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Garden party des oubliés des Débarquements

Écrit par Jean Brua. Associe a la categorie Humour

Que rabiaL'humeur de Dodièze

 

recueillie par Jean Brua

Y a-t-il encore une bibliothèque à l’Élysée ? Ou De Gaulle l’a-t-il emportée à Colombey pour empêcher ses successeurs de vérifier leurs connaissances historiques ? Passe encore que les cancres des journaux TV ignorent la part essentielle des combattants pieds-noirs dans la victoire sur le nazisme. Mais quelle note donner à un chef d’État qui ne paraît pas mieux informé ? Il est vrai que d’autres « débarqueurs » que nos tirailleurs, spahis et chasseurs d’Afrique sont logés à la même enseigne. Demandez à la reine d’Angleterre, qui a invité Dodièze au château de Windsor le 6 juin pour une petite cérémonie parallèle de solidarité.

 

Garden party des oubliés des Débarquements

J.B. - Bonjour, Dodièze… Hum !… Dodièze ?… Je suis là… Bonjour.

DODIÈZE (absorbé par la contemplation d’une bouteille de vin de Cassis) - Hein ? Quoi c’est ?… Ah, c’est toi ? Bonjour, bonjour…

J.-B. (pincé) - Eh bien, excusez-moi. Je vous dérange, peut-être…

DODIÈZE (sans se détourner de son examen) - Non, non, assis-toi, c’est moi que je me scuse. Qu’est-ce tu veux, je m’apprends les tiquettes.

J.-B. - L’étiquette !… C’est pour le jeu « Comment gagner des milllions » ?

DODIÈZE (reposant la bouteille) - Qué millions ? C’est pour la jardin-partie…

J.-B. (pouffant) - Garden party ? Zec 1, alors ! Vous voulez dire « cassouela » ? Et depuis quand les cassouéleurs se préoccupent-ils de crus mis en bouteilles au château ? Je croyais que la bonbonne de rosé était de rigueur.

DODIÈZE - C’est ça, moque, moque. Et à la fin, c’est moi qu’je rigole que t’i’as rien compris. Où t’i’as vu la cassouela ? Je parle pas du passé, diocane, je parle de méteunant. Tu te crois d’être encore à Sidi Ferruch, à Aïn Taya ou alors au Chenoua ? La jardin-partie que je dis moi, Monsieur le père-siffleur, c’est celle-là de Ouindzor. En Angléterre, ô tchoutche 2 ! Pas en Algérie.

J.-B. - Windsor 3 ! Vous n’allez pas me faire croire que vous êtes invité par la reine d’Angleterre. Si ?…
DODIÈZE - Si, justement. Aussinon, pourquoi qu’je m’apprendrais les tiquettes du vin et des espécialités françaises pour la conversation vec la reine ? À mon âge, et a’c mes cors aux pieds qui z’ont venu tout gonfes de tant que je cours d’un côté l’aute des supermarchés pour les lire toutes ! Toi que t’i’as plein des lives aouf de journalisse, tu l’as pas un Kouid 4 des tiquettes à me prêter ?

J.-B. (qu’i perd son latin que déjà i n’en restait plus beseff) - Mais enfin, Dodièze, de quoi parlez-vous ? Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’étiquettes ?

DODIÈZE (d’une dignité de Speaker de la Chambre des Communes) - L’histoire d’Angleterre, Monsieur ! Et les tiquettes, c’est pas moi que je m’les ai inventées pour faire l’antéressant. C’est l’attaché du consulat bretonnique à Marseille qu’i m’a téléphoné l’anvitation d’la reine à Ouindzor pour le 6 juin et qu’i m’a dit comme ça, vec l’accent costume-cravate : « Je ne saurais trop vous conseiller, Mister Doudaïze, de mettre à profit les semaines qui viennent pour vous pénétrer des notions élémentaires des tiquettes ».

J.-B. (se tapant les cuisses) - Vous m’en direz tant ! C’est d’étiquette de cour qu’il est question… Ah, elle est bien bonne, celle-là ! Et dites-moi, mon cher Dodièze, « l’accent costume-cravate » de votre attaché de consulat, vous êtes sûr qu’il n’avait pas un petit parfum d’espadrille, si j’ose dire. Excusez-moi, mais je subodore là-dessous quelque blague d’un de vos vieux copains de Bab el Oued… Ah ! Ah !

DODIÈZE (glacial comme un chambellan de Buckingham Palace) - Un anchois d’avril, hein ? Ah, pour subodorer, toi, t’i’es un capabe genre le kelb Rantanplan de Lukiluk ! Comme ça, tu le crois que Dodièze, n’importe quel ouallioune de bistrot i peut le couillonner au téléfon ? Qué rabia que j’m’entends ça de bon matin ! Et l’anvitation écrite, alors, c’est une blague aussi ? Choufe le carton comme la soie, a’c les écritures entortillées et l’insigne « Elizabeth Regina ». Choufe, choufe, Monsieur Que-je-crois-rien ! Si elle serait scousa 5 cette insigne, alors le farceur que tu dis, c’est qu’il aurait venu plus fort que le dessinateur Sterling de la Banque d’Angléterre !   

J.-B. (lisant le carton dans une attitude de profonde stupéfaction) - Mais… Mais… C’est que c’est vrai, cette histoire de garden-party à Windsor. On croit rêver ! Mon cher Dodièze, je me prosterne en excuses devant vous ! Vous êtes bel et bien invité, en tant qu’éminente personnalité pied-noire à participer au D-Day’s Forgotten Heroes 6 le 6 juin. Quelle belle revanche sur la discrimination historique dont sont victimes les combattants de notre communauté. Et quelle gloire pour vous !

DODIÈZE (modeste) - La gloire, c’est pas pour moi ; déjà, par malheur, j’étais trop vieux pour débarquer dans le Var en août 44. Mais y’en a une magataille 7 des autes de chez nous qu’i s’ont mouillé les pieds sur ces plages, et que c’était pas pour la trempette-bronzage. Ça il aurait pu déjà s’arrapéler le président d’la Ripiblique quand il a tapé le discours de La Nartelle 7, le 8 mai. C’est pas croyabe comment qu’les présidents d’la Ripiblique française i sont bourricots en histoire d’la France. Un coup c’est Chirac vec sa gaffe du seau d’Hussein 8 ; cette fois, c’est Sarko qu’il oblie que l’armée De Lattre, elle était moitié pied-noirte. Nous, encore, ça fait rien, on a l’habitude. Mais la reine d’Angleterre, ça l’a vesquée qu’le p’tit Nico, quâ même qu’i régarde tous les jours « Questions pour un champion » à la télé, i sait pas que, en Normandie, c’était aussi mitche-mitche 9 entre chingommes et rosbifs.

J.-B. - God Save The Queen ! J’aime bien cette idée pied-de nez de réunir les oubliés des Débarquements. À Windsor, vous verrez aussi des Canadiens, des Australiens, des Polonais. Même des Belges.

DODIÈZE - Tant mieux ! Comme ça on aura au moins des frites à manger. Moi, j’apporterai la mahia 10 et les tramousses.

Jean BRUA



dodieze127
(Dessins de l'auteur)

 

Splications

1) Zec ! : Diantre ! 2) Tchoutche : raie pastenague. Fig. : imbécile.
3) Windsor (château de) : résidence secondaire de la Couronne.
4) Kouid : orthographe pataouète de « Quid ».
5) Scousa : factice, bidon.
6) D-D’S... etc. : Héros oubliés des Jours J.
7) Magataille : flopée.
8) La Nartelle : village du Var rendu célèbre par le discours scousa du chef de l’État.
9) Seau d’Hussein :  sceau de la Régence turque restitué par Jacques Chirac à... l’Algérie.
10) Mitche-mitche : moitié-moitié ; à parts égales.
11) Mahia : anisette, of course.

    Les chroniques de Dodièze (1999-2005) ont fait l’objet d’un recueil (QUÉ RABIA !) aux éd. Jacques Gandini