de l'immeuble sous la condition suspensive de diverses clauses. Le demandeur qui obtenait satisfaction devait résider sur la terre concédée avec sa famille, d'une manière effective et permanente, pendant les cinq années qui suivaient la concession. Cette dernière était provisoire pendant une durée de cinq ans. Ensuite, un titre définitif de propriété était délivré. Pendant cette période quinquennale, les concessionnaires pouvaient céder leurs droits, à condition d'avoir résidé pendant un an au moins. Pour les villages qui concernent notre étude, les concessions rurales comprennent 28 à 30 hectares ; les lots urbains où les maisons d'habitation doivent être bâties, sont généralement inférieurs à un hectare.

Plusieurs familles ardéchoises s'étaient déjà établies dans un village voisin, Mèkla, hors de la commune mixte du Haut-Sébaou et bientôt érigé en commune de plein exercice. A la fin de 1880 et au début de 1881, nous relevons parmi les concessionnaires mis en possession de leurs lots, les noms de cinq habitants de Saint-Remése Antoine Delympe, Henri-Adrien Dubois, Jean-François Soubeyrand, Jean-Auguste Maucuer et Auguste Vaisseaux. Un sixième Ardéchois, Jean-Martin Auriol, demeure à Montréal.

Ces six colons arrivent à Mékla au moment où Firbach prend ses fonctions à Alger. Nous ignorons si le nouveau préfet du département est intervenu en leur faveur, comme il fera pour les aspirants-colons d'Azazga, mais le supposer n'est pas invraisemblable, justement lorsque nous voyons cinq noms de Saint-Remèze. La proportion majoritaire des colons issus de ce village se reproduira pour Azazga. Cette hypothèse pourrait aussi être confirmée par une lettre de Firbach au gouverneur général Albert Grévy, en date du 27 octobre 1881 ;

" Le programme de colonisation de l'année 1881 comprend, entre autres projets, la création d'un centre de 80 feux à Azazga, commune du Haut-Sébaou arrondissement d'Alger (sic). (...) Je me suis efforcé dans ce peuplement, de grouper ensemble des familles originaires du même département ; vous voudrez bien remarquer, en effet, Monsieur le Gouverneur général, que sur 54 familles de la Métropole admises au peuplement d'Azazga, trente-six sont originaires du département de l'Ardèche.

" Il est permis d'augurer favorablement d'un tel groupement ; la prospérité des villages de Vesoul-Bénian et du Bois-Sacré est due principalement au caractère départemental qu'a emprunté leur peuplement, et tout porte à croire que les familles installées dans ces conditions à Azazga, seront définitivement acquises à la colonie.

Le même jour, la liste de propositions en faveur d'immigrants de la Métropole désignés pour Azazga, laisse apparaître 33 noms originaires de l'Ardèche sur 50 attributions. A quelques unités près, ce sont donc les chiffres de Firbach. -Les espoirs du préfet sont contredits par les faits. En effet, le 4 novembre 1882, 23 d'entre eux font l'objet d'un arrêté de déchéance pour non résidence sur leurs concessions dans les délais prescrits. Parmi eux, treize sont originaires de Saint-Rernèze, deux de Prunet, deux de Loubaresse, un de Saint-Cirgues-de-Prades, un de Bourg-Saint-Andéol, un de Labeaume, un de Montréal, un de Saint-Jean-Chambre, un de Saint-,Laurent-les-Bains. D'autre part, un autre concessionnaire issu des Vans a renoncé, et un autre, de Vinezac, a obtenu une attribution de terres en Oranie, au lieu de celle prévue pour Azazga.

Quant aux huit qui persévèrent, et donc conservent leurs concessions à Azazga, deux habitent Saint-Remèze. Ce sont Jean Napoléon, tailleur de pierres, et Adrien Soubeyrand, agriculteur. Trois demeurent aux Assions, Jean Campetier, Jean-François Blachère et Alexis Roche ; un, aux Vans, Marcellin Deschanel, un, à Saint-Julien-du-Serre, Jean-Aulagnier, et un à Aubenas, Urbain Prinsac. Nous retrouvons ces huit noms dans la liste définitive des concessionnaires, établie en avril 1882.

Firbach a fondé des espoirs sur Saint-Remèze, pour le peuplement d'Azazga, comme il l'avait sans doute fait pour Mekla. Toutefois, devant l'insuccès de sa tentative, il se rabat sur d'autres communes de l'arrondissement de Largentière, surtout, comme nous le verrons, les Assions et Lablachère. L'un des deux colons persévérants de Saint-Remèze Adrien Soubeyrand, a peut-être servi d'intermédiaire. Il est frère de François Soubeyrand, que nous avons rencontré parmi les concessionnaires de Mékla.

Dans une lettre du 8 mai 1881 il demande en effet une concession à Mékla où résident son frère et quatre colons originaires de Saint-Remèze. A défaut de Mékla, Adrien Soubeyrand, qui veut être rapproché de son frère, désire Il Matène, donc le futur village d'Azazga.

Les Ardéchois, ceux des Assions d'abord. ont vu leur demande aiguillée vers Azazga par Firbach qui s'est adressé à des demandeurs, Marcellin Deschanel qui demeure aux Vans, mais appartient à une famille des Assions. Ce dernier avait déjà obtenu une réponse et avait rempli une feuille de soumission pour Carnot, dans la plaine du Chélif. Ses trois frères et .ses deux beaux-frères étaient prêts à le suivre, Le 21 juin 1881, le pétitionnaire est averti que Carnot n'est plus possible, comme le village voisin de Kherba, choisi en seconde position, où se trouvaient d'ailleurs quelques Ardéchois. Il devait donc attendre les vacances qui pourraient se produire. C'est alors que survient l'intervention de Firbach, et à la fin de 1881, alors que la plupart des attributaires de Saint-Remèze ont renoncé, Marcellin Deschanel obtient une concession à Azazga, où il entraîne ses frères Louis, Frédéric et Jean, ses beaux-frères Jean Pouvière et Maurice Balazuc.

Peut-être Firbach, préfet démissionnaire au moment du 16 mai 1877, et revenu en faveur après la démission de Mac-Mahon, avait-il conservé sur place un réseau d'amitiés ? Datée de 1881 une lettre d'un pétitionnaire pour Azazga, Jean-Jacques Champetier, des Assions, au préfet d'Alger le laisserait supposer :

" (...) Ainsi si Monsieur le Préfet voulait bien nous placer dans votre département, nous serions de vrais citoyens dévoués au Gouvernement, comme nous l'avons été à la 2° circonscription (sic) de l'Argentière, pour élire notre aimable député Vaschalde. "

Un autre, Eugène Rey, également des Assions, et déjà installé à Azazga, s'adresse en 1885 au même préfet d'Alger, pour hâter le règlement d'une affaire en suspens ; à l'appui de sa demande, il affirme avoir soutenu une quinzaine de jours avant, il s'agit du scrutin du 4 octobre, les candidatures républicaines de Letellier et de Bourlier, élus députés d'Alger.

Faute d'autres sources, nous ne pouvons que nous borner à des présomptions, mais la vraisemblance est grande.

D'autres facteurs ont joué pour favoriser le départ. Ainsi, le 23 octobre 1881, Jean-Jacques Champetier, dans la lettre au préfet d'Atget- précédemment citée, insiste sur les difficultés matérielles et la précarité des conditions de vie :

" (...) Nos pays sont malheureux. Le phylloxéra a ravagé complètement nos vignes. La seule ressource qui nous reste, c'est le mûrier qui nous fait un produit de très peu de valeur. Si nous avons quelque peu de blé, il nous faut deux mois pour semer un sac de blé... tout à force de bras et porter le fumier sur notre dos. Il faut avoir le coeur plus dur que le cheval pour résister à de pareilles fatigues. "

Cette lettre au préfet d'Alger, constitue donc une demande de concession, mais Jacques Champetier, transmet le même voeu de la part de cinq de ses amis, Joseph Balmelle, André Pellet, Paul Sautel, Martin Bresson et Biscarrat. Toujours sous la plume de Champetier, on petit lire que les six demandeurs " ont appris la création d'un village nommé Azega (sic) par le nommé Deschanel, des Assions ".

Dans la liste des concessionnaires, Jean Champetier est seul mentionné Les cinq autres ne semblent pas avoir rempli de feuille de soumission et donc donné suite à leurs velléités. La liste des concessionnaires établie au printemps de 1882, lorsque les mises en possession deviennent effectives, laisse apparaître vingt-deux concessionnaires de l'Ardèche, sur un total de soixante-dix-sept en 1882.

Sur ces vingt-deux, nous décelons dix domiciliés aux Assions et un aux Vans, soit la moitié pour le canton du même nom. Trois viennent de Lablachère, un de Joyeuse, un de Rosières, soit cinq pour le canton de Joyeuse. Une demeure à Aubenas un à Saint-Julien-du-Serre. Deux, comme nous l'avons vu précédemment, sont issus de Saint-Remèze, donc du canton de Vallon. Enfin, nous avons deux cas particuliers. Maurice Balazuc est issu de Sanilhac, donc du canton de Largentière, marié aux Assions et fixé à Bessèges. Enfin, Louis-Eugène Fournier, né à Montpezat, après avoir servi comme chasseur d'Afrique, puis gendarme en Algérie, réside à Tunis depuis 1882.

- Jean Aulagnier, 19 novembre 1826 (Arcens),* Saint-Julien-du-Serre.
- Maurice Balazuc, 9 février 1849 (Sanilhac), Bessèges.
- Jean Bealet, 17 mai 1841 (Les Assions), Les Assions.
- Jean-François Blachère, 3 mars 1825 (Les Assions), Les Assions.
- Jean-Jacques Champetier, 25 avril 1831 (Les Assions), Les Assions.
- Frédéric Deschanel, 17 septembre 1842 (Les Assions), Les Assions.
- Jean Deschanel 20 mai 1849 (.Les Assions), Lablachère.
- Louis Deschanel, 5 février 1832 (Les Assions), Les Assions.
- Marcellin Deschanel, 17 août 1832 (Paysac), Les Vans.
- François Dupuy, 12 octobre 1835 (Lablachère), Lablachère.
- Eugène Fournier 23 août 1851 (Montpezat), Tunis.
- Jean Froment, 16 avril 1825 (.Les Assions) Les Assions.
- Rémy Gevaudan 1er octobre 1844 (Joyeuse, Joyeuse.
- Jean Napoléon, 1- juin 1834, (Saint-Remèze), Saint-Remèze.
- Eugène Prat, 29 juillet 1833 (Saint-Mèlany), Lablachère.
- Urbain Prinsac, 5 janvier 11342 (Aubenas), Aubenas).
- Eugène Rey, 1er novembre 1831, (Sain t-Getiest-tle-Bauzon), Les Assions.
- Alexis Roche, 12 avril 1827 (Les Assions), Les Assions.
- Jean Rouvière, 16 décembre 1847 (Saint-Pierre-le-Dechausselat), Les Assions.
- François-Ilippolyte Roux 13 ruai 1829 (Rosières), Rosières.
- Prosper Sautel 5 juillet 1832 (Les Assions), Les Assions.
- Adrien Soubeyrand, 17 septembre 1833 (Saint-Remèze), Saint-Remèze.

Deux parmi ces vingt-deux devaient renoncer assez vite Louis-Eugène Fournier et Prosper Sautel. Ils cèdent leur concession. -Les dates de mise en possession sont assez simultanées, pour presque tous, c'est autour d'avril 1882. La construction du village commence, au prix de nombreuses difficultés matérielles.

Des noms disparaissent et témoignent ainsi d'abandon. Déjà, parmi les vingt-deux concessionnaires, certains ont été inscrits à la place d'autres Ardéchois qui ont renoncé, François et Auguste Brunel, de Saint-Remèze, Jean Louche, Joseph Saint-André, Victor Vantalon ; Alexis Vauclare. Pour ces quatre derniers, les localités d'origine ne sont pas mentionnées. Clément Charaix, de Naves qui a succédé à un compatriote déchu de ses droits à la concession est évincé à son tour pour cause de non-résidence, le 6 novembre 1884. Jean-Urbain Froment des Assions comme son homonyme Jean Froment, renonce en 1883. Sans doute en est-il de même de deux autres habitants des Assions, Jean Bourboul et Lucien Tourel, et de Clément Channac, dont la localité d'origine n'est pas précisée. Ils ne figurent pas sur la liste définitive.

D'autres Ardéchois obtiennent des lots urbains dits industriels ; Eugène-Jean Pugnerre, né à Lablachère le 14 avril 1835 et y demeurant, cultivateur et cordonnier, voit sa candidature appuyée par le député de l'Ardèche Vielfaure. Il obtient un lot industriel par une décision en date du 9 avril 1885. Quatre ans plus tard, sa concession est vendue. En 1886, Mme Odilon Constant, née Marie-Justine Bresson, obtient un lot industriel. Veuve sans enfant, elle veut s'installer sur sa concession avec sa mère, son frère et un domestique. Son frère, cadet de treize ans. Isidore-Sylvain Bresson, est né en 1862 à Lablachère, comme elle-même. Tous deux y résident.

Frédéric Bresson, maçon et tailleur de pierres à Bessèges, mais né à Lablachère en 1851, a renoncé en 1889, un an après son acquisition. Il en est de même pour Germain Couderc, né à Sablières et cordonnier à Paysac, qui obtient un sursis pour raisons de santé, et ensuite ne figure sur aucune liste de concessionnaires. Seize ans plus tard, le 21 février 1899, il obtient une concession à Horace-Vernet, également en Kabylie, dans le canton de Dellys.

En 1887, Victor Renouard, né à Rosières en 1850, demande un lot industriel, alors qu'il est installé à Azazga depuis l'année précédente. II l'obtient en 1893. En 1886, Henri Balazuc, alors âgé de dix-huit ans et neveu de l'un des concessionnaires, arrive à Azazga. II vient de Bessèges, mais sa famille est originaire de Sanilhac et des Assions. Le 25 mai 1892, il obtient la vente de gré à gré d'un lot du nouveau lotissement urbain du village.

Le dernier Ardéchois arrivé durant cette période héroïque de la colonisation est Henri Taillefer, entrepreneur de transports, établi à la fin du siècle. Sa famille originaire de Saint-Paul-le-Jeune, est fixée en Algérie à Rivet, puis à Zaatra, depuis 1860.

La période de la colonisation est largement endeuillée. La mortalité est forte. Elle atteint particulièrement les jeunes enfants au cours d'une épidémie de croup très meurtrière durant l'hiver 1883-1884. Du 1er janvier 1883 au 31 décembre 1892, les tables décennales de l'état civil révèlent 109 décès pour le centre d'Azazga. Les naissances sont au nombre de 135 et les mariages, de 23. Ce dénombrement est légèrement incomplet, car nous ne trouvons nulle part mention de l'année 1882, où trois décès au moins se sont produits. Des pièces administratives en font état. L'un des trois défunts est Alexis Roche des Assions. En juillet 1883, le doyen des colons d'Azazga, ,Jean Deschanel, né le 10 septembre 1806 à Saint-.Jean-de-Pourcharesse, et venu des Assions, succombe à la maladie. Il n'était pas concessionnaire à titre personnel, mais avait accompagné ses quatre fils et ses deux gendres, pourvus de lots, comme nous l'avons vu. Son épouse, Marie Pascal, née aux Assions, le 3 octobre 1813, est morte à Azazga le 2 mai 1905. Elle était devenue à son tour la doyenne des colons du centre. Une de ses filles, non mariée, vivait auprès d'elle. Nous avons ainsi le seul exemple de sept frères et sœurs établis à Azazga. Cette transplantation ne fut pas un déracinement, les liens avec les Assions ne furent jamais rompus, et le fils aîné de Frédéric Deschanel se fixe à Chambonas.

D'autres familles ardéchoises gardent de nombreuses relations avec le pays natal. Ainsi, .Jean Froment retourne aux Assions en laissant sa concession à son fils aîné. Un autre de ses fils l'a d'ailleurs précédé en Métropole. Le fils aîné de Jean Réalet se marie aux Assions.

Les papiers administratifs sont remplis de doléances des colons qui éprouvent les plus grandes difficultés à faire vivre leurs familles et celles-ci sont souvent nombreuses. Nous trouvons une famille de sept enfants, une de huit. A deux exceptions près, les autres sont de quatre, cinq et six enfants. La difficulté des conditions matérielles croit aussi avec l'âge. Or en 1882, nous voyons sept concessionnaires quinquagénaires et quatre près d'atteindre la cinquantaine. Dans l'autre moitié quatre ont dépassé quarante ans et sept se situent entre trente et quarante ans.

Tandis que commence la colonisation au milieu de tant de difficultés matérielles, une vie paroissiale s'instaure lentement. Azazga dépend de la paroisse de Fort-National, elle-même desservie par les pères Jésuites, de la fondation jusqu'en 1881. A cette date, elle passe au clergé séculier, mais le curé desservant est lui-même secondé par les Pères Blancs de Djemaa-Saharidj. En 1887, Mekla est détaché de Fort-National et devient mission autonome, confiée au clergé séculier. Le supérieur de la Mission, qui réside à Mékla est assisté, pour les différents centres, de deux auxiliaires. Celui d'Azazga est l'abbé Nicolas Froeliger (1861-194) qui, en 1894, devient le premier curé d'Azazga érigée en paroisse. L'abbé Froeliger exerça son ministère à deux reprises et dans des conditions difficiles, de 1894 à 1899, et de 1906 à 1913. Le souvenir de ses bienfaits s'est perpétué tant que la paroisse a vécu. Devenu chanoine titulaire en 1932 il est mort en 1940. D'origine alsacienne, il avait été condisciple de Mgr Leynaud au séminaire de Kouba. De là datait la profonde amitié qui liait ces deux âmes sacerdotales. Le 25 mars 1940, l'archevêque d'Alger tenait à présider la cérémonie des obsèques du chanoine Froeliger, inhumé dans son village de Camp-du-Maréchal, où il s'était retiré dans sa famille.

Nous, voici au terme provisoire de cette étude. Beaucoup de points d'interrogation méritent d'être posés. Tout d'abord, le départ peut-il s'expliquer par le seul souci de conditions de vie meilleures. Ne subissait-on pas aussi la rupture de certains liens de solidarité, voire de " sociabilité ", rupture que Péguy appelait " la grande trahison des années 1880 " ? L'histoire de la colonisation, et nous en avons vu des exemples à Azazga, montre des tentatives de reconstitution de ces liens de solidarité. Dans cet ordre d'idées, nous comprenons le désir du préfet Firbach de coloniser avec des personnes originaires d'une même province ou d'un même département. La persistance de l'attachement au pays natal que l'on peut déceler chez certains colons, qui conservent au moins une partie de leurs terres métropolitaines, est une autre preuve de ces sentiments de fidélité. Soulignons que ces propriétés métropolitaines sont, à quelques rares exceptions près, bien petites.

D'autres études s'imposeraient, afin de déterminer l'ascension sociale à l'intérieur de ses familles. Dans le cas d'Azazga, comme dans celui de presque tous les centres de colonisation, cette ascension sociale est issue des concessions rurales, d'étendue modeste, et s'est presque toujours précisée par une installation à Alger ou dans des localités plus importantes.

SOURCES

Nous avons utilisé la série M, des Archives départementales de l'Ardèche - dossiers non cotés en 1968 - pour les correspondances entre les mairies et la préfecture de l'Ardèche et dans quelques cas, entre la préfecture de l'Ardèche et celle d'Alger ou le Gouvernement généal.

La plus grande partie de nos sources provient des Archives d'Outre-Mer d'Aix-en-Provence. La série L et particulièrement les dossiers 20 L. 76, 23 L 15 et 26 L 88 nous fournissent les renseignements généraux, surtout le dernier consacré au peuplement.

De la série M, nous avons utilisé les dossiers 2 M 22a à 2 M 26a, qui contiennent les titres de propriétés des concessionnaires classés par ordre alphabétique. Enfin les dossiers 4 M 37 à 4 M 42 concernent le village.

- Sur les Ardéchois et la colonisation de l'Algérie en général, voir : Pierre Gourinard, La Part de l'Ardèche à la mise en valeur de l'Algérie, in Revue du Vivarais, n° 618, avril-juin 1969, p. 91 à 102.

- Toutes les localités de l'Ardèche ci-dessus mentionnées sont situées dans l'arrondissement de Largentière, le plus méridional du département. Les cantons de Joyeuse et des Vans, au sud-ouest atteignent le piedmont cévenol. Celui de Vallon-Pont-d'Arc, plus à l'est, est plus proche du Rhône.

Pierre Gourinard.

*Les noms entre parenthèses sont ceux des lieux de naissance. Ils sont suivis du lieu de domicile.

In l'Algérianiste n° 22 du 15 juin 1983

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