C'était une combinaison de vie sédentaire et de vie nomade. La population rurale était répartie en tribus subdivisées en fractions ou "ferkas", à la tête desquelles se trouvait un "cheikh" souvent de grande tente et descendant de la famille du prophète.

La ferka disposait d'un espace de parcours non codifié mais défini par une longue tradition. Il arrivait que plusieurs fractions revendiquent des portions d'un même territoire qui devenait une zone d'affrontements permanents et meurtriers, un "bled el baroud", pays de la poudre, où s'exprimait le tempérament guerrier des cavaliers arabes. Hors des zones de turbulence, les tribus menaient une vie rythmée par les saisons, les troupeaux et la nature des sols.

Elles choisissaient à l'automne de s'installer dans un endroit sec et abrité des rigueurs de l'hiver, pour y pratiquer, avant les froids, des grattages superficiels de la terre à semer, et des semailles d'orge. Elles passaient l'hiver sous la "rhaïma", la tente de poils, ou dans de modestes gourbis de pierres sèches, en menant une vie simple de labeur et de pauvreté, marquée par le travail des femmes, la traite de l'aube et du soir, et les corvées d'eau et de bois, pendant que les plus privilégiés des enfants fréquentaient l'école coranique où un taleb enseignait la religion et apprenait à lire et à écrire.

La sédentarisation s'achevait en fin d'hiver et la tribu se déplaçait au long de ses parcours de tradition, afin que les troupeaux ne détruisent pas les semis de l'automne qui commençaient à lever.

L'herbe sauvage était rare et drue, les bêtes couvraient beaucoup de terrain pour se nourrir, sans jamais s'éloigner à plus d'une journée de marche des champs ensemencés, et des points d'eau indispensables, "hassi", les puits, "guelta" ou mares, et les rares "ouadi" ou ruisseaux. La tribu tournait ainsi dans un rayon de 5 à 30 kilomètres autour de son campement d'hiver. Les tentes étaient montées, bois et eau approvisionnés, et les troupeaux enfermés dans des "zeriba" d'épineux, à la fois pour les protéger des chacals et des hyènes, et pour fumer le sol. Les "zeriba" étaient déplacées tous les deux ou trois jours. Dès que l'herbe avait disparu, la tribu s'en allait un peu plus loin, afin de permettre les "préparés" de printemps sur les terres libérées. Les hommes valides travaillaient aux champs, labouraient à l'araire de bois, tirée par un âne, un chameau, ou les deux à la fois. Ils défrichaient peu, sinon par le feu, et contournaient les obstacles, palmiers nains, chênes verts, et buttes de pierres.

Au début de l'été la tribu revenait à son campement de l'hiver précédent pour y moissonner à la faucille les orges mûres. Le dépiquage se faisait aux pieds des bêtes, ânes ou boeufs squelettiques, se hâtant sous le fouet, et le vannage à la fourche de bois au vent de l'après-midi. Le grain était transporté dans des couffins d'alfa tressé, et conservé, à l'abri des seuls rongeurs et non des papillons, dans des "matmoras ", silos creusés dans le sol et enduits d'argile. Les épis tombés au sol étaient "la part du pauvre", et de vieilles femmes, courbées sous l'implacable soleil, s'acharnaient à suivre les moissonneurs, avant que les troupeaux ne succèdent aux glaneuses.

A la fin de la saison, avant les pluies d'automne, la tribu levait le camp pour aller semer les champs préparés au printemps et s'apprêtait à un nouvel hivernage. Et le cycle recommençait, biblique et éternel, ponctué par le carême, les fêtes religieuses, la naissance et la mort, et les "chicayas" habituelles et fréquentes de voisinage. Dans certaines régions montagneuses et humides, ou les oasis sahariennes, les tribus menaient une vie plus sédentaire, alors que dans les grandes steppes du Sud, sans terres à cultiver, elles étaient exclusivement nomades.

Sous la régence turque, les superficies ensemencées du fait de cette semi nomadisation, étaient de peu d'importance. Bien que très variables d'une région du Tell à l'autre, et selon le caractère des tribus pastorales, elles étaient estimées à environ 1/5 des terres possédées. On semait de l'orge surtout pour la galette, du blé dur pour la semoule, et parfois un peu de mil, la "bechna".

Dans les terres basses, les "dayas", et les rares plaines irriguées, on cultivait des légumes; sur les terres plus sèches des plateaux, lentilles, fèves et pois chiches, nourriture substantielle de la saison froide; plus haut dans les collines, entre 500 et 1.000 mètres, amandiers, figuiers, oliviers et un peu de vigne. La vigne avait été introduite par les phéniciens, et après le déferlement de la conquête musulmane n'avait jamais complètement disparu. Elle produisait des raisins secs et de table, et un peu de vin cuit bu sur place et même exporté.

Dans les oasis on trouvait des abricotiers, des orangers et des citronniers.

L'élevage tenait cependant la première place dans l'économie agricole de la régence, par le nombre de têtes de bétail, par la pratique de la transhumance et le genre de vie qu'elle entraînait. Mené sans sélection, sans soins, sans riche nourriture, cet élevage était peu productif en lait, viande, laine, et sans renouvellement génétique. Les moutons étaient rustiques, osseux, sans gras, hauts sur pattes, coureurs, et donnaient une maigre et forte viande. Les chèvres détruisaient, après le feu des bergers, ce qui restait de forêt, et étaient élevées pour leur lait indispensable et abondant. Les boeufs, petits, maigres, peu exigeants, sans valeur de travail, constituaient le patrimoine et servaient de monnaie d'échange.

Les chevaux arabes, ou barbes, difficiles à alimenter correctement, délicats, étaient souvent razziés par des tribus rivales ou réquisitionnés par le beylik turc.

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