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L'Institut Pasteur d'Algérie (1900-1962)

Écrit par Alain Renaud. Associe a la categorie Recherche médicale

Un soir du mois de février 1900, Edmond Sergent, jeune préparateur à l'Institut Pasteur de Paris, accompagnait son maître le Dr Roux rentrant à pied à son logis d'Auteuil. Ils parlaient de la récente découverte de Ronald Ross sur le rôle du moustique dans la propagation du paludisme.

" - Quelle magnifique perspective s'ouvrirait pour la défense contre les fièvres de mon pays natal, l'Algérie, tellement éprouvé par le paludisme, si la découverte de Ronald Ross était avérée ! "

" - Allez le vérifier sur place ", lui répondit le Dr Roux.

C'est ainsi que débuta l'étude expérimentale du paludisme qu'Edmond Sergent a poursuivie avec son frère Etienne Sergent dans une parfaite union de cœur et d'esprit. Elle ne fut interrompue qu'à la mort d'Etienne en 1948 et se poursuivit pendant soixante ans pour Edmond Sergent et ses collaborateurs de l'Institut Pasteur d'Algérie dont il était si fier.

 

La lutte contre le paludisme

Lorsque la mission pastorienne entreprit ses études en Algérie, le fléau du paludisme sévissait encore dans un grand nombre de localités. Un journaliste intitulait son article, après la visite du village de Montebello, "  Au pays de la désolation ".

En 1878, Alphonse Laveran, médecin militaire, venait d'être affecté à Constantine après un stage d'agrégé au Val de Grâce. A peine installé, il s'intéressa au paludisme et étudia le sang de nombreux paludéens qui abondaient à l'hôpital militaire de Constantine. Il identifia l'hématozoaire du paludisme, ce qui lui valut le prix Nobel en 1907. Cette découverte eut lieu à peu de distance de l'endroit où jouaient deux petits garçons qui devaient plus tard appliquer, pour le plus grand bien de l'Algérie, les conséquences de ce travail essentiel.

Laveran avait supposé que le parasite était introduit dans le sang par la piqûre d'un moustique. Cette hypothèse fut confirmée en 1897, à l'armée des Indes, par Ronald Ross qui reçut le prix Nobel en 1902, et, en 1898, Battista Grassi démontra que les anophèles étaient les seuls moustiques capables d'héberger cet hématozoaire et de l'inoculer à l'homme.

Contre ce mal funeste, la mission pastorienne institue, dès 1901, des campagnes d'expérimentation où étaient mises à l'épreuve sur le terrain des méthodes épidémiologiques et prophylactiques.

Pasteur1

Ces campagnes, dont les débuts furent très modestes, prirent une extension rapide. On mit en œuvre à la fois la quinisation de la population, l'assèchement des marais, la destruction des larves de moustiques dans les étangs par l'emploi de larvicides ou par l'introduction de gambouses qui sont des petits poissons très friands de larves. Enfin la protection contre l'insecte ailé fut assurée par grillage et moustiquaire.

Les premiers résultats ne se firent pas attendre et en 1910 l'Institut Pasteur d'Algérie était fondé. Edmond Sergent fut désigné pour le diriger, il avait 34 ans.

Pour combattre le paludisme, il importe de parfaitement connaître son agent causal. Des recherches sont engagées avec une équipe comprenant MM. Parrot, Foley, et Catanéi.

 

Histoire d'un marais algérien

Laissons la parole à Edmond Sergent pour nous conter l'histoire du marais des Ouled Mendil.

" Par un soir doré de mai 1911, sur la route qui longe le bas des pentes des collines sahéliennes, l'auto roulait vers Alger. Sur notre droite, la plaine de la Mitidja étendait son damier ocre et vert jusqu'au rideau bleuâtre de l'Atlas, qui, là-bas, fermait l'horizon du sud. Nous revenions avec notre maître, le Dr E. Roux, du village de Montebello, où nous lui avions montré notre champ d'expérimentation antipaludique. Soudain, M. Roux, dont les yeux perçants ne laissent rien échapper : " Qu'est-ce donc que cette ferme qui semble abandonnée ? " Nous connaissions l'histoire trop de fois vécue dans notre pays d'Afrique.

Un colon était venu de France avec sa jeune femme. Il avait construit ces bâtiments, il avait, avec acharnement, défriché la brousse, retourné la terre, planté vigne et fruitiers, semé orge et blé. Un bébé était né. La terre commençait à produire, les salaires faisaient vivre plusieurs familles d'indigènes. L'été dernier le paludisme s'était abattu sur la famille, ruinant les forces et la santé des parents, tuant l'enfant. Le père et la mère, désespérés, étaient rentrés en France".

Au fond de la voiture, M. Roux est resté songeur un long moment, puis il nous a dit : " Voici ce qu'il vous faut faire : cherchez un domaine que le paludisme a rendu inhabitable et qui, par la suite, est resté inculte. Il doit être situé près d'Alger, pour être facilement surveillé. Je vous fournirai les moyens de l'acquérir. Vous y placerez des cultivateurs indemnes de fièvre. Vous protégerez les hommes et vous assainirez le sol par les méthodes prophylactiques que vous avez expérimentées. Vous montrerez ainsi, par l'exemple, que l'on peut, en prenant des mesures rationnelles, échapper au paludisme, vivre, fonder une famille, élever des troupeaux, et produire des récoltes nourricières sur une terre restée jusque-là vide à cause de son insalubrité. Le fait a plus de vertu démonstrative que le précepte. Que la preuve éclate, de la possibilité d'un assainissement sans risques, rapide et définitif. "

La guerre de 1914 repoussa ce projet. Mais en 1927 une parcelle domaniale de 360 hectares, connue sous le nom de ~~ Marais des Ouled Mendil ~~, dans la commune de Boufarik, fut concédée à l'Institut Pasteur. Le résultat ne tarda pas. Quelques années plus tard, des fermes prospéraient sur les terres asséchées, agrémentées de quelques bouquets d'eucalyptus dont le feuillage est un puissant évaporateur. En souvenir de ceux qui luttèrent là, on érigea sur les lieux de la parcelle témoin d'un quart d'hectare une stèle de marbre. On peut y lire sur une face " Institut Pasteur, Station expérimentale des Ouled Mendil, Parcelle témoin laissée à l'état de nature ".

Et sur l'autre face :

 

OPERIS. FRANCIGENI. 
TESTIS. 
AGRICOLA. INCVRVO. 
TERRAM. DIMOVIT. ARATRO. 
ET NEMORA. EVERTIT 
MVLTOS. IGNAVA. PER. ANNOS.
 
Témoin de l'oeuvre française. Le laboureur fend la terre avec son araire cintré (Géorg., 11, 513).
Et détruit les halliers trop longtemps stériles (Il, 208).

Lors du récent bi-centenaire de l'Institut Pasteur de Paris, l'équipe de médecins qui effectue des recherches sur le paludisme, la maladie responsable du plus grand nombre de décès de par le monde, reconnut que les travaux de l'Institut Pasteur d'Algérie sont encore exploités car ce sont les plus complets sur une période aussi longue.

 

L'Armée d'Orient délivrée du paludisme

Au cours de la grande guerre, une armée française fut envoyée en Macédoine. Les troupes séjournèrent dans la vallée du Vardar où l'endémie palustre était très élevée. Le paludisme se propagea rapidement. Songeant aux résultats des pastoriens d'Alger, le gouvernement s'adressa à eux. Edmond Sergent répondit le 12 janvier 1916 prescrivant toutes les mesures à prendre. Ses conseils furent lettre morte et en juin 1916, le général Sarrail écrivait au ministre de la Guerre : " Mon armée est immobilisée dans les hôpitaux ". Les Sergent furent alors envoyés eux-mêmes en mission.

En arrivant, ils découvrirent que leurs directives n'étaient pas suivies. De caractère autoritaire, Edmond Sergent réagit avec fermeté. Au nom du gouvernement, il exigea des consignes sévères : la quinisation préventive est un devoir militaire pour les officiers et les hommes de troupe ; des contrôles devront être organisés avec le réactif de Tanret qui, ajouté à l'urine, produit un trouble caractéristique si la quinine a été ingérée la veille. Les résultats seront communiqués à l'état-major.

La sévérité finit par triompher ; le nombre des malades diminua. En 1917, l'armée d'Orient, malgré l'augmentation du chiffre des effectifs - 8 divisions au lieu de 4 - a enregistré dix fois moins de cas de paludisme de première invasion et vingt-trois fois moins de décès par paludisme qu'en 1916. Et le général Sarrail a pu écrire par la suite ; "  Une armée en voie de dissolution avait été reconstituée matériellement et moralement. Les résultats avaient été supérieurs à ceux qu'on avait pu espérer. En septembre 1918, nos troupes délivrées du péril palustre, entamaient et continuaient sans déboires l'offensive victorieuse qui aboutissait à la capitulation de l'ennemi ".

 

Le reste de l'œuvre de l'Institut Pasteur d'Algérie

Si l'action menée par Edmond Sergent et ses collaborateurs dans la lutte contre le paludisme fut considérable et capitale, la pathologie algérienne posait d'autres problèmes. Il est difficile de rendre compte de l'éventail des recherches et des luttes engagées par l'Institut Pasteur d'Algérie. Les découvertes et leur application sur le terrain ont couvert les domaines humain, animal et végétal. Mais en dehors de l'étendue et de la variété des sujets traités, ce qui étonne le plus ce sont les succès remportés sur le terrain, dans un pays immense couvrant l'Algérie et les territoires sahariens, au sein d'une population dispersée et rurale. Ils étaient bien les successeurs de Pasteur " qui allaient voir sur place". Citons pour mémoire

 

Fièvre récurrente :

Edmond Sergent et Henri Foley découvrirent le rôle d'agent de transmission du pou de la fièvre récurrente appelée aussi " typhus récurrent " en 1907 et 1908. Pour la première fois, le pou prenait place parmi les ennemis les plus dangereux de l'Homme.

 

Lutte contre la tuberculose :

A partir de décembre 1928, des essais de vaccination antituberculeuse par Ie B.C.G, administré soit par scarifications cutanées, soit par la voie buccale, ont été poursuivis sur plus de 20 000 sujets par H. Foley et L. Parrot à Beni Ounif-de-Figuig. En 1934, Foley et Parrot ont proposé leur méthode de vaccination sans tuberculinations préalables, par voie buccale d'abord puis par scarifications cutanées. Leur méthode consiste donc en la vaccination collective de tous les enfants de moins de quinze ans et s'adapte bien à la protection de populations rurales dispersées. L'institut Pasteur d'Algérie sera un important centre de production de vaccins antituberculeux pendant la dernière guerre à destination de la France occupée et des troupes alliées. De 1923 à1961, il a été délivré 3 656 048 doses de vaccin B. C. G.

 

Sérum antiscorpionique

Au printemps de 1914, Etienne Sergent commença une étude des scorpions sévissant en Afrique du Nord. La guerre éclata en août, et les travaux ne reprirent qu'en 1932. Le sérum fut mis au point et mis à la disposition des médecins en 1936. D'autres sérums contre différents types de vipères furent aussi mis au point dans les années suivantes.

 

Bouton d'orient :

Les frères Sergent avec Parrot, Donatien et Béguet étudièrent aussi le Bouton d'orient ou clou de Biskra. Ils apportèrent la preuve, en opérant sur eux-mêmes, que c'est la piqûre d'un moucheron nocturne, le phlébotome, qui provoque ce bouton par inoculation de leishmanias.

Une telle activité s'étendit aussi au traitement des maladies des animaux et des plantes : le " debah " du dromadaire qui conduit à une cachexie mortelle due à un trypanosome nouveau inoculé par le taon. Des travaux furent aussi effectués sur la fièvre ondulante de Malte, sur le trachome. sur le " baïoudh " du dattier causé par un champignon identifié par René Maire.

Cette énumération permet de mesurer l'activité bienfaisante des pastoriens d'Algérie. La part qui revient à Edmond Sergent et son école est prépondérante dans l'œuvre médicale de la France en Algérie. Les fellahs en portaient eux-mêmes témoignage quand ils accueillaient avec confiance le médecin français par les mots arabes qui signifient " tu es mon père et ma mère ".

C'était une salutation méritée.

 

Alain RENAUD

 

Appendice :

 

Le chemin Kachouane

Voici comment Edmond Sergent relate l'émouvante histoire du chemin Kachouane dans " L'histoire d'un marais algérien" :

Après la construction d'une ferme dans le secteur d'Haouch Touta, proche du village de Birtouta, il était devenu nécessaire d'en bâtir une seconde, à 5 km de la première, dans le secteur de Sidi Aïd. Mais Sidi Aïd est de tous côtés ceint de propriétés : pas d'accès à la route, qui passe à 350 mètres au sud.

Nous allons voir notre voisin, un riche propriétaire et lui exposons notre détresse " Pourriez-vous nous céder une étroite bande de terrain de 4 mètres de largeur, en bordure de votre vignoble ? " Il refuse net et ne nous cache pas qu'ayant eu des difficultés avec l'Administration, il ne tient pas à aider un service public. " Nous vous paierons le prix que vous fixerez vous-même - Non, je refuse, - Si vous consentiez à nous céder ce bout de terrain, nous élèverions à l'entrée de notre chemin, sur la route départementale, deux piliers. Sur l'un seraient inscrits les mots, Institut Pasteur. sur l'autre, Chemin X... - Non, inutile d'insister ".

A quelque temps de là, nous recevons la visite d'un autre voisin, un fellah de fort modeste condition, tout à fait inconnu de nous. " Je m'appelle Kachouane Brahim. J'ai appris que vous cherchiez à acquérir une bande de terrain pour faire un chemin reliant l'extrémité de la station expérimentale à la route départementale ? - Oui, nous serions heureux de disposer d'un passage de 4 mètres de largeur. - Je viens vous l'offrir, mais 4 mètres ne suffisent pas, je vous propose 7 mètres. - Nous vous remercions de tout coeur. Votre prix sera le nôtre - Il ne s'agit pas de payer. Je prie l'Institut Pasteur d'accepter ce don. "

Grâce au chemin Kachouane, long de 256 m, large de 7 m, la ferme de Sidi Aïd est à 6 km de la petite ville de Boufarik, métropole de la région. Sans ce chemin, elle en serait à 14 km. Le 9 avril 1930, l'acte de donation en bonne et due forme est signé en l'étude de Maître Vaugien, notaire à Alger. Seulement Kachouane a tenu à ce qu'y figurent ces mots : "  Lequel a, par ces présentes, fait donation... en reconnaissance des bienfaits apportés par l'Institut Pasteur dans la région, résultant de l'assèchement et l'assainissement du marais des Ouled Mendil... "

Brahim Kachouane n'a jamais rien demandé. Il n'a rien voulu accepter. Il est mort en septembre 1934.

 

Bibliographie:

- Histoire d'un marais algérien, Etienne et Edmond Sergent, 1947.

- Contribution de l'Institut Pasteur d'Algérie à la connaissance humaine du Sahara. 1900-1960. Edmond Sergent, Louis Parrot.

- Les travaux scientifiques de lInstitut Pasteur en Algérie de 1900 à 1962. Edmond Sergent.

  • Notice sur la vie et l'oeuvre d'Edmond Sergent par Robert Courrier, Secrétaire perpétuel de l'Académie des Sciences lors du centenaire de la naissance d'Edmond Sergent.

 

Article paru dans la revue " l'Algérianiste " n° 77 de mars 1997