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Les Espagnols au Maghreb

Écrit par Théophile Bignand. Associe a la categorie Espagne

Oran-lefortSantaCruzOran - Le Fort de Santa-Cruz


En 711, le berbère Tarik,à la tête d'une petite armée franchit les Colonnes d'Hercule,appelées plus tard Gibraltar, contraction de Djebel Tarik, et conquit une grande partie de l'Espagne.
Commença, alors pour les Espagnols, une longue reconquête, qui durera près de huit siècles, jalonnée d'épisodes plus ou moins heureux. La reprise de Tolède en 1085 et surtout la victoire de Navas de Tolosa que remportèrent sur les Maures les rois d'Aragon, de Castille et de Navarre mit fin à la puissance des Almohades en Espagne et les refoule en Andalousie.
En 1492, Grenade, capitale de l'Andalousie, retombe aux mains des Espagnols.
Dans son testament, Isabelle la Catholique, décédée le 12 octobre 1504, s'exprimait ainsi.- " Je prie la princesse ma fille et le prince son mari que, comme princes catholiques, ils aient le plus grand soin des choses qui touchent à Dieu et à la Sainte Foi, qu'ils s'occupent sans relâche de la conquête de l'Afrique et de combattre pour la religion contre les infidèles. " (Henri Léon Fey)
Les souverains espagnols ne respectèrent pas certaines clauses de la capitulation de Grenade. Ainsi le culte mahométan fut proscrit, le baptême catholique rendu obligatoire.
Selon H.L. Fey, Philippe II en 1566, "leur défendit l'usage de leur langue, de leurs vêtements, de leurs bains, de leurs cérémonies et même de leurs noms".
Ces dispositions tyranniques provoquèrent la rébellion des morisques, (Maures convertis par la force) qui dura de 1566 à 1570.
En 1609, un édit de Philippe III ordonna l'expulsion totale des Morisques. On estima à plus d'un million leur départ, notamment vers le Maghreb.
Les Arabes en accord avec les Morisques expulsés d'Andalousie, arraisonnaient les navires chrétiens. Ces actes de piraterie gênaient considérablement le commerce en Méditerranée. Croisade contre les infidèles, lutte contre la piraterie sont les deux mobiles de l'intervention espagnole au Maghreb.
Bien avant eux, les Portugais avaient entrepris la lutte contre les Infidèles.
Evoquons-le brièvement:
14 août 1415.- les Portugais s'emparèrent de Mers-el-Kebir et d'Oran qu'ils évacuèrent en 1437.
1416.- Prise de Ceuta.
1471.- Prise de Tanger
1471.- Nouvelle prise d'Oran. Bloqués dans la place, ils l'abandonnèrent en 1477.
1501 - Une tentative de débarquement à la plage des Andalouses (Aïn-el-Turk) à l'est d'Oran fut repoussée avec de grosses pertes pour les assaillants.

Première, occupation d'Oran par les Espagnols

En 1497, le roi d'Espagne Ferdinand décida l'occupation de plusieurs points de la côte méditerranéenne. Une tentative de s'emparer d'Oran et de Mers-el-Kebir échoue. Il dut se contenter de la prise de Mélila au Maroc.

Le débarquement de Mers-el-Kebir en 1505

Partie de Malaga, le 3 septembre 1505, une flotte imposante sous les ordres de Don Diègo de Cordoue arrive le 11 en vue de la plage des Andalouses. Le débarquement s'effectua en bon ordre. Les Espagnols, après un combat meurtrier s'emparèrent des hauteurs qui commandaient la forteresse de Mers-el-Kebir. Soumis à la canonnade espagnole par terre et par mer, les défenseurs soutinrent un siège de 50 jours. Découragés à la suite de la mort du gouverneur de la place, ils l'évacuèrent le 23 octobre 1505.
Mais Don Diego se trouve vite dans une position critique. Les renforts demandés n'arrivaient pas. Il tenta une sortie pour se dégager. Secondé par le colonel don Martinez de Argote,il surprit le 15 juillet 1507,près de Misserghin,à 10 kilomètres au sud-ouest d'Oran, un fort contingent arabe et saisit un immense butin. Sur le chemin du retour, un corps des cavaliers espagnols, lancés à la poursuite de l'ennemi, s'éloigna du gros de la troupe. Un renfort permit aux Maures de bousculer les Espagnols et tout le butin retourna aux mains des Infidèles.

La conquête d'Oran

Le roi d'Espagne, pressé d'agir par Ximénes de Cisnéros cardinal de Tolède, résolut selon A. Bernard de "venger cette défaite".
Le 16 mai 1509, une armée de plus de vingt mille hommes, sous le commandement de Pédro de Navarro, portée par une véritable armada mouilla, le lendemain, dans la rade de Mers-el-Kebir. La combinaison d'une attaque maritime et terrestre amena la reddition d'Oran le 19 mai.
Le chroniqueur espagnol Alvarez Gomez, nous a laissé une description d'Oran à cette époque : "Oran est situé sur un terrain élevé et défendu par sa position, autant que par ses fortes murailles et ses nombreuses tours."
Les fortifications de la place se composaient d'une enceinte continue surmontée de fortes tours espacées entre elles du château proprement dit ou casbah et du réduit qui commandait la ville de l'autre côté du ravin de Ras-el-Aïn.
Ce dernier ouvrage était constitué par les trois grosses tours reliées entre elles, situées dans la partie ouest du château neuf ou Rozalcazar.
La construction de cette forteresse remonte au moyen-âge, sous le règne du prince mérinide Abou-Hassan, très vraisemblablement à la fin du XIVe siècle.
D'autres points de la côte:Ténès, un îlot dans la baie d'Alger, Dellys, Bougie et même Tripoli sont aux mains des Espagnols en 1510.
Mais l'arrivée des Turcs allait donner une nouvelle impulsion à la résistance.

Les frères Barberousse

Le XVIe siècle vit avec les frères Barberousse, la main-mise des Turcs sur le pays. Aroudj et Kheir-ed-Din, deux frères d'origine grecque réussirent à imposer une domination nouvelle. Le premier grâce à sa férocité et son audace, le second par d'habiles qualités politiques. Ils s'opposèrent aux Espagnols. En 1518, Kheir-ed-Din; devint Beylierbey en faisant hommage de ses états au sultan de Constantinople. Il est le créateur de la régence d'Alger.

Le Penon d'Alger

En 1510, le comte Pédro Naverro s'empare de Bougie. Devant la rapidité des conquêtes espagnoles, Alger en désaccord avec Tlemcen, se déclare vassale des Espagnols à condition de conserver son indépendance et son autonomie.
L'îlot de Stofila leur est concédé. Ils y construisirent une forteresse, (le Penon) et y entretinrent une garnison d'environ 200 hommes.
Leurs rapports avec Alger se détériorèrent au fil des ans: refus de ces derniers de leur vendre des vivres,de l'eau même, qu'il fallut faire venir des Baléares. D'après un rapport officiel cité par Augustin Bernard :"Au Peñon, on était en train de mourir de faim quand un vaisseau chargé de blé est venu s'échouer devant le fort. Tout va bien maintenant, mais il ne faudrait pas continuer de tenter Dieu". Les troupes espagnoles vécurent donc dans des conditions extrêmement difficiles.
Après plusieurs assauts infructueux devant Bougie où il perdit un bras, Aroudj, sollicité par les habitants d'Alger, ne réussit pas à prendre le Péñon, mais se rendit maître de la ville après avoir étranglé de ses propres mains Salem-el-Teumi qui y commandait.
Une expédition de secours, sous la conduite de Diégo de Véra ne réussit pas à s'emparer d'Alger. Une furieuse tempête l'obligea à réembarquer en 1516.
Une deuxième expédition en 1519, sous les ordres de Hugo de Moncade, gouverneur de Sicile subit le même sort que celle de Diégo de Véra.
Enfin, en 1529, malgré une défense héroïque, les Espagnols privés de vivres et de munitions, capitulèrent. Les survivants connurent l'esclavage. Le vieux gouverneur, qui avait refusé d'abjurer sa religion, périt sous le bâton. La forteresse fut démantelée. Avec les déblais, dix mille esclaves chrétiens construisirent en deux ans, une jetée qui réunit l'îlot à la terre.
Maintenant, bien à l'abri, les corsaires font d'Alger "le repaire inviolable des pirates barbaresques et l'effroi des nations chrétiennes" (Augustin Bernard).

Attaque de Charles Quint contre Alger, octobre 1541

L'alliance de François Ier avec le sultan turc Soliman le magnifique (1536) gêna et irrita Charles Quint. Profitant d'une trêve, il se détermina à intervenir contre Alger. La lenteur des préparatifs de l'expédition ne permit leur achèvement qu'en octobre, mois peu propice à ce genre de mission.
Malgré l'avis défavorable de l'amiral André Doria, six cents voiles dont soixante-cinq grandes galères,montées par douze mille marins et vingt quatre mille soldats auxquels s'étaient joints de nombreux nobles des pays européens, des chevaliers de l'Ordre de Malte firent route vers Alger où elles arrivèrent le 20 octobre. Le débarquement s'accomplit sans difficulté sur la rive gauche de l'Harrach. L'armée chrétienne cerna la ville au sud
Mais une pluie diluvienne s'abattit sur la ville, en même temps qu'une tempête de nord-ouest mettait la flotte dans une position périlleuse. L'armée Espagnole, prise au dépourvu passa une "nuit affreuse." La poudre mouillée rendait les armes inutilisables et, attaquée par les Arabes, elle ne put réagir. Fort heureusement, l'intervention des chevaliers de Malte stoppa l'offensive des Barbaresques. Le porte étendard de l'Ordre, le Français Savignac planta sa dague dans la porte de Bab-Azoun, en s'écriant:"Nous reviendrons".
En mer la tempête redoublait de violence."De Cherchell à Dellys, la côte était couverte d'épaves et de cadavres", selon Augustin Bernard. Devant ce désastre, suivant le conseil de l'amiral Doria, l'Empereur donna l'ordre de battre en retraite. Le reste de l'armée en déroute regagne péniblement les navires épargnés par la tempête à l'abri derrière le cap Matifou.
La défaite de Charles Quint, possesseur d'un Empire " sur lequel le soleil ne se couchait jamais " impressionne tellement le monde chrétien qu'Alger gagne la réputation d'une " ville imprenable " et la piraterie une force accrue.

Les Espagnols et Tunis

Les souverains Hafsides qui régnaient à Tunis prirent ombrage de l'influence grandissante de Kheir-ed-Din et l'attaquèrent en Kabylie. La vengeance de ce dernier ne tarda pas. Mettant à profit des dissensions intestines, il occupa Tunis d'où le souverain Mouley-Hassan avait été chassé à la suite d'une révolte de la population. Ce dernier eut recours à Charles Quint, pour l'aider à reprendre son trône. Le 13 juillet 1535, La Goulette est enlevée par les Espagnols après de furieux assauts. L'armée chrétienne après une marche épuisante occupa Tunis. Kheir-ed-Din se réfugia à Bône.
Moulay-Hassan, rétabli sur son trône reconnut la suzeraineté de Charles-Quint.
De nouvelles difficultés assaillirent le prince tunisien et les Espagnols intervinrent à nouveau. La flotte chrétienne aux ordres de l'amiral Doria se heurte au valeureux corsaire Dragut, chrétien qui a embrassé l'islamisme à l'âgé de 12 ans. Capturé il connut les galères. Libéré moyennant une forte rançon, il reprit du service et allié aux Turcs, il infligea aux Espagnols un désastre naval et terrestre à l'île de Djerba (1560) où le vice-roi de Sicile avait projeté de faire une base d'opérations contre Tripoli. Plus de trente navires furent coulés et cinq mille hommes faits prisonniers et massacrés. Les ossements des vaincus furent rassemblés près de la forteresse espagnole en une pyramide de plus de cent pieds de haut rasée en 1848, sur l'ordre du bey. " Un obélisque construit au commencement du 20e siècle sur l'emplacement de cette macabre " tour des crânes " commémore le fait" (Prosper Ricard).
En 1574, un corps expéditionnaire turc s'empare de Tunis.
La Tunisie devint une province turque et restera, en principe, soumise au Sultan de Constantinople jusqu'à l'occupation française en 1881.
Désormais, les Espagnols sont seulement maîtres d'Oran et de Mers-el-Kebir.

Les Espagnols en Oranie

Dès leur occupation d'Oran, les Espagnols songèrent à occuper certains points stratégiques de la côte oranienne et de supplanter l'influence de Tlemcen à l'intérieur du pays.
Préparées avec minutie et avec des moyens considérables, ces expéditions engloutissaient des sommes énormes.
Ainsi, la première expédition sur Mostaganem, 24 mars 1543, comptait d'après Francisco de la Cuéva, sept mille fantassins, cent cinquante cavaliers Espagnols, trois cents cavaliers maures. Elle comprenait également une grosse pièce de siège et cinq canons de campagne.
Cette armée parvint aux abords de Mostaganem en suivant la côte mais ne put s'emparer de la ville. Il fallut battre en retraite en subissent le harcèlement de l'ennemi jusqu'au retour à Oran. Deux autres expéditions, l'une en 1548, l'autre en 1558, où le comte d'Alcaudète, gouverneur d'Oran trouva la mort, furent aussi malheureuses que la première.
Les renforts qui arrivaient régulièrement à Oran incitèrent les Espagnols à s'aventurer dans l'arrière pays notamment pour annihiler l'influence de Tlemcen.
La mort du souverain de Tlemcen engendra une succession difficile et des rivalités intestines. Excédés par ces disputes, des émissaires tlemcéniens contactèrent Aroudj qui entra dans la ville en septembre 1517. Il fait pendre Abou-Zian, le souverain en place et sept de ses fils, arrêta tous les membres de cette famille, les fait périr par noyade et en outre, fit égorger soixante et dix notabilités.
Le marquis de Comarez, gouverneur d'Oran, accorda à un chef arabe quelques troupes insuffisantes pour reprendre Tlemcen aux Turcs. Elles furent battues près de la ville à El-Kalaa.
Alors, le colonel don Martinez de Argote sort d'Oran avec trois mille hommes, assiège la ville, et selon H.L.Fey " l'enlève et passe la, garnison au fil de l'épée".
Aroudj, cerné dans le Méchouar, après plusieurs tentatives de sorties infructueuses, réussit à s'enfuir. Rejoint sur les bords du Rio-Salado, il fut tué après un furieux combat. Son vainqueur lui trancha la tête qui fut transportée triomphalement à Oran et, de là, dans toute l'Andalousie (1518).
Le nouveau roi de Tlemcen prête serment d'obéissance à Charles Quint. A sa mort, son successeur refusa de payer le tribut au Comte d'Alcaudète. Ses deux enfants se disputèrent le pouvoir à sa mort. L'un d'eux implora le secours des Espagnols. Ceux-ci, aidés d'un faible contingent arabe, furent battus au défilé de la Chair, le Chabat el Laham, (nom arabe de Laferrière, non loin d'Aïn-Témouchent). D'après M. Antoine Carillo, auteur d'un ouvrage sur Aïn-Témouchent(1956),on trouvait encore,il y a une quarantaine d'années de nombreux ossements en cet endroit.
Le comte d'Alcaudète décida de venger cette défaite. Il sortit d'Oran le 27 janvier 1543, à la tête d'une armée de quatorze mille hommes et s'empara de Tlemcen qui fut, selon H.L.Fey "livrée au pillage et la population entièrement massacrée".
Après la mort de Kheir-ed-Din en 1546, un traité de paix fut conclu. Les turcs évacuèrent Tlemcen mais y revinrent en 1551 pour y rester jusqu'en 1842, date à laquelle les troupes du maréchal Bugeaud les en chassèrent définitivement.

Incursions espagnoles dans l'arrière pays

Coûteuses étaient les entreprises sur Mostaganem et Tlemcen; D'autres, plus fréquentes faiblement équipées, avaient pour mission d'assurer l'autorité des Espagnols sur l'arrière pays et l'approvisionnement d'Oran.
Citons dans l'ordre chronologique, les raids suivants;
- 1507.- Don Diégo de Cordoue s'avança jusqu'à Misserghin (10 km à l'ouest d'Oran mais, au retour,il subit un échec très meurtrier.
- 1513-1514 - Occupation de la plaine des Andalouses à l'ouest de Mers-el-Kebir (Aïn-el-Turk, Bou-Sfer, El-Ançor.).
- 1514 - Ils parcourent les abords de la Sebka d'Oran (région de Misserghin); ils convertissent une branche des El-Ounazera au christianisme. Leurs descendants émigrèrent à Ceuta.
- 1517 - Prises importantes dans les plaines de la M'Léta au sud de la Sebka d'Oran à Tamzoura (Saint-Maur).
- 1518 - Attaque de la Kalâa des Béni-Rached (Région de Mascara).
- 1523 - Soumission des Ouled-Ali, (Région de Saint-Lucien).
- 1528 - Razzia dans la plaine de la M'Léta (Région d'Aïn-el -Arba).
- 1540-1542 - Coup de main dans la plaine d'Egris (Sud de Mascara.). Ils s'avancèrent jusqu'à Nesmoth, Oued-Taria (entre Mascara et Saïda) après avoir remonté la vallée de l'oued El-Hammam.
- 1544 - Prise d'El-Keurt (6 km à l'ouest de Mascara), ils y firent de nombreux prisonniers et la ruinèrent complètement. La même année ils furent signalés à Aïn-Fares (entre Mascara et Relizane).
-.1545-. Razzia d'une zaouia près de Sidi-Brahim (Prudon à 15 km au nord-est de Sidi-Bel-Abbes.)
Mais, les Espagnols préoccupés par les guerres d'Italie qui se terminèrent en 1559 au traité de Cateau-Cambraisis et par la présence des Morisques sur leur sol délaissèrent peu à peu Oran et Mers-el-Kebir, si bien que le pays leur échappa "politiquement et économiquement" (A. Bernard).
Les indigènes reprirent courage. Les Turcs lancèrent plusieurs attaques pour reprendre Oran. Ils échouèrent en 1556, 1580, 1657, 1679, 1703, 1705.Ils assiégèrent Mers-el-Kebir pendant 18 jours en 1563.

FontaineaOran-E-LessoreetWWyld-1835-Fontaine à Oran par E.Lessore et W.Wyld (1835)
Photo G.Bosc - L'Algérianiste 


Prise d'0ran par les turcs en 1708

Depuis le règne de Philippe II ( 1556 ),Oran était " un bagne et un lieu de transportation ". Presque tous les grands seigneurs mécontents y étaient exilés. Les gens de qualité tombés en disgrâce y menaient un somptueux train de vie. Cette ville, qui brillait par son luxe et l'éclat de ses fêtes, était appelée en Espagne, la " Corte-Chica, (la petite cour) " (H.L. Fey)
Bloqués dans Oran depuis 1705, les Espagnols essayèrent de se dégager. En 1706, un officier, envoyé pour porter secours à Oran, trahit son pays en se mettant à la disposition de l'Autriche. Privée d'aide, la place ne pouvait tenir plus longtemps.
Tour à tour furent pris, après une défense héroïque et très meurtrière, le fort San Fernando qui résista cinquante six jours, Santa-Cruz qui domine Oran, le fort Saint Grégoire, le fort Lamoune où la garnison entière fut massacrée.
Les principaux points défensifs aux mains de l'ennemi, l'attaque rapide de la ville suivit rapidement. La Casbah se rendit sans défense. Le Chateau-neuf, dernier refuge des défenseurs, capitula après épuisement des munitions.
Les troupes espagnoles furent massacrées, la ville pillée. " Les rues sont encombrées de cadavres, chaque maison soutient un siège et devient une scène de carnage; après le viol, l'égorgement; après l'égorgement, l'incendie " (H.L., Fey).
" Les cloches des églises, dit un manuscrit arabe, cessèrent leurs carillons impies, elles furent attachées par des cordes et Jetées bas de leurs clochers par ceux-là même des chrétiens, qui jadis, étaient chargés de mettre leurs battants en branle" (cité par H.L. Fey)
Beaucoup de gens échappés d'Oran, se réfugièrent à Mers-el-Kebir. Cernée de tous cotés la forteresse dut se rendre. Les Infidèles s'engouffrèrent dans la place par une brèche pratiquée par une mine et y massacrèrent plus de trois mille personnes.
Ainsi finit Mers-el-Kebir qui redevint un nid de pirates.

Deuxième occupation d'Oran par les Espagnols

Après la signature du traité d'Utrecht, en 1713, qui mit un terme à la guerre de Succession d'Espagne (1701-1713), la paix s'instaura, dans ce pays.
Philippe V, petit-fils de Louis XIV, alors roi d'Espagne, proclamait dans un manifeste : " La position de la place et du Port d'Oran, donne à la régence d'Alger, des avantages formidables sur les provinces méridionales de mon royaume ".
Une seconde occupation d'0ran fut alors ordonnée. Une armée de vingt-huit mille hommes, commandée par le comte de Mortemart, partie d'Alicante le 15 juin 1532, débarque le 30 juin sur la plage d'Aïn-el-Turk, culbuta l'armée arabe et entra à Oran le ler juillet 1732 d'où la population s'était enfuie. Le vieux bey Bou-Chelagram se retire à Mostaganem.
Par deux fois, il essayera mais en vain, de reprendre Oran.
En 1734, le Sultan du Maroc menaça les environs d'Oran; les Espagnols l'obligèrent à s'enfuir jusqu'en 1791,aucun engagement important ne fut entrepris contre la ville maintenue dans un blocus continuel.
Dès la reprise d'Oran les bagnes furent réinstallés et les fortifications laissées à l'abandon par les Turcs, restaurées.

Description d'Oran avant le tremblement de terre de 1790

Nous empruntons à notre ami François Rioland, la description d'Oran avant le tremblement de terre qui détruisit la ville. (L'Echo de l'Oranie n° 72 de novembre 1971).
" Oran est alors limitée par le château fort ou Alcazaba, l'Alcazar,les hauteurs du ravin Ras-el-Aïn,le Rozalcazar ( Château neuf ) et ses donjons,enfin,en direction sud sud-ouest, par un certain nombre de redoutes,tours de guet et de contrôle,car il faut veiller aussi sur la source qui alimente la cité en eau potable. Citons encore la porte de Canastel dont,en 1962,il ne restait que la voûte (place Kléber), porte d'entrée et de sortie, nantie d'un corps de garde, vers Rozalcazar et les entrepôts (Manutention) de la rue Ximénes.
En cette seconde occupation espagnole,la ville est protégée,cette fois par un véritable corset de fortifications et contre un danger en provenance de la mer sont dressées les batteries de Mazalquivir, du Rozalcaza.r,de San Grégorio, de la Mona, de Santa Térêsa. Oran était vraiment une ville fortifiée.
La cité comporte des rues étroites, rappelant certaines artères des villes ou bourgs d'Andalousie,ce qui permettait de s'abriter des rayons solaires de la période chaude. La contexture de certains quartiers se retrouve à l'heure actuelle dans ce moutonnement qu'est la Calère,dans les ruelles sises au-dessus de l'ancienne Pêcherie, aux alentours de la place de la Perle, dans tout le secteur de la haute Casbah où a été édifiée l'école des soeurs trinitaires,le long de certaines murailles de l'hôpital militaire Baudens".

Le tremblement de terre d'octobre 1790

Dans la nuit du 8 au 9 octobre 1790, un violent tremblement de terre renverse presque toutes les maisons de la ville. Trois mille morts venaient d'y être ensevelis. Pour comble d'horreur le feu se communique à tout ce qui était combustible. Les rescapés assistèrent à un terrifiant incendie. Les deux hôpitaux étaient détruits. Les approvisionnements, en grande partie enfouis sous les décombres. Vision d'horreur: des corps enchevêtrés, calcinés,des familles entières anéanties, des gens hébétés; errant parmi les ruines à la recherche d'un hypothétique survivant, d'autres hurlant leur douleurs !
La disette ne tarda, pas à s'installer, aggravée par les incursions arabes, les scènes de pillage.
Sitôt connue la nouvelle de cette catastrophe, à l'instigation du Dey Mohamed ben Osman, le Bey de Mascara essaya de reprendre Oran. Plusieurs attaques furent stoppées par le régiment des gardes wallonnes, commandé par le chevalier de Torcoy, venu, à partir de février 1791 renforcer, la garnison de la ville. Un survivant resté à Oran après le départ des Espagnols, Dominique Gaillard, français né à Paris en 1750, accueillera les troupes françaises à leur arrivée, le 4 janvier 1831.
Des renforts et des vivres furent acheminés sur la cité. Mais cet effort ne devait pas aboutir, l'Espagne venait d'entrer en guerre contre la France.
Dans l'impossibilité de conserver ces deux places, un envoyé du roi d'Espagne entra en pourparlers avec le Dey qui le congédia brutalement. Celui-ci mourut le 17 juillet 1791. Son successeur Hassan-Dey, plus conciliant " se rendit aux désirs du roi d'Espagne en vue d'un arrangement à l'amiable" (H.L. Fey ).
Un traité fut signé le 12 juillet 1791.
Certaines clauses attribuaient à l'Espagne, quelques avantages:
- Etablissement d'un comptoir semblable à celui de La Calle dans les environs de Mers-el-Kebir.
- Pêche au corail tout le long des côtes de l'ouest.
- Droit d'acheter annuellement une certaine quantité de blé,
- Accès aux commerçants espagnols du port de Mers-el-Kebir.
- Levée du blocus d'Oran.
A la demande du Bey certains forts furent rendus inutilisables, parmi lesquels Saint Philippe et Santa-Cruz.
Par contre, les Espagnols devaient remettre les places d'Oran et de Mers-el-Kebir dans l'état où elles se trouvaient en 1732.
L'évacuation de ces deux places devait être terminée le ler janvier 1792.
Après les retards dus au mauvais état de la mer, les Espagnols évacuèrent définitivement Oran en mars 1792.
Environ quatre-vingt familles restèrent de leur plein gré à Oran, mais soumises à " un régime brutal et vexatoire " presque toutes reprirent le chemin de leur pays.
Ainsi finit l'occupation espagnole d'Oran, qui dura 258 ans avec un intermède de 24 ans.

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Après la découverte de l'Amérique en 1492, l'épopée des conquistadors Pizarre et Cortez aux Amériques, l'Espagne,qui était alors une nation puissante, grande, riche avait conquis de 1497 à 1510, les principaux ports de la côte méditerranéenne du Maghreb: Mélilla, Oran, Mers-el-Kebir, Ténès, le Peñon d'Alger, Dellys, Bougie et même la lointaine Tripoli en 1535.
Ces succès rapides effrayèrent les indigènes dont de nombreuses tribus notamment à la périphérie d'Oran firent leur soumission.
L'Espagne aurait-elle pu, alors, profiter de ces bases et de l'anarchie du Maghreb pour l'occuper entièrement ?
Les difficultés de la navigation à voile, le harcèlement des pirates barbaresques, les guerres d'Italie, la venue des Turcs qui galvanisa la résistance contre l'occupant, les tensions internes dues à la présence de Maures jusqu'au début du XVIIe siècle, les sommes considérables englouties pendant la guerre de Succession d'Espagne, rendirent l'occupation d'Oran très difficile sinon impossible.
N'oublions pas que c'est par suite de pénurie de moyens de ravitaillement de toutes sortes que la capitulation de 1708 fut inéluctable.
Si, lors, de la première occupation d'Oran, les Espagnols s'aventurèrent dans l'arrière pays, par contre lors de leur retour en 1732, ils restèrent inactifs derrière de solides remparts qui semblaient imprenables.
Le sort en décida autrement.
La guerre en Europe, la destruction d'Oran en 1790, sonnèrent le glas de la domination espagnole.
Ils y reviendront quelques quarante ans plus tard sous les plis du drapeau français et firent de certains coins de l'Oranie " une petite Californie " mais ceci est une autre histoire

Théophile Bignand

Sources bibliographiques

- L'Algérie, par Augustin Bernard, collection du centenaire,
- Histoire d'Oran, avant, pendant et après la domination espagnole, par Henri Léon Fey, éditions Perrier Oran 1858. Réedition Lescane Nice 1982.
- Quelques notes sur les entreprises des Espagnols au cours de la première occupation d'Oran par L. Guin éditions Perrier Oran 1886.
- Mercedes, la louve d'Oran par F. Rioland, Echo de l'oranie, Nice N° 71 et 72 de 1971
- Les merveilles de l'autre France, par Prosper Ricard Hachette 1924.

In l'Algérianiste n°50 de juin 1990 

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